Chapitre 2 Léo
Au même moment à Peto au Sud-Est de Ycatán, Mexique, 23h50
Je regarde encore la télévision. Normalement je n'ai pas le droit, papa m'a dit qu'à vingt et une heures, je devais éteindre car le lendemain, il y a école. Mais je regarde un film d'action et je veux connaître la fin, alors j'ai baissé le son et je me suis assis devant la télé pour bien entendre, sans que mes parents le sachent. Je devrais défaire mon lit pour sauter dedans, si jamais j'entends papa arriver, mais je suis tellement pris dans mon film que je n'ai pas envie d'en louper un morceau.
Mais soudain, j'entends un grand bruit en bas, vite, je coupe la télé et la lumière, je sais que ce n’est pas papa, il ronflait il y a encore deux minutes, en plus, je viens de l'entendre se demander ce qu'était ce bruit. Donc, j'entrebâille discrètement la porte de ma chambre, elle se situe au fond du couloir, celle de mes parents est juste en face de l'escalier. Je vois trois hommes tout en noir monter les marches et entrer dans leur chambre. J'entends maman crier et mon père supplier. J'ai peur, mes yeux parcourent ma chambre pour savoir où me cacher. Avec papa, c'est un jeu auquel on joue souvent tous les deux, j'ai toujours de supers cachettes mais là, je suis figé par la peur, je n'arrive pas à réfléchir avec les cris de maman et ceux de papa. Les larmes dévalent mes joues, je voudrais aller les rejoindre mais je sais qu'il ne faut pas. Alors, j'ai une idée, la dernière fois que je me suis caché, papa a eu du mal à me retrouver. J'étais sous mes jouets dans mon coffre, j'espère que les méchants ne me trouveront pas non plus.
Je n'ai pas beaucoup de temps, je vois un homme sortir de la chambre de mes parents et commencer à ouvrir les portes sur son passage, en remontant le couloir vers moi. Je me précipite dans mon coffre, en essayant de faire le moins de bruit possible, lorsque je me recouvre de mes peluches. Je mets ma main devant ma bouche, pour pas qu'il entende ma respiration, puis je regarde à travers les petits espaces que laisse l'osier. L'homme entre dans ma chambre, il a une cagoule sur la tête, mais je vois une étoile noire dessinée au coin de son œil gauche. Sur ses mains, je vois aussi des tatouages sur ses doigts, des têtes de mort et des bagues également en tête de mort. Je coupe ma respiration lorsqu'il passe près du coffre et qu'il regarde sous mon lit. Je ne bouge plus... il vient vers moi... s'arrête... puis soulève le couvercle... j'attends... et puis... il referme... ouf... je le vois ressortir et crier.
— No hay nadie, el niño está quizás en casa de un amigo. Su cama no está deshecha*, dit-il
— Vámonos antes de que venga la policía *, répond un autre homme
J'attends encore un peu, quand le silence est revenu dans la maison, je lâche ma respiration bruyamment, je tremble de tous mes membres. Je n'ose pas bouger, pourtant je pense qu'ils sont partis mais j'attends... papa viendra bien me dire de sortir de ma cachette, que les méchants sont partis... j'attends... et je m'endors...
J'ouvre les yeux... je vois à travers l'osier que le soleil a envahi ma chambre. Mince, j'ai loupé l'école on dirait, papa n'est pas venu, c'est bizarre. Je soulève doucement le couvercle de ma cachette et me débarrasse de Tigrou, ma grosse peluche, qui me recouvrait avec plusieurs autres. C'est silencieux dans la maison. Je sors une jambe après l'autre, referme tout doucement mon coffre et sur la pointe des pieds, je me dirige vers la porte de ma chambre. Je l'entrebâille, vérifie que les hommes en noir sont vraiment partis. Comme je n'entends toujours rien, j'entrouvre un peu plus grand la porte, me faufile jusqu'à celle de mes parents. Normalement, je n'ai pas le droit de rentrer sans frapper, mais là, j'ai peur. Et si les messieurs étaient revenus dans leur chambre ? Je suis sûr qu'ils ont fait du mal à maman, je l'ai entendue pleurer et papa aussi, il criait.
Je décide après avoir collé mon oreille contre la porte, de baisser tout doucement la poignée, car si papa et maman dorment, je vais me faire gronder. J'entrebâille lentement la porte et je passe ma tête. Le choc me fait trébucher et tomber vers l'avant, la porte s'ouvre en grand et moi je me retrouve à plat ventre... face... au regard de maman... elle ne bouge pas... ses yeux sont ouverts mais ses pupilles sont blanches.
— Maman ?
Je me soulève et brusquement recule à grande vitesse vers la porte en marchant sur les pieds et les mains en arrière... en arrivant à la porte je me relève et dévale les escaliers. Je tombe dans les deux dernières mais ne sens pas la douleur. J'ai cette vision dans la tête, alors je ne sens plus mon corps. J'ouvre la porte d'entrée en grand et me précipite au milieu de l'allée en pyjama et je hurle... je hurle... La voisine sort, encore en robe de chambre puis vient à ma rencontre en courant dans ses chaussons.
— Eh bonhomme, qu'est-ce qu'il t'arrive ? Mais qu'est-ce... que... c'est quoi sur ton pyjama ? Tu t'es fait mal ? Tu as du sang partout ? Enriquo ! crie t'elle pour que son mari la rejoigne.
— Que pasa* ? répond t'il.
— Es el pequeño, está sangrando *
Monsieur Martinez arrive en courant à côté de moi.
— Léo ça va ? Tu as mal quelque part ? Où sont tes parents ?
Je me retourne vers la maison et pointe du doigt la fenêtre du haut. Monsieur Martinez dit à sa femme de rester avec moi, qu'il va voir ce qu'il y a. Je tremble et mes larmes me ravagent le visage. J'entends Monsieur Martinez crier...
— Oh Dios mio* !
Je le vois sortir en courant et il se précipite vers sa maison, en demandant à sa femme de rentrer avec moi. Elle me prend dans ses bras et me porte, car je suis pieds nus.
— Que se pasa, Enriquo* ?
Mais son mari ne répond pas, il décroche le téléphone fixé au mur, compose un numéro, puis il crie dans le combiné.
— Hola policia ! Venga rápido, hubo una masacre en el 881 C39 en Peto*
Un massacre c'est quoi ? C'est comme ça que ça s'appelle ?
Madame Martinez me demande comment je vais, mais moi, je ne peux rien dire car ma bouche ne veut plus s'ouvrir.
— Enriquo, dis-moi ce qu'il se passe, por favor* ?
Madame Martinez est professeur d'anglais à l'école où je suis. C'est elle qui m'a appris l'espagnol car mes parents et moi, on vient du Texas, de Waco. Papa a été muté ici, il travaille dans l'électricité et maman elle garde des enfants. Je ne parlais pas espagnol mais seulement l'anglais. Madame Martinez parle souvent anglais avec son mari, car lui aussi vient des États-Unis. Il a rencontré sa femme ici, pendant ses vacances et il n'est jamais reparti.
— Raconte-moi ce que tu as vu ? Tu es pâle comme le petit ?
— C'est... une horreur, dit-il
— Explique toi bon sang ou faut-il que j'aille voir pour comprendre ?
— Non ! Non.
Il fait signe à sa femme de se rapprocher de lui. Elle me dépose doucement sur son canapé et se rapproche de son mari. Il lui chuchote à l'oreille ce qu'il a vu mais j'entends tout.
— Dans... la chambre de ses parents... ils... ils ont été massacrés... c'est pire qu'un film d'horreur...
— Comment ça ? Tu es sûr, il n'y en a pas un en vie ?
— Je peux t'assurer que non !
— Tu as pris leur pouls ?
— Pas besoin, dit-il
— Alors comment peux-tu en être sûr ?
— Parce que Monsieur Connor est pointé à la tête du lit...
— Comment ça pointé ?
— Pointé ! Tu veux que je te le dise comment hein ? s'énerve t'il, il a été mis les bras en croix avec une pointe au milieu de chaque paume de main et sa gorge est... tranchée.
— Oh mon dieu ! dit-elle en mettant sa main devant la bouche, mais c'est affreux !
— Ce n'est pas tout, reprend t'il en baissant toujours la voix. Madame Connor... son corps est étendu sur le lit... elle a été mise nue et...
— Quoi ? Qu'est-ce qu'ils lui ont fait ? demande t'elle des sanglots dans la voix.
— Oh mon dieu ! dit-il
— Quoi Enriquo ? Dis-moi ?
— Au sol... au sol... devant le lit... il y avait... il y a...
— Il y a quoi bon sang ?
— Sa tête... il y a sa tête !... elle a été décapitée !
Je vois Madame Martinez se précipiter dans le couloir et je l'entends vomir. Monsieur Martinez a mis ses mains sur son visage, je vois que son corps est secoué de sanglots. J'entends aussi la sirène de la police au loin, Monsieur Martinez relève la tête et se précipite à l'extérieur. Moi... et bien... je reste là sur le canapé... je regarde mes mains, elles sont sales, elles sont rouges et mon pyjama, mon préféré avec ses petits camions, il est sale aussi et rouge également. Maman ne va pas être contente...
Lexique :
* Que pasa : Qu'est ce qui ne va pas ?
* Es el pequeño, está sangrando : c'est le petit il saigne
* Dios mio!! : Mon dieu
* Que se pasa : Que se passe t'il
* Hola policia ! Venga rápido, hubo una masacre en el 881 C39 en Peto : Allo la police ! Venez vite il y a eu un massacre au 881 C39 à Peto
* Por favor : S'il te plaît
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