Il ouvrit posément la porte de bois clair, entra, puis referma derrière lui. Assise à son bureau, Charlie écrasa sa cigarette dans le cendrier et releva la tête.

« Eh bien, William ? Vous avez l’air particulièrement calme aujourd’hui.

-J’ai une nouvelle à vous annoncer, mais tant que je n’ai pas votre réaction, je préfère rester impassible.

-C’est-à-dire ?

-J’ai un rendez-vous diplomatique avec le ministre de la défense à quatre heures. »

Sa supérieure bondit sur son siège.

« Vous avez quoi ? »

Le jeune homme se mit à rire, particulièrement fier de l’effet qu’il avait réussi à produire.

« C’est tout bonnement génial ! Je devrais vous faire sursauter plus souvent.

-Attendez, attendez, votre annonce est vraie ?

-Bien sûr ! J’ai juste travaillé la manière de la faire.

-Bon. De quoi allez-vous discuter ? interrogea-t-elle de son regard roux. Et surtout… en quel honneur ?

-Lors de la conférence à l’université, j’avais attiré son attention en évoquant le prototype d’avion de chasse dont nous avions parlé avec monsieur Shimada, le Geheim Mk-III. Nous n’avons bien sûr pas eu le temps de nous étendre, mais comme j’ai donné l’impression d’en savoir un rayon dessus, Stroheim a voulu en reparler tranquillement. Je vais donc le retrouver au café Faust, sous surveillance secrète du KGB, évidemment.

-Pas de garde du corps ?

-Ça ne mettrait pas un étudiant ordinaire à l’aise, il a donc été jugé que la sécurité serait assurée sans que l’innocente source d’information que je suis censé être se doute de quoi que ce soit. Mais je vous ferai un rapport sur le nombre d’agents et leurs tics nerveux si vous voulez.

-Sans façon, merci. Vu l’heure je n’ai plus qu’à vous souhaiter bonne chance, j’imagine.

-C’est exact. Recevez donc mes remerciements, et ce soit le dossier Cheetah devrait être bouclé. »

***

« Asseyez-vous, je vous en prie, monsieur Adlerschloss.

-C’est un véritable honneur pour moi d’avoir cette discussion avec vous.

-Allons, pas de manière », répondit le quadragénaire tout sourire.

Voyant une serveuse approcher, il demanda :

« Je vous offre un café, jeune homme ?

-Oh, je ne vais pas refuser, répondit-il en feignant d’être intimidé.

-Alors un allongé et un bourbon, annonça le politicien en se tournant vers l’employée.

-Bien, monsieur. »

Une fois qu’elle fut repartie, Scholz posa son regard brun et rieur sur William.

« Il paraît que vous en savez sur le Graal des passionnés d’aviation, d’après ce que j’ai compris ?

-Eh bien, en étant moi-même un, j’ai dû en entendre parler à un moment donné.

-Vous pilotez ?

-J’ai quelques notions et une poignée de vols à mon actif.

-Ah, c’est très appréciable chez un jeune de votre âge. Vous vous destinez à l’armée de l’air ?

-Peut-être, je ne sais pas encore. Pour l’instant, je compte sur ma licence de lettres pour me cultiver le plus largement possible avant de choisir ma future carrière. Tout ce dont je suis sûr cependant, c’est que je n’entrerai jamais en politique.

-Pourquoi donc ? l’interrogea l’homme d’État avec amusement.

-C’est fascinant, mais je n’y comprends pas grand-chose. Mais ami Nikolaï essaie tant bien que mal de pallier à mon inculture à ce sujet, mais il a malheureusement peu de chance d’y parvenir. De mon côté, je lui donne de véritables cours d’aéronautique et d’histoire de la chasse aérienne, et il semble plus réceptif que je ne le suis à ses enseignements.

-De quel appareil avez-vous discuté la dernière fois ? demanda avec une pointe d’intérêt son interlocuteur.

-Si je me souviens bien… du J7W Shinden, un prototype japonais de fin de guerre. Assez proche du Geheim, je crois.

-Parlons-en, du Geheim. Un bijou de technologie absolument fabuleux, n’est-ce pas ?

-Il me reste encore beaucoup à apprendre à son sujet, mais au vu des connaissances que j’ai amassées au fil des ans c’est effectivement l’un des meilleurs avions à hélice jamais conçus. Il peut friser les 800km/h, si je ne me trompe pas.

-D’après mes recherches, il montait à 860.

-Incroyable ! Le record fixé par un P-75 étasunien surmotorisé est dépassé de la tête et des épaules ! Si l’Allemagne l’avait mis en service, peut-être aurait-elle put livrer un dernier combat avec panache au-dessus de Berlin, même si l’issue de la guerre n’aurait pas été changée.

-Ça, c’est certain. On ne peut malheureusement pas refaire l’Histoire, mais si un souhait m’était accordé, ce serait sans hésiter de prendre les commandes d’un Geheim le 2 mai 1945 et de tout donner avant que le Reich ne tombe.

-Vous avez combattu pendant la Seconde Guerre Mondiale ?

-Je ne le révèle pas à n’importe qui, mais oui, j’ai été membre de la Luftwaffe. J’en aurais donné, du fil à retorde, à ces maudits Américains. Et s’ils revenaient ici à bord de leurs nouveaux F-4, je sauterais dans un Mig-21 et j’irais les descendre. Comme en 44.

-Ce jour-là, monsieur Stroheim, vous pourrez compter sur moi pour me trouver moi aussi dans le ciel. »