Reprenons notre question existentielle. Voyons notre équation spéciale coups de pied au cul. Alors, d'après la formule, ça fait...

Hum...

Cela fait donc beaucoup […]. En mathématique orcs et gobelins évidemment, afin de faciliter la narration de ce récit, nous prenons la méthode de calcul la plus simple : celle des peaux vertes, soit « un » ; « deux »; et « beaucoup ». Mais ce n'est pas pour tout de suite. Sans transition, nous atteignons le moment crucial, le plus redouté de la mission, celui qu'Aaron voulait éviter à tout prix.

Le voici, il arrive, il est là ! Le méchant ! Une face de bovin croisée avec une tête de reptile moisit le tout écrasé contre la porte de la chambre. Une peau écailleuse cramée, bien cuite thermostate 400°C dix minutes au microonde, merci, mon bon monsieur. Bref, c'est moche, ça fait peur et c'est bourré d'énergique maléfique. C'est un démon et pas un petit. Une une taille et carrure de Minotaure pour bien montrer qui c'est le patron.

Félicie, elle qui se la pétait et critiquait Aaron de vouloir éviter la citadelle, bah là, elle n’en menait pas large. C'était elle qui devait tirer Aaron par le bras pour qu'il recule.

• Venez faut partir d'ici ! Vite !

• Pour aller où ? Pas la peine d'essayer de fuir. Il est entre nous et la seule option de sortie.

• Mais vous disiez que vous refusiez de l'affronter, que vous n'étiez pas de taille ? Et là que je vous demande d'éviter le combat, vous dîtes le contraire ?

• J'ai dit que je voulais éviter, certes, quand c'était possible. Là, on a pas le choix, sauf si tu préfères mourir sans te battre.

La fée ne répondit rien. En même temps, qu'est-ce qu'elle pouvait bien lui dire ? Et puis, Aaron semblait oublier à qui il parlait. C'était Félicie. Elle avait encore trop peu d'expérience, et puis elle vient quand même d'un peuple qui passe plus pour des hippies naturistes que pour les meilleurs guerriers de l'univers. Bref, s'il voulait lui rentrer dedans au boss des vilains, fallait pas trop compter sur elle. Sauf que comme il l'avait dit, ils ne pouvaient pas faire autrement.

Par contre il était soit très con le grand méchant, soit très sûr de lui. Il n’avait pas de sbire, de garde pour le protéger ? C'était un peu louche, mais bon, tant mieux pour eux. Si Aaron et Félicie l'emportaient, ils garderaient toutes leurs chances de sortir de la citadelle en vie. Le jeune mage prit alors une position qui trouble la fée. Ce n'était pas un placement de jambe pour se battre, et il ne se mettait pas non plus en retrait pour attaquer de très loin. Elle aurait juré qu'il se préparait à... à... danser ? Sérieusement ? C'était ça son plan pour vaincre le méchant ? Danser avec lui ?

Bien sûr que non. La fée avait juste des idées bizarres en tête. Quand le démon fut à portée, elle comprit alors les intentions d'Aaron. Et un, et deux ! Et un, deux, trois, quatre, et que c'est parti pour un petit tango des flots pour ouvrir le bal. Et que l'eau fit cercle autour de l'élémentaire au rythme des pas, et qu'en vagues implacables elles vinrent s'écraser sur le démon. Le monstre recula à chaque choc bien qu'il ne subit aucun dégât. Pour un type qui ne se sentait pas d'affronter le méchant, Aaron s'en sortait plutôt bien.

Une riposte vénère d'estoc d'une flamberge impressionnante. Le mage changea de posture. Et un, deux, trois, quatre ! En avant pour un rock rocailleux qui parant chacun des coups. Variation de rythme, et un, deux, trois, que voilà la valse des ombres ! Lent, mais fluide ; imposant, mais peu impactant, et Aaron disparu dans un nuage de ténèbres. Dissipation du sort, et une attaque-surprise par un Aaron exécutant un swing foudroyant. Et que ça enchaîne les éclairs dans droit sur le démon qui se les prend de pleins fouets. Le mage avait enfin réussir à faire mouche, mais c'était encore loin d'être suffisant.

Par contre, du rock, du tango, du swing et de la valse ? Mais d'où il connaît ce genre de danse Aaron ? Bof, pour ça il y a une explication toute simple : « ta gueule, c'est magique ». La Magie ! Puis, ça change du cliché habituel du vieux sorcier avec sa longue barbe grise, qui ne bouge pas et se contente de lire ses formules dans son grimoire. Là, c'est animé, c'est fluide, y'a de l'action en veux-tu, en voilà. Bref, c'est beau et ce n’est pas la fée qui dira le contraire.

En parlant de notre brave Félicie, celle-ci faisait... Faisait... Rien ? C'était normal. Elle était tétanisée depuis le début par l'énergie chaotique que dégageait le vilain démon. Et c'était toujours le cas, bien qu'elle soit également émerveillée par Aaron. Elle ne pouvait en détacher le regard. Même en plein combat, il arrivait à lui faire de l'effet le con. Il y ait surtout de l'admiration dans l'esprit de la fée. Et aussi de la honte. Elle se sentait inutile impuissante. Que faire pour l'aider ?

C'est alors qu'elle comprit la faille chez Aaron en l'observant. Bah oui, fallait bien qu'il y en ait au moins une ou plusieurs. Si les personnages principaux étaient plus cheater que les boss de l'histoire, bah il y aurait aucun danger, aucune péripétie. Lorsqu'il changeait d'élément, il marquait toujours un certain temps de latence, le rendant vulnérable. Bon sauf que la fée elle a quand même quelques que neurones qui fonctionnent. Une salsa givrante qui ne parvient pas à faire mouche, mais une capoeira flamboyante qui touche, ça ne suffit pourtant pas à faire plier le démon. Aaron se concentre et entame un ballet. Il marque des cercles lumineux d'un beau vert au sol, mais en devient sans défense.

Et voilà la fée qui enchaîne les boucliers de lumière. Et le méchant qui se recule ! Ce qui peut se comprendre vu la couleur rose dégueulasse qui lui saute aux yeux. Non, ça n'inflige des dégâts aux morals que chez Félicie ça. C'était surtout leur travail d'équipe, si on peut appeler ça comme ça, qui faisait reculer l'ennemie. Décidément, ils avaient le cul bordé de nouilles les jeunots. Mais tout n'est pas perdu pour une bataille épique !

C'est eux ! Les voilà ! Les sbires du méchant qui viennent en renfort ! Enfin ! Et à l'arrière, mais oui ! Ce sont bien les elfes noirs qui ont fini par se réveiller ! Le démon reprend de l'assurance, ses laquais tous plus moches les uns que les autres le rejoignent pour la bataille !

• En avant misérables chiens infernaux ! Écraser ces deux intrus sans la moindre pitié.

• Oh oui ! Tout de suite mon maître !

• Et vous esclaves à ma botte, faîtes en autant !

Et voilà la fée et le mage coincé, encerclé, mal barré ! Ça va devoir castagner sur deux fronts ! Enfin du défi, de la difficulté. De l'action épique et des héros qui vont devoir prouver leur vraie valeur. En renfort des démons qui charges, arrivent encore plus d'elfes noirs qui... qui... Attaquent les sbires infernaux dans le dos ? Et les autres gardes qui dépassent Aaron et Félicie pour aider leurs copains, laisse le mage et la fée seuls face au grand méchant !

Non, non et non ! Trop c'est trop ! C'est impossible de mettre ne serait-ce qu'un peu ces deux-là en danger. Alors oui, comme ça les elfes noirs ils veulent plus servir le monstre, pile au moment où on vient l'attaquer. Mais quelle incroyable coïncidence... Sérieusement, j'ai même plus envie de raconter... Quoi ? Vous insistez quand même pour avoir la suite ? Bon d'accord !

Il semblait donc que tout ceci ne soit pas certes, un hasard, mais restant tout à fait logique —atchoum mon cul! – Après autant d'années d'esclavages, il n'était pas étonnant de voir les elfes noirs se révolter. L’occasion était trop belle pour la laisser passer. Aaron et Félicie s'occupaient du seul adversaire qui les avait toujours dissuadés de rebeller. Ce qui à défaut de mettre les personnages principaux en difficulté, pouvait au moins nous offrir une sublime bataille.

Allez, voyons donc ce que donne ce combat-là ! Les sbires du vilain continuèrent de charger comme des cons. On aurait pu penser qu'ils visaient en priorité les elfes noirs les plus dangereux ? Mais non ! La voilà enfin la fameuse garde des ombres dont parlait Aaron. Et que ça voltigeait dans tous les sens pour taillader du démon ! Sérieusement, c'est ça l'élite ? On se croirait au crique à regarder une bande de vagabonds faire des pirouettes ! Et le pire c'est que ça marche ! Les sbires sont complètement débordés !

Finalement, sans le grand méchant, la citadelle serait restée entre leurs mains. Était-ce pour ça qu'ils n'étaient pas intervenus plus tôt, pour décider de quel côté ils se rangeraient ? Les gardes du démon commençaient à fuir le combat, enfin pour ceux qui étaient encore en état de le faire.

• Ha ! Damned ! Revenez vous battre ! Misérables laquais !

Trop tard, il parlait dans le vent. Bon la bataille c'est mort pour avoir quelque chose d'épique. Mais peut-être que tu côté du grand méchant... Oui ! Aaron est toujours à danser comme un con, et à dessiner des cercles verts, lumineux, au sol avec ses pieds. Dois bien y'avoir une belle ouverture pour le buter ! Soit, pas vraiment. Ce dernier venait de terminer son sort.

C'est tout un zoo d'écorce, de feuilles et de tissu végétal qui sortit des puits de magie créés par le mage. Des lianes reliaient chacune des formes animales à ses doigts. Tel un marionnettiste, il déchaîna son théâtre sylvestre sur le démon qui fut non seulement débordé, mais aussi transpercé par les pieux de bois sortant des créatures invoquées par Aaron. Son adversaire complètement immobilisé, le jeune homme rompit son lien magique avec sa faune éphémère. Il incendia le tout, y compris Azraël, ne laissant qu'un tas de cendre pour seule trace de l'affrontement.

Bilan général des combats ? Une petite sœur sauvée et une citadelle libérée. Aaron et Félicie sont désormais encerclés par les elfes noirs. Tout n'est pas perdu ! Il peut encore y'avoir du suspense ! Une trahison ou au moins un léger retournement de situation pour mettre du piment dans l'histoire, des bâtons dans les roues des deux héros ! Heu... Les elfes noirs s'inclinent devant eux ? C'est quoi ce bordel ? Même Aaron et Félicie n'y comprennent rien, tandis qu'ils cherchent un chef, un responsable.

Ils trouvèrent, ou plutôt l'interlocuteur tant souhaité vint à leur rencontre. Une elfe, la seule debout. Cicatrice sur le visage et sur le corps, les parties non recouverte d'une armure légère et soulevant les formes de la guerrière. Un bras en moins cependant, témoignant d'un vécu de combattante. Aaron était sur le point de l'interpeller, quand celle-ci fit face à Félicie en particulier. Donc, c'était à la fée d'entamer l'interrogatoire ?

• On peut savoir ce que ça signifie ? On s'infiltre chez vous quand même, vous devriez nous chasser maintenant que vous avez récupéré votre citadelle.

• La vôtre chère demoiselle. C'est vous qui l'avez conquise en exterminant le démon. Selon nos règles, c'est à vous qu'il revient d'en assurer le commandement. Tous ici, nous suivrons vos ordres.

De mieux en mieux ! En plus d'être pétés de puissance magique, de balayer facilement tous les obstacles en travers de leur chemin, voilà qu'ils gagnent une citadelle maintenant ? Oui, ils étaient vraiment vernis ! Tellement que ça en devenait honteux, scandaleux, intolérable même ! Sauf qu'une erreur s'était glissée dans l'annonce de l'elfe noir. Félicie n'avait fait que soutenir et protéger Aaron. Techniquement, c'était lui qui...

• Mais je ne peux pas ! C'est mon compagnon qui a vaincu le méchant ! Pas moi !

• Nous le savons bien. Mais chère princesse féerique, auriez-vous oublié comment les choses se passent chez nous ? Ou ne l'avez vous jamais appris ?

• J'avoue avoir certaines lacunes. Mais ce n'est pas le sujet, si ?

• Si ! Nous sommes un peuple matriarcal. Certes vous pouvez gouverner à deux. Mais le commandement, et le dernier mot vous reviendront toujours en termes d'autorité.

Félicie chercha du soutient chez Aaron, qui sembler s'en tamponner royalement le coquillage. Lui était gagnant. Il était libre, avait un foyer, et c'était la fée qui allait se payer toutes les responsabilités. La jeune femme n’insistât pas, car cela lui enlevé une épine du pied à elle aussi. Avec son palmarès de connerie réalisé, il valait mieux pour elle qu'elle accepte son sort. Si ses parents voulaient lui faire des reproches, ils devraient passer par la voie diplomatique. Surtout qu'ils allaient forcément venir la voir, ne serait-ce que pour récupérer Nitescie. Bon et bien maintenant, ça va devenir drôle. Un retournement inattendu certes, même abusé, mais intéressant. Voyons voir ce que ces deux-là valent en politique !