Chapitre 3 Léo
Vendredi 17 juillet 1998, Zamora dans l'état de Michoacán, Mexique
Les flics ont débarqué au foyer ce matin, tous les responsables couraient partout. En même temps, je ne suis pas étonné vu le bordel et les conditions de vie qu’on nous imposent.
J'ai atterri ici après le décès de mes parents. Monsieur et Madame Martinez voulaient me garder avec eux, mais les services sociaux leur ont dit que pour ma sécurité, il fallait m'éloigner de Peto, tant qu'ils n'avaient pas trouvé qui avait fait ça. Comme je n'ai pas pu parler pour dire si j'avais vu qui avait tué mes parents, les mots ne voulant toujours pas sortir, ils ont pris la décision de m'envoyer à l'abri dans un orphelinat à Zamora*, à l'ouest de Peto. Et pour être à l'abri on repassera, je suis tombé dans un véritable centre d'esclavage.
Donc ce matin, c'est une véritable fourmilière. Nous sommes à peu près six cent enfants pensionnaires ; cinq cent quatre-vingt-seize pour être exact. Quatre cent trente-huit mineurs, dont je fais partie, ayant seize ans ; cent cinquante-neuf majeurs et dix autres, dont l'âge n'a pas pu être déterminé, en raison de leur degré de dénutrition. Nous étions contraints de mendier et de dormir par terre, à même le sol parmi les rats, les punaises de lit et les puces, on nous servait de la nourriture en état de décomposition. Si nous ne ramenions pas assez d'argent, nous étions roués de coups et renfermés dans une boite, sans eau, sans nourriture, sans lumière. Même se mettre debout était impossible, c'était une boite en bois mais si vous préférez, le terme exact est un cercueil. Des dizaines étaient entreposés contre le mur d'enceinte du foyer, alignés en rang d'oignon, en plein soleil. Deux jours... le calvaire durait deux jours... Certains d'entre nous subissaient également des abus sexuels et avaient interdiction de quitter les lieux. J'ai fait partie de ceux-là pendant deux ans. Une fois lassés, ils ont préféré m'envoyer mendier. J'ai appris à voler et à tuer des rats pour les manger. Je me suis également battu pour ma survie dans les rues, lorsque des grands voulaient me prendre ma maigre recette. Plutôt mourir que de revenir les poches vides. Alors mon premier meurtre, je l'ai commis à quatorze ans.
Je mendiais ce jour-là, dans les rues de Zamora, une bande de garçons m'avait chopé et entraîné dans une ruelle sombre pour me dépouiller, c'était des grands du foyer, des majeurs. Je me suis débattu, j'étais déjà grand pour mon âge, un mètre quatre-vingt. J'avais réussi à attraper le couteau que je gardais toujours à l'arrière de mon pantalon, coincé dans ma ceinture et j'avais commencé à distribuer des coups à droite et à gauche, faisant reculer ces mauviettes. La colère m'avait alors fait basculer, j'avais revu le regard de ma mère dans cette chambre, et le corps de mon père accroché au mur, j'avais vrillé. Moi, qui ne parlais jamais, ne criais jamais... je suis devenu un monstre ce jour-là... Alors qu'ils voulaient fuir, j'en avais chopé un par le blouson, je l'avais cloué au sol, je m'étais assis sur lui, pendant que les autres s'étaient statufiés au bout de la ruelle, attendant de voir ce qui allait se passer. J'ai enfoncé mon couteau dans son crâne, entre ses deux yeux, le sang m'avait éclaboussé et avec mon doigt, j'étais venu recueillir une goutte qui longeait ma joue, puis l'avais porté à mes lèvres. C'était chaud, salé... Je m'étais relevé de ce corps inerte, puis j'avais avancé vers la sortie de la ruelle, mais il n'y avait plus personne, ils avaient fui... ils avaient dû voir ce jour-là... la démence qui s'était emparé de mon corps...
J'aurais pu m'enfuir de ce foyer me diriez-vous, mais ne pensez pas que je n'ai jamais tenté. J'étais aussitôt ramené par les autorités, ne pouvant parler de ce que je subissais là-bas, étant toujours muré dans le silence. Le problème est que les autorités ne contrôlaient jamais l'établissement, le prestige dont bénéficiait l'institution faisait que les inspections étaient moins intenses.
Mais aujourd'hui enfin, cette ville vient d'ouvrir les yeux ! Je ne sais pas par quel miracle, mais notre calvaire dans ce centre prend fin.
Nous sommes tous accueillis dans divers hôpitaux de la ville, pour effectuer tout un tas d'examens et être entendus par des psychologues. Mais les mots ne sortent toujours pas. Au vu de mes origines américaines, ils décident de m'envoyer à Waco.
Lexique :
*L'Orphelinat de Zamora a vraiment existé. Il était nommé dans les journaux, l'orphelinat de l'horreur. Certains faits ont été changés et ajoutés mais le fond est macabre quand même.
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