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Hêcate Fleap ne supportait pas l’attente.

Neuf heures et treize minutes paraissent sans fin tandis que l’on trépigne devant son rêve de boss.

Il avait bien essayé de travailler, de lire quelques rapports, de mettre à l’écrit des idées de projets commerciaux ; sans succès.

Après quatre heures de procrastination, il s'était décidé à rejoindre l’équipe d’ingénieurs. Il avait apprécié leur ballet aérien dans le compartiment central de la station non soumis à la gravité. Les avait observé vérifier et revérifier un à un les systèmes de l’ascenseur spatial qu’ils s’apprêtaient à mettre en place. La précision de leurs gestes l’apaisait.

Lorsque la station HF-1 se trouva enfin sur son orbite géostationnaire, la tension atteignit son paroxysme. L’équipe n’avait pas le droit à l’erreur. L’erreur signifiait : un retour bredouille ; une perte financière sèche ; des mois d’attente avant le prochain essai ; des têtes qui sautent.

Pile à l’heure prévue, quatre fusées furent larguées. Quatre points lumineux parfaitement ordonnés, formant une constellation, un carré parfait, qui filèrent dans un silence sidéral, droit vers la surface, un cable de nanotube de carbone emporté dans leur sillage. La technologie biomimétique, inspirée des fils de soie des araignées, était aussi l’oeuvre de la Starsfisher Company. Tout ici relevait de l’expérimental. Des cris de joies fusèrent lorsque les roquettes perforantes s’enracinèrent profondément dans le sol de la planète.

Il fallut patienter encore une heure. Une heure à observer d’immenses bobines enrouler les quatre filins invisibles à l’oeil nu, avant que les tubes n’atteignent une tension suffisante qui permette à l’ascenseur de s'y fixer.

Puis ce fut l’instant de vérité.

Toutes les équipes s’activèrent.

Dans le premier compartiment de l’ascenseur, Eye-1, un robot semi-autonome d’une demi-tonne chargé de capteurs, prit place. Et pour l’accompagner, enfermé dans une cage de plastiglace, Geeko, un chimpanzé accoutré d’une combinaison de protection sur mesure, cobaye malheureux mais indispensable, avait pour mission de s’assurer que la tenue répondait aux critères de sécurité.

Hêcate et trois de ses hommes, des astronautes à la retraite remis à l’actif pour l’occasion, pénétrèrent dans le compartiment supérieur. Ils se sanglèrent méticuleusement à leurs sièges, adossés à une terne cloison cylindrique sans hublot. Cachés derrière les casques que les souffles humides occultaient par intermittence, des regards inquiets se toisaient en silence.

Les portes furent scellées. Le compte à rebours lancé.

Au terme d’une séquence interminable, Hêcate entendit le cliqueti des pinces d’arrimage annoncer le largage. Sous l’effet de l’apesanteur, il ne se rendit pas compte de la chute folle dans laquelle il était entraîné.

L’ascenseur sombrait dans une gueule pourpre béante, la trajectoire assurée par quatre câbles invisibles ; maigres cordons ombilicaux fixés entre ciel et terre.

Soudain, l’appareil rentra en contact avec l’atmosphère, secoua sa cargaison comme un mixologue aurait frappé de toute son expertise le contenu de son shaker. Hêcate serrait les dents à les faire grincer, s’aveuglait de toute la force de ses muscles orbiculaires, convaincu qu’il souffrirait d’improbables courbatures au visage le lendemain.

Bien que les boucliers thermiques fassent leur office, la chaleur l’accablait. Le souffle court, il se sentait étouffer sous sa combinaison. Il s’imaginait l’ascenseur, rougit sous l’effet des frottements de l’air, transformé en comète à la traînée écarlate.

Pour la première fois depuis longtemps, le doute s'immisça en lui.

Mais sans prévenir, le silence et le calme chassèrent ses inquiétudes.

Les aérofreins de l’appareil se déclenchèrent. Les quatres hommes se sentirent écrasés dans leurs sièges, tandis qu’estomacs et tripes persistaient à vouloir s’échapper par les rectums contractés. Les rétrofusées se réveillèrent dans un tumulte assourdissant, transformant les secondes en minutes. Peu à peu, l’ascenseur atteignit une vitesse de décélération supportable. L’estomac d’Hêcate retrouva la place qu’il n’aurait jamais dû céder.

Enfin, avec une délicatesse à laquelle il ne s’était pas préparé, il sentit l’ascenseur entrer en contact avec le sol. Ses tympans, bouchés par le brusque changement d’altitude, sifflaient de façon insupportable. Le silence enveloppa les quatre hommes aux traits fatigués.

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