Chapitre 2 : le sacrifice de la princesse
La sensation de l'air fendu dans mon dos me pousse à effectuer un looping pour éviter l'objet qui en est la cause : une flèche !
Je jette un coup d'œil à mes poursuivants. Les créatures masquées de noir continuent de courir dans ma direction, mais des individus similaires se sont ajoutés à eux. Munis d'arcs et de carquois emplis de flèches, ils bandent leurs armes pour se préparer à me tirer à nouveau dessus. Leur teint pâle et leurs iris écarlates ne laissent aucun doute sur leur appartenance raciale : ce sont des vampires. J'ai entendu bon nombre de rumeurs sur eux, nées des informations apportées par les animaux faisant halte à Gaïa. Ils seraient les pires créatures de l'océan, si ce n'est du monde. Assoiffées de sang et prêtes à tout pour s'en procurer, elles ne reculent devant aucune abomination pour atteindre leurs objectifs. Je tremble rien qu'à l'idée de finir entre leurs mains. Je n'en ressortirai certainement pas vivante. . . Cette idée me pousse à repartir de plus belle.
Les hippocornes.
Je dois les rejoindre si je veux rentrer saine et sauve sur notre île et, surtout, la soigner du mal qui la ronge. La survie de mon peuple en dépend.
La sensation de l'air fendu m'alerte à nouveau. Cette fois, ce n'est pas une, mais cent flèches qui s'abattent sur moi. Remarquant deux rochers non loin de moi, je ferme les yeux pour les supplier :
"Protégez-moi, je vous en prie ! La survie de mon île et de mon peuple dépendent de la mienne !"
Cédant à ma prière, ils s'étendent soudainement pour barrer le passage aux flèches, qui se logent en eux.
"Attention !" me hurlent les hippocornes, me poussant à me retourner.
Plusieurs shurikens virevoltent dans ma direction. Pendant que je parais les projectiles de leurs camarades, mes premiers poursuivants en ont profité pour me contourner. Surprise, je n'ai que le temps de placer mes bras en bouclier devant moi. Les lames entaillent ma chair toutes en même temps, m'arrachant un cri de douleur et me faisant lâcher prise sur l'objet que je tenais fermement serré dans ma main. Ce dernier tombe au milieu des coraux.
- Oh ! Non ! Le cristal ! m’exclamé-je en me précipitant au sol pour le récupérer.
- Le cristal Cloacina ? demandé-je.
- Oui, confirme la reine. C'est un artéfact tout aussi puissant qu'ancien. Certains disent qu'il ne s'agit que d'une légende, mais. . . C'est peut-être notre seule chance de salut. Il a le pouvoir d'aspirer et de contenir en lui toutes sortes de maux, des mauvais sentiments jusqu'aux maladies les plus mortelles. Avec lui, nous serions certains de pouvoir soigner notre précieuse Gaïa.
- Je ne comprends pas ! s'écrie Pomme. Qu'est-ce qui l'a mise dans cet état ?
- Les mers et les océans sont devenus si pollués qu'ils ont empoisonné petit à petit notre tortue géante, lui explique mon père.
- Et ni vous, ni Aïna, n'êtes en mesure de la soigner malgré vos puissants pouvoirs de guérison ?
- Hélas, quand bien même nous la soignerions, elle retomberait aussitôt malade tant qu'elle reste dans cette eau impure. Pour qu'elle soit hors de danger, il faut purifier les mers et les océans et seul Cloacina le peut.
- Tss ! Maudits humains ! grogne Violette. Ce sont eux qui polluent la Terre, c'est de leur faute si nous en sommes là !
Toutes les fées présentes approuvent les dires de mon amie à grand renfort de protestations contre les humains.
- Silence ! les coupe notre reine de sa voix ferme et autoritaire. Blâmer ces mortels ne nous sortira pas d'affaire. Nous devons agir pour sauver notre île avant qu'il ne soit trop tard.
- Où se trouve ce cristal, Maïwen ? lui demande notre roi.
- Il est caché dans les profondeurs de l'océan, dans une grotte sous-marine protégée par une barrière de corail.
- Ces indices sont bien maigres face à l'étendue du territoire marin, constate mon père, mais les animaux l'habitant pourraient nous en dire plus.
- Tu penses à une espèce en particulier ?
- Oui. Les hippocornes. Comme leurs cousines terrestres, ils sont reconnus pour leur pureté inégalable, ce qui n'est pas sans lien avec ce que nous cherchons. Je ne pense pas que ce soit un hasard s'ils ne vivent que là où poussent les coraux.
- Il faudrait donc partir à la recherche d'hippocornes pour s'assurer qu'ils savent où est le cristal et, si tel est le cas, leur demander de nous guider jusqu'à lui.
- Je vais le faire, déclaré-je sans réfléchir. C'est mon devoir, en tant que princesse, de protéger mon peuple en le sauvant de cette menace, ajouté-je en plaçant ma main sur ma poitrine avec assurance.
Tous les regards convergent vers moi, tandis que le silence s'installe. La reine plonge ses yeux bleus dans les miens pour me répondre :
- C'est hors de question. Cette mission est risquée. Le monde extérieur est différent de celui que tu as toujours connu. Il est dangereux, cruel et sans pitié. Tu n'es clairement pas prête pour l'affronter.
- Cette mission est au contraire l'occasion de prouver à tous, mais surtout à toi, que je suis apte à gouverner Gaïa. Je ne veux plus que tu doutes de moi et de mes capacités. S'il te plaît, laisse-moi te prouver que je prendrai bien soin des nôtres, la supplié-je en prenant sa main entre les miennes.
- Ça suffit, Aïna, dit-elle calmement en retirant doucement sa main de la mienne. Je te connais mieux que quiconque. Je t'observe depuis ta naissance, il y a vingt-et-un ans. Tu passes tes journées à rendre service aux habitants de cette île depuis que tu sais voler. Tu aides quotidiennement ton père à soigner nos malades et nos blessés depuis que tu t'es éveillée à tes pouvoirs de guérison. Ton temps libre, tu le passes à t'amuser avec tes deux amies depuis votre rencontre. Je ne te reproche pas ces choses, qui sont positives. Le souci est que tu n'as pas laissé de place à ton devoir : t'endurcir pour te préparer à porter l'avenir de notre peuple sur tes épaules. Et maintenant, tu souhaites affronter un monde face auquel ta bonté sera une faiblesse ?
- Une faiblesse ? répété-je avec étonnement et une certaine incrédulité.
Comment une qualité peut-elle être une faiblesse ?
- Je te l'ai dit : le monde est cruel et sans pitié. Tu as eu la chance de grandir dans un sanctuaire protégé où tous les habitants sont bienveillants les uns envers les autres, mais à l'extérieur, les personnes naïvement altruistes comme toi sont vouées à mourir prématurément. Je vois à ton regard que tu n'en avais même pas conscience. Comprends-tu maintenant pourquoi je ne peux te laisser aller chercher ce cristal ?
Ce que je comprends, surtout, c'est que je ne parviendrai pas à la faire flancher, alors je me tourne désespérément vers notre souverain :
- Père. . . N'est-ce pas toi qui me disait que je devais lui montrer qu'elle peut croire en moi ?
Il nous regarde toutes les deux, une à une, avec hésitation, puis propose à sa femme :
- Il est vrai qu'elle doit faire ses preuves, mais je ne souhaite pas non plus la mettre en danger, alors si nous coupions la poire en deux en l'autorisant à aller chercher ce cristal sous bonne garde ?
- Tu ne parles pas sérieusement, Bélonn. . . Aïna n'est pas prête pour quitter notre île. Elle pourra faire ses preuves le jour où elle ne fuira plus les entraînements de combat en comprenant enfin qu'une reine doit parfois savoir faire preuve de dureté et de violence pour protéger son peuple. En attendant, c'est moi qui irai chercher Cloacina.
- Mère. . .
- Il suffit, Aïna ! me réprimande-t-elle durement. Tu es en train de manquer de respect à ta mère et souveraine !
- Oh ! Je suis désolée, m'excusé-je en plongeant dans une révérence. Je ne voulais pas. . .
- Monte te reposer pendant que nous choisissons les braves fées qui m'accompagneront.
Je m'éloigne, docile, en direction de l'escalier creusé dans l'arbre géant. Plante la plus imposante de l'île, le palais pousse directement au-dessus du coeur de Gaïa. Il est le premier végétal à être apparu sur cette île et le dernier qui en disparaîtrait si jamais. . . Mais je ne laisserai pas ça arriver. Quoiqu'il m'en coûte, je sauverai ma patrie. C'est mon rôle en tant que princesse.
Je saisis le cristal et m'assure qu'il n'est pas endommagé. Heureusement, ce n'est pas le cas. Je reprends aussitôt mon envol, évitant de justesse un vampire et son sabre. À l'extérieur de la bulle d'air, les hippocornes continuent à m'encourager :
"Plus vite ! Plus vite ! Tu y es presque !"
Je continue de voler de toutes mes forces, zigzaguant pour empêcher mes poursuivants de me viser correctement. Je ne suis plus qu'à quelques tirs d'ailes de mes alliés lorsque l'une des flèches se plante dans ma jambe. La douleur m'arrache un hurlement et déstabilise mon vol. Je roule au milieu des coraux. Les imperfections des rochers entaillent encore ma peau, mais mes ailes restant indemnes, je parviens à reprendre mon envol aussitôt que je remarque la horde de vampires qui tentent de se jeter sur moi. Ce mouvement d'esquive me rapproche encore de mon objectif : plus qu'un battement d'ailes et je serai hors de danger. Seulement, je ne peux pas partir sans le cristal, qui m'a encore échappé pendant ma chute.
Malgré les protestations des hippocornes, je retourne le chercher, échappant pour cela de justesse à quelques vampires grâce à mon agilité féerique, puis me redirige vers eux. Alors que je suis sur le point de quitter la bulle d'air, je tends la main à l'un des hippocornes m'attendant de l'autre côté en lui adressant un large sourire, qui s'efface aussitôt que je sens un lourd poids s'abattre sur moi. Cette fois, j'ai le bon réflexe de resserrer ma poigne sur le cristal pour l'empêcher de m'échapper à nouveau. Aussitôt que je touche le sol, je le lance de toutes mes forces en direction des hippocornes en leur criant :
- Je vous le confie ! La survie de Gaïa et du peuple des fées dépend de vous !
L'un d'eux le saisit en enroulant sa queue autour, puis tous me lancent un regard inquiet.
- Il ne faut pas vous soucier de moi ! La survie de Gaïa est plus importante !
Ils semblent hésiter pendant une seconde, puis s'éloignent aussi vite qu'ils le peuvent, à mon plus grand soulagement. Ce n'est qu'alors que je tourne la tête vers mon assaillant.
Un millier de chauve-souris m'immobilisent au sol. Elles commencent lentement à s'assembler pour former un corps. Celui d'un homme à la musculature si développée qu'elle est clairement apparente sous ses vêtements. Il a de courts cheveux bruns, qui jurent avec sa peau pâle, et la seule imperfection de son visage est sa cicatrice sur le nez. Son regard écarlate me toise cruellement, jusqu'à ce qu'il croise le mien.
Quelque chose semble alors changer. L'étonnement remplace la cruauté, puis laisse place à une infinie tendresse, qui me trouble. Sans me lâcher, il desserre son emprise sur moi. Je pousse un soupir de soulagement, car il me faisait vraiment mal tant il me plaquait fort contre le sol.
Le vampire m'observe de haut en bas pendant quelques secondes encore, tandis que tous mes poursuivants se réunissent autour de lui.
- Seigneur de Clairecorail, les hippocornes se sont enfuis avec un cristal qui semblait d'une grande importance. Que devons-nous faire ? lui demande l'un d'entre eux.
- Qu'importe le cristal, réplique-t-il, révélant deux canines effilées qui me donnent des frissons. Nous avons mieux : une fée. Personne n'en avait plus vu depuis la fin de l'Aube Écarlate. Celle-ci semble capable de commander aux éléments. Sa Majesté serait ravie de l'avoir à son service, j'en suis certain.
- Jamais je ne me plierai à la volonté de votre monarque ! le préviens-je. La seule reine qui peut me commander est ma mère, Maïwen, souveraine de Gaïa et du peuple des fées !
- La fille de la reine des fées ? dit le noble avec un sourire triomphal. Vous êtes donc la princesse des fées. . . C'est encore mieux que je ne l'escomptais ! Némésis me récompensera certainement pour un tel cadeau et je saurais quoi lui réclamer. . . Les menottes ! ordonne-t-il à l'un de ses hommes.
Il les passe autour de mes poignées. Je sens aussitôt ma hanche droite refroidir, jusqu'à devenir glacée. Ma marque !
- Ces menottes ont été spécialement conçues pour vous empêcher d'utiliser votre magie. Cela ne sert donc à rien de vous débattre.
En réalisant que je suis à la merci de ces terribles créatures, et malgré mon soulagement de ne pas être déjà morte, les paroles de Pomme me reviennent en tête :
"Ensemble, nous réussirons !"
Et si elle avait raison ? Aurais-je dû accepter leur demande ?
J'attache ma cape par-dessus ma longue robe verte à l'aide d'une broche ornée d'une fleur rose, m'empare d'un sac en feuilles de nénuphar comportant quelques provisions et effets que je crois indispensables à mon voyage, puis tire le rideau menant sur mon balcon. J'ai d'ici une vue splendide sur mon île. Les arbres géants nous servant d'habitations s'étendent à perte de vue, éclairés par la lune, les étoiles et les lucioles qui sortent par milliers à la tombée de la nuit. Seules les montagnes délimitant la carapace de la tortue géante les dépassent. J'entends les cigales et les grenouilles chanter, berçant les fées de leur douce mélodie. Tout est calme et paisible. J'en oublierai presque la maladie qui ronge Gaïa, menaçant toutes les créatures vivant sur son dos.
En repensant à ce danger imminent, je me dépêche de faire apparaître mes ailes de libellule pour m'envoler au milieu des lucioles. Celles-ci poursuivent tranquillement leur chemin, nullement dérangées par ma présence. Il faut dire que la relation entre les fées et les animaux est puissante. Nous sommes les seuls humanoïdes capables de communiquer naturellement avec eux. C'est peut-être la raison pour laquelle nous sommes aussi les seuls à les traiter comme nos égaux, gagnant ainsi aisément leur respect et leur confiance.
Quoiqu'il en soit, il ne me faut que quelques minutes pour atteindre les montagnes délimitant notre territoire. Je me pose sur l'une d'elles et admire les flots s'étendant de l'autre côté. Dans l'obscurité de la nuit, ils se confondent avec le ciel dont ils prennent la couleur. Reflétant la lune et les étoiles, ils forment un miroir naturel que seuls les remous de l'eau me permettent de différencier du vrai ciel. C'est beau et en même temps terrifiant, car je ne sais que peu de choses du monde qui s'étend à l'extérieur de notre île, mais je suis prête à affronter l'inconnu pour la sauver.
Au moment où je m'apprête à reprendre mon envol, deux voix que je ne peux que reconnaître m'interpellent :
- Aïna !
Je me retourne pour faire face à mes deux meilleures amies et constate avec surprise qu'elles portent aussi des capes et des sacs.
- Que faites-vous ici, toutes les deux ?
- Tu ne pensais tout de même pas que tu nous duperais avec ta jolie révérence. . . répond Violette en posant une main sur sa hanche. On te connait bien, Aïna. On savait que tu braverais l'interdiction de Sa Majesté pour aller chercher ce cristal et sauver notre île. Ta gentillesse est si prévisible. . . On comprend ta volonté de faire tes preuves et on est parfaitement d'accord avec toi sur le fait qu'en tant que princesse, c'est ton devoir de protéger notre peuple. Par contre, la reine n'a pas tort quand elle dit que nous devons assurer la survie de notre unique princesse et, surtout. . . On ferait de bien piètres amies si on ne t'accompagnait pas, conclue-t-elle en détournant la tête pour cacher son embarras.
- Violette. . . murmuré-je, touchée.
Il est si rare qu'elle exprime aussi clairement ses sentiments. . .
- Nous ne savons pas grand chose du monde extérieur, ajoute Pomme. Sortir seule serait clairement risqué, mais à nous trois. . . Ensemble, nous réussirons ! affirme-t-elle avec assurance et optimisme.
Je sens les larmes monter et leur répond d'une voix émue, accompagnée d'un doux sourire :
- Merci. Merci à vous deux. J'ai vraiment les meilleures amies du monde et c'est pour cela. . . Que je ne veux pas vous mettre en danger. Je ne veux pas risquer de perdre l'une de vous deux. Je ne le supporterais pas. . .
- Nous non plus ! s'exclame la fée aux cheveux verts. C'est pour ça que nous devons partir toutes les trois pour veiller les unes sur les autres.
- Je vous suis reconnaissante, mais je ne peux pas accepter. . .
- Écoute bien, princesse, me coupe Violette. Ce n'était pas une question ou une suggestion. On t'accompagne, un point c'est tout. C'est parti ! déclare-t-elle en avançant à grands pas du bord de la montagne.
Pomme trottine pour la rattraper. Au moment où elles arrivent à ma hauteur, je les prends dans mes bras pour les serrer fort contre moi. Nullement surprises par ce soudain geste d'affection, car j'ai l'habitude de la leur témoigner sans prévenir, elles me rendent simplement mon étreinte.
- Je suis désolée, leur murmuré-je, mais je tiens tant à vous. . . Je ne peux vraiment pas risquer de vous perdre.
Pendant que je parle, ma marque scintille, répendant une douce chaleur dans tout mon corps. Les muscles de mes amies se détendent petit à petit.
- Qu'est-ce que. . . commence Violette en bâillant.
La seconde qui suit, elles s'effondrent dans mes bras, profondément endormies. Je les allonge délicatement dans l'herbe et dépose un baiser sur chacun de leurs fronts, puis les contemple pendant quelques instants avec émotion, mon regard rose embué de larmes.
Je ne dois pas pleurer. Je n'ai pas le temps pour cela. L'avenir de mon peuple est en jeu.
J'essuie mes yeux d'un revers de bras et m'éloigne bien vite dans le ciel obscur.
Peut-être que si nous étions venues ensemble, nous aurions pu nous en sortir toutes les trois en unissant nos forces. Pourtant, je ne regrette rien, car je n'aurais jamais pu garantir leur sécurité autrement. Peu importe si je suis en danger, l'essentiel est qu'elles soient saines et sauves.
- Vous êtes blessée, constate le vampire, interrompant le fil de mes pensées.
- Je ne le serais plus depuis longtemps si ces menottes n'entravaient pas ma magie ! cinglé-je en lui lançant un regard noir, ce que je n'avais encore jamais fait auparavant.
- Une maîtrise des éléments doublée d'un pouvoir de guérison. Votre magie semble puissante. La reine en sera ravie, mais elle apprécierait moins de recevoir un cadeau abîmé. . . Nous passerons par ma demeure pour vous soigner avant de nous rendre au palais de Sa Majesté.
Sur ces mots, il me porte dans ses bras pour se rendre dans son château, bâtisse rustique, mais imposante, visible au loin. Construit sur le point le plus haut de la barrière de corail, il domine les alentours. Je suis conduite dans ce qui semble être un salon, dont les murs sont ornés de tableaux de son propriétaire et de ce qui doivent être des membres de sa famille, au vu de la ressemblance. Autour de la cheminée sont fixées les têtes de différentes créatures marines magiques. Je les fixe avec des yeux écarquillés d'horreur, lâchant même un cri.
- Oh. . . C'est ma petite collection personnelle qui vous met dans cet état ? s'enquiert-il avec un sourire amusé en me reposant au sol.
- Est. . . Est-ce que ce sont vraiment. . . balbutié-je, sous le choc.
- Oui. Ce sont mes trophées de chasse. Je recherche les êtres marins magiques les plus puissants pour accrocher leurs têtes dans mon château. Ceci n'est qu'une maigre part de ma collection.
- Vous n'êtes qu'un monstre ! lui lancé-je d'une voix scandalisée.
- Ha ha ha ! Je suis prêt à devenir le pire d'entre tous pour obtenir ce que je veux. . . dit-il avec un regard étincelant de cruauté en caressant une mèche de mes cheveux entre ses doigts.
- Je vous interdit de me toucher ! lui ordonné-je en secouant la tête pour briser le contact entre nous.
- Je ne pourrais pas vous soigner autrement, réplique-t-il en me forçant à m'asseoir sur un canapé.
C'est, à ma plus grande surprise, avec des gestes d'une infinie douceur qu'il panse mes blessures, mais je ne me laisse pas attendrir : quelqu'un qui tue des êtres vivants pour le plaisir de s'en vanter n'est pas digne de confiance.
Une fois qu'il finit de s'occuper de moi, il rédige une lettre, qu'il referme soigneusement à l'aide d'un sceau représentant un taureau au milieu des vagues, et le confie à l'un de ses serviteurs en lui ordonnant :
- Ce message doit parvenir à la reine au plus vite et la réponse doit m'être livrée plus rapidement encore.
Le vampire s'incline docilement et sort avec la lettre au pas de course.
J'assiste à tout cela avec impuissance, mains liées et magie entravée. Même courir ou voler m'est impossible : avec le nombre de domestiques et de soldats masqués qui gardent les portes, je serais attrapée avant d'avoir quitté ce salon. Je me console en me disant qu'au moins, Gaïa et mon peuple sont sauvés, du moins si les hippocornes arrivent à destination avec le cristal. Pourvu que l'océan soit avec eux !
En attendant la réponse de sa souveraine, mon ravisseur s'installe face à moi et commence à m'interroger :
- Ce cristal que vos amis hippocornes ont emporté avec eux semblait d'une grande importance. C'est manifestement pour vous en emparer que vous êtes entrée sur mon territoire. Vous vous êtes même sacrifiée pour le leur faire parvenir. À quoi peut-il bien servir ? Pourquoi avoir risqué votre vie pour lui ?
Je détourne la tête pour lui montrer que je n'ai nullement l'intention de répondre. Si le monde apprenait que notre île est souffrante, les gens comme lui chercheront à profiter de cette occasion pour nous asservir. Gaïa est bien sûr impossible à trouver pour toute personne qui n'a pas reçu la confiance des fées, ce qui nous a permis de vivre en paix pendant de nombreuses années, mais je ne peux me permettre de faire courir le moindre risque à mon peuple. Personne ne doit connaître la situation délicate dans laquelle nous nous trouvons.
- Têtue, hein ? reprend-il, mi-amusé, mi-agacé. Qu'importe. Notre reine saura vous faire parler. Elle sait raisonner les têtes les plus dures.
Malgré ma peur à l'idée de rencontrer cette souveraine si redoutable, dont la réputation cruelle et sanglante a franchi depuis bien longtemps les montagnes de Gaïa, je garde une expression digne. Je ne veux pas donner à ce noble imbu de lui-même la satisfaction de me voir trembler.
Le temps s'écoule lentement. Le vicomte de Clairecorail, comme l'indique une inscription sous l'un de ses tableaux, ne me quitte pas des yeux une seule seconde. Je sens son regard pesant sur chaque partie de mon corps, ce qui ne fait qu'accroître mon malaise. Aussi, je vois comme une libération le moment où la porte est enfin toquée.
- Entre ! ordonne le seigneur des lieux.
Le domestique de tout à l'heure fait son entrée. Il s'agenouille précipitemment devant son maître, auquel il tend une enveloppe fermé par un sceau frappé d'une fleur de lys. Ce dernier la lui arrache brutalement pour la lire. Son regard rouge parcourt vivement les lignes d'encre noire. Un large sourire triomphal se dessine sur son visage à la mâchoire carrée.
- En route pour le palais, princesse des fées, me lance-t-il. Sa Majesté Némésis nous attend et elle déteste patienter.
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