Chapitre 9 Shelby
mercredi 12 Octobre 2015, 20h00.
Les années défilent à une vitesse grand V. Charlie, Jamie et moi formons vraiment une vraie famille. On se charrie, on s'engueule et on se réconcilie autour d'une bière. J'ai bientôt fini mes études, je suis dans la dernière année, normalement au mois de mai, je passe l'examen du barreau. Jamais je n'aurais pensé en arriver là. Lorsque je me suis enfuie de Denver, si on m'avait dit que ma vie serait beaucoup plus belle, je n'en aurais pas cru un mot. Et pourtant, je remercie le ciel chaque soir, d'être montée dans le camion de Joe. Cet homme fabuleux qui est venu quelques fois nous rendre visite entre deux livraisons sur Las Vegas. Sans lui, Charlie et Jamie ne seraient pas devenues mes mamans...
Ce soir, Jamie et Charlie ont décidé de fêter mon anniversaire au restaurant. J'ai vingt-trois ans, voilà maintenant sept ans que je partage leur vie Elles ont décidé de me sortir car elles estiment que je bûche trop. En même temps, lorsqu'on veut réussir, ne faut-il pas travailler ? Pour elles il y a, travailler et travailler... ouais d'accord... je ne vois pas trop là.
— Ce soir, on se fait une soirée resto et boite de nuit ! me dit Charlie.
— Boite de nuit ? Vous ?
— Qu'est-ce que tu insinues jeune fille ! Je te signale qu'à quarante-trois et quarante-cinq ans pour Lilie, on n’est pas encore des vieilles, rit Jamie
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, mais je ne savais pas que vous aimiez sortir en boite ?
— C'est normal, tu as toujours le nez dans tes bouquins, renchérit Charlie...
— Rhooo... c'est bon... les jeunettes... sortez la vieille fille que je suis !
Et nous voilà dans les rues de Las Vegas. Pour marquer le coup, elles nous ont réservé une table au casino de Las Vegas.
— Waouh... c'est juste... géant ! dis-je
Nous arrivons devant un très haut bâtiment. Il fait quarante-cinq étages et cent-quatre-vingt-sept mètres de haut, je le sais car j'avais un exposé à faire sur les casinos de Las Vegas, et le Wynn est l'un des plus luxueux. Le complexe couvre une surface totale de huit cent soixante-dix mille soixante-quatorze mètres carrés. Il est placé dans le coin nord-est de l'intersection entre Las Vegas Boulevard South et Sands Avenue. Le Wynn dispose de deux mille sept cent seize-chambres et deux mille trente-quatre pour son extension. L'hôtel dispose aussi de deux boîtes de nuit, d'une salle de spectacle et de plusieurs attractions : parcours de golf, piscines, galerie d'art, concession automobile Ferrari-Maserati. Il a également une chapelle de mariage, un centre de remise en forme, un centre commercial de vingt boutiques, des restaurants et j'en passe. Des cascades sont placées devant l'hôtel, au bord du Las Vegas Boulevard.
On rentre au restaurant le Andrea's. Je découvre une grande salle tout en long, dans les tons crème. Deux marches en marbre, entourées de deux petits murets de marbre rose, d'une hauteur d'un mètre trente et d'une épaisseur de quinze centimètres, délimite l'allée avec leur main courante en inox. Le sol est en marbre blanc beige. De chaque côté de l'allée, une série de tables avec des banquettes en cuir, d'un côté et des chaises confortables avec assises en cuir, couleur blanc cassé, de l'autre. L'éclairage est fait de grands carrés de lumière, d'où pendent des suspensions en forme de gouttes d'eau. Le bar se situe dans le fond, il est dans les tons orangés, avec un dessus en plaque de verre lumineux. Les sièges de bar avec leurs dossiers sont dans les tons blanc cassé également. Un grand écran encastré dans le mur parfait le décor. Les murs sont dans les tons orangés, mêlant des nuances allant du plus claires au plus foncées. C'est juste magnifique. Nous prenons place à notre table, que Jamie avait pris soin de réserver, elle est dressée d’assiettes de forme carrée, de verres à pied en cristal et de couverts en inox. Une bougie au centre de cette dernière donne une ambiance cosy. Jamie commande une bouteille de champagne pour fêter mes vingt-trois ans puis vient ensuite la valse des plats.
Un combo de fruits de mer avec cocktail de crevettes, huîtres et palourdes sur la demi coquille. Puis nous enchaînons sur un ragoût créole, avec de la saucisse, du gombo et des fruits de mer, tout cela servi avec du riz cuit à la vapeur. Nous finissons par une crêpe à la fraise et au chocolat, ainsi qu'une boule de vanille au centre et de la chantilly sur le côté.
— Je vais exploser ! dis-je, je n'ai jamais autant mangé. Je vais finir par rouler sous la table.
— C'est vrai que c'était copieux. Au moins, tu t'en rappelleras, me dit Charlie.
— Je n'avais pas besoin de ça pour m'en rappeler toute ma vie... le lieu est juste magnifique... et ce cadeau est juste extraordinaire ! crié-je en levant les bras au ciel.
Sauf que je n'avais pas vu la serveuse qui revenait avec un pichet d'eau. Euh... comment terminer une soirée ayant si bien commencée, par une bourde ?
— Mon dieu ! dit la serveuse.
— Oh, je vous assure que Dieu n'y est pour rien, dis-je ennuyée.
Car le pichet d'eau a atterri dans le décolleté d'une dame d'un certain âge, assise derrière moi, oups...
— Argh ! Mais vous ne pouvez pas faire attention, bougre d'idiote ! l'invective la femme.
— Veuillez m'excuser, dit la pauvre serveuse.
— Ce ne sont pas vos excuses qui vont changer quoi que ce soit ! continue t'elle en criant.
Et mince... je me retourne vers la cliente.
— Écoute la vieille c'est bon, on ne va pas en faire tout un plat non ! Elle s'est excusée qu'est-ce que tu veux de plus ? Qu'elle vienne te lécher les mamelons pour retirer l'eau !
— Shelby ! disent Jamie et Charlie
— Oh ! Quelle horreur, dit la cliente.
— Horreur ? Ça dépend pour qui ! A priori, un p'tit coup queue, vous f'rez pas d'mal et vous décoincerez les lèvres du cul ma cocotte !
— Mais comment osez-vous ?
— Il faut bien que quelqu'un vous remette à votre place, vous et votre égo démesuré. Vous vous prenez pour la duchesse de je ne sais quel palace ?
— Mais... mais... bégaie t'elle.
— Oui c'est bien ce que je disais, mémé... t'as pas fait la guerre ou quoi ? Oh non, d'après ta tête, tu devais être planquée derrière les couilles de ton mari.
— Shelby, ça suffit ! me dit Charlie, on s'en va !
— Oui M’man, t'as raison, ça pue le renfermé ici !
La vieille a la bouche ouverte et est en état de choc, la serveuse se retient comme elle peut pour ne pas éclater de rire.
— Ferme ta bouche mémé, sinon c'est le dentier qui va finir dans ton décolleté, finis-je par dire en partant.
Je l'entends derrière moi, vociférer que c'est un scandale, qu'on laisse rentrer n'importe qui dans ce restaurant, que plus jamais elle ne mettra les pieds ici et patati et patata... et moi, je me marre.
Une fois à l'extérieur mes deux mamans se retournent vers moi.
— Non mais sérieux Shelby ? D'où te vient ce langage ? On ne t'a jamais entendu parler comme ça !
— Oui et bien, y'a parfois des circonstances qui font ressortir le meilleur de vous.
— Le meilleur, dit Jamie, je dirais plutôt le pire.
— Ça dépend à quelle place on se met, dis-je.
— Et bien à la place de cette pauvre femme que tu as laminée par exemple.
— Rhoo... elle va s'en remettre. La serveuse était plus à plaindre, c'est de ma faute si elle a béni l'autre dinde !
— Et bien, de mieux en mieux, ma chérie, on aura tout entendu. Franchement « te lécher les mamelons », « décoincer les lèvres du cul » et quoi encore ? Ah oui « Le dentier dans le décolleté » ?
— Oui, je me suis un peu lâchée c'est vrai, dis-je en baissant la tête et en raclant le sol avec mes chaussures.
— Lâchée ? dit Lilie
— Explosée oui ! renchérit Jamie.
Et là, elles éclatent de rire. Un fou rire comme je ne leur en n'ai jamais vu. Elles en pleurent même.
— Bon et bien, je vois qu'au moins je n'aurais pas gâché toute la soirée.
— Gâché ! pouffe Charlie. Je n’ai jamais passé un aussi bon moment, rit-elle de nouveau avec Jamie. Tu as éclairé notre fin de repas ! c'était à mourir de rire !
— C'est vrai ? Vous m'aimez toujours alors ?
— On t'aime ma fille, on t'aime ! disent-elles ensemble.
Et nous voilà déambulant dans les rues de Las Vegas, inutile de dire que pour la boite de nuit au Wynn c'était mort ! Donc, elles ont décidé qu'on allait s'éclater ailleurs.
— Quelle soirée ! dit Charlie en prenant Jamie par la main.
Et puis, il y a devant nous... deux mecs... Ils sortent d'une ruelle... deux mecs assez grands mais pas très carrés. Ils sont habillés de noir... et portent une capuche sur leur casquette et un cache nez. C'est quoi ce délire ? L'un deux porte une cicatrice sur le sourcil gauche, son œil est blanc, comme mort. Sur sa main droite, je peux distinguer une croix gammée mais pas plus, Jamie me cache avec son corps.
— Alors les gouinasses, on se promène ?
— Connard, ne puis-je m'empêcher de dire.
— Shelby, s'il te plaît, pas maintenant, me dit Charlie.
Je sens que sa voix transmet sa peur.
— Oui Shelby... pas maintenant ! reprend le mec, nous barrant toujours le passage.
— Qu'est-ce que vous voulez ? dit Jamie, me protégeant de son corps.
J'essaie de passer sur le côté mais elle m'en empêche.
— Qu'est-ce qu'on veut... et mec ? d'après toi qu'est-ce qu'on leur veut ?
— Écoutez, on n'a pas beaucoup d’argent sur nous mais on vous donne tout ce qu'on a, ok ?
— Na na ni... na na na... on n’a pas de frics... répète l'autre gars.
Punaise, ça sent pas bon. Je regarde derrière moi pour savoir si je peux demander de l'aide, car pour le coup, je ne le sens pas du tout. Ne voyant personne pour venir à notre aide, je sors discrètement mon portable pour appeler les flics, je compose le numéro et j'entends que ça a décroché.
— Et toi derrière ! qu'est-ce que tu fous ?
— Rien ! je ne fais rien ! dis-je.
— Lève les mains ! fait il en sortant un flingue de derrière son dos.
— oh... oh ! dit Lilie, on se calme... prenez tout ce que vous voulez ok ?
Charlie a levé les mains en l'air, en essayant de les apaiser, mais j'ai l'impression que ces mecs ne cherchent pas vraiment des tunes, ils cherchent à se faire des lesbiennes, ils sont homophobes, ces enfoirés.
— Qu'on se calme ? Sale petite pute ! Tu nous sens énervés là ? Espèce de saphique* !
D'accord, ils sont vraiment homophobes.
— Écoutez, on ne veut pas d'histoire ok ? On va faire demi-tour et on va rentrer chez nous.
Il claque la langue contre le haut de son palais, comme pour nous dire, non non non
— On n'en a pas fini avec vous, sourit-il.
— Bon stop, j'ai appelé les flics ! crié-je en levant mon bras en l'air au-dessus de la tête de Jamie.
— Salope ! me hurle l'un des gars, celui qui a la croix gammée et l'œil de verre.
Et il tire... Jamie tombe... Charlie crie puis court vers le connard qui vient de tirer sur Jamie pour... et bien... je ne sais pas... Que peut-on faire face à une arme ?... rien... il tire... et moi, je tombe... je tombe à genoux... et je hurle... je hurle...
— Maman ! Maman !
Les mecs partent en courant, moi je reste là, agenouillée sur le bitume, à côté du corps sans vie de Jamie et celui plus éloigné de Charlie... Je hurle ma souffrance car je sais, qu’aucune d'entre elles ne s'en est sorties, en témoigne, le trou dans le front de Charlie et celui dans le cœur de Jamie... je hurle... toute la douleur... toute ma souffrance....
Les pompiers ont dû arriver, je sens qu'on me relève et qu'on m'entraîne... mes yeux sont toujours posés sur l'emplacement où sont tombés leurs corps... à ces deux mares de sang... ma vie vient de s'arrêter... par ma faute... ne jamais aimer... ne jamais s'attacher... mon dieu... qu'on me laisse mourir sur ce trottoir... qu'on me laisse... car je n'ai plus rien... je ne suis plus rien... je ne vaux plus rien... ma vie est morte ce jour du douze octobre deux mille quinze, sur ce trottoir de Las Vegas.
Lexique :
Saphique : synonyme de Lesbienne.
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