Chapitre 2 –Ce que l'on ne choisit pas

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Elle n’a pas toujours été là.
Avant l’encre.
Avant la plume.
Avant les mots gravés à jamais sur sa peau.


Elle vivait au bord du bois de Marelune, dans une maison basse entourée de brume. Son père était verrier. Sa mère, muette depuis l’enfance, brodait des fleurs invisibles sur des tissus trop clairs.
Un jour, ils sont venus. Trois silhouettes en manteaux gris, leurs bottes maculées de boue sèche. Ce n’était pas un hasard. Chaque année, dans les provinces reculées, un recensement discret était effectué auprès des enfants de dix à treize ans. Ils disent que l’encre reconnaît les siens, même lorsqu’ils ignorent tout d’elle.


Caëlyn n’avait jamais touché à l’encre. Elle ignorait même jusqu’à son odeur. Mais lors du recensement annuel, on lui avait demandé de tenir une simple perle de verre trempée dans une goutte d’Ysériade figée. Un test banal, sans danger, que la plupart des enfants échouaient sans effet. Chez elle, la goutte s’était mise à frémir. Juste un tressaillement. Mais suffisant pour faire reculer l’un des examinateurs. Ils s’étaient regardés. Puis avaient hoché la tête. Elle était apte.


Ils l’ont emmenée loin de Marelune, jusqu’à la Haute Institution des Scribes, entre les falaises d’Ysma. Là-bas, ils étaient cinq. Cinqs enfants sélectionnés. Pendant deux ans, ils ont appris à reconnaître les encres, à respirer au rythme des phrases, à composer les émotions justes. On leur montrait comment l’encre vivait dans la peau, comment elle s’accrochait, comment elle parlait. Mais surtout, ils les observaient. Chaque jour. Chaque nuit. Et quand ils ont vu que Caëlyn, elle, pouvait tracer sans trembler, sans erreur, sans jamais s’effondrer… ils ont compris qu’elle était différente. Une Scribe parfaite. Parce qu’elle ne ressentait rien. Les autres avaient des nausées. Des vertiges. Parfois des émotions résiduelles restaient. Elle, jamais.


A la fin de cette initiation, elle reçu sa plume. Une aiguille fine, tordue en spirale, forgée dans un métal sombre qui ne répond qu’à elle. Chaque Scribe a la sienne. C’est aussi ce jour-là qu’ils ont remarqué la marque dans ses yeux. Une ligne noire, verticale, comme un reflet dans l’iris. Certains Scribes n’ont qu’un halo. Elle, c’était une ligne nette.Le signe indiscutable.


Et parce qu’elle ne réagissait à rien, ils l’ont jugée parfaitement fiable. Pas dangereuse. Pas instable. Une Scribe qu’on pouvait placer sans crainte de retombée. Alors ils ont choisi Verness. Un quartier haut. Un atelier chic et discret. Un endroit calme, raffiné, fréquenté par les clients riches et silencieux. Un lieu où rien ne déborde. Où les émotions sont contenues dans leur exactitude.

Elle n’avait plus revu sa mère.


Juste un mot, une fois, par une voix qui n’était pas la sienne :


« Protège ce que tu ignores. C’est plus fragile que toi. »


Puis le silence. Le vrai.


Et là, dans la chaleur tranquille de son atelier, Caëlyn se rappelle de ce jour-là. Du poids de la plume dans sa paume. Ce soir, bizarrement, une sensation légère que ce souvenir la serre un peu.

Pas une émotion. Mais quelque chose, enfoui.

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