Nostalgie...Quand tu me tiens
Je sais ce qui m'arrive aujourd'hui triste et monotone de cette fin d'août qui s'approche plus de l'automne que de l'été suffocant et jovial. L'atmosphère me pèse lourdement sur le coeur, sur l'esprit, sur l'âme, et je voudrais en pleurer mais je n'y arrive pas. Je puise dans mes larmes souvent quand ce n'est plus supportable pour moi d'avoir affaire à des émotions beaucoup trop fortes, beaucoup trop destructrices. Je cède alors aux pleurs quand bien même je pouvais juste me retenir et taire l'envie de sangloter.
Aujourd'hui, en cet après-midi au ciel délavé, aux nuages gris et épais, la froidure s'immisce sous mes vêtements d'été et gèle mon coeur d'une sensation chaude et piquante qu'est la doucereuse nostalgie. Le vent siffle, vibre, fait danser les feuilles qui se préparent à mourir, en haut la pluie attend un signe divin pour tomber ; et l'atmosphère semble se figer dans l'attente de cette délivrance alors que je demeure alourdie par le poids de ces douloureux souvenirs de toute une vie. Une vie qui, à présent, bifurque, prend un nouveau tournant dont j'ai peur de souffrir. Mais souffrir n'est pas synonyme de vivre ?
Là, au beau milieu d'un désert qui m'a toujours été familier, avec ses beaux arbres et ses verdures, cependant déserté par les perspectives d'avenir, je reste essoufflée par ma course stupide contre le temps qui s'évanouit devant l'ancien et bientôt renaîtrait du nouveau. Je me demande ce qui m'attend et souffre d'une nostalgie familière à l'égard de ce qui a été et fut. La nostalgie, sentiment détestable, sensation imprenable, hautement insupportable, qui me tire en arrière avec un souvenir, un éclat de rire, un sourire, un regard, une histoire, un amour, une amitié, une vie. Toujours à l'encontre du logique, soldat armé qui terrorise mon avenir, miroite le confort du quotidien d'autant, fait ressurgir des moments fugaces avec de vieux amis. Et je meurs d'elle en souriant à ma mère, à mon village froid et balafré. Je souris en mourant de nostalgie pour ce qui a existé et qui ne devrait plus, cependant auquel je continue de m'attacher comme s'il n'y avait plus rien à vivre après ce que j'ai vécu.
Peur de l'inconnu ? Peur de laisser tomber l'ancien pour un nouveau qui n'en vaut pas la peine ? Je ne sais pas. Ce dont je suis certaine c'est que je suis nostalgique, et ça ne me va pas du tout. Emmitouflée dans ma veste de sport dont je me vêtissais au temps joyeux du lycée, j'attends les jours flambant neuf qui miroitent à cet horizon nuageux, l'esprit plein de songes, encombré de souvenirs que je déguste à la lumière de ce réverbère devant ma maison. Cette maison-là que je vais bientôt quitter alors qu'elle a toujours été mon seul chez-moi, le seul auquel je faisais confiance pour pleurer en toute intimité. Et à présent, et dorénavant, désormais, la routine s'écroule, et en s'écroulant, me fait chuter avec elle.
Nostalgie, doucereuse nostalgie, foutue nostalgie, qui ne me laisse point de répit, qui me poursuit pour m'affaiblir, s'incruste à ma chaire, enivre mon coeur, et à la lumière du réverbère, je ne suis que nostalgie. Je me laisse aller à ces longues journées de cours fatigantes et amusantes, je me laisse aller au souvenir des différents amis que j'ai fréquentés, à ces filles dont j'ai fait mes plus proche amies, à ces garçons qui ont fait flancher mon coeur et ma tendresse. Je pense à eux, à ceux qui ont laissé un impact, à ceux qui ont tissé des souvenirs pour moi, à moi, de moi, d'eux, de nous. Le film, fugace, insaisissable, flou, intermittent, de mes jours ces trois dernières années, défile inlassablement devant mes rétines dilatées de gourmandise.
Je me vois dans cette cours que l'hiver a rendue mouillée, avec mes amies, à flâner en parlant de ragots stupides mais passionnants. Je me vois en classe au rez-de-chaussée, à quinze piges, flirtant avec ce qui devait être à cette époque l'amour de ma vie, tantôt cédant à ses regards de braise, tantôt fulminant de jalousie quand il n'était plus là pour me regarder. Je me vois étudier des maths avec un professeur à l'accent séduisant et aux yeux globuleux, de la physique, de la chimie, au beau milieu d'un brouhaha énorme, de rires de fin d'année. Je me vois triste, toute seule sur un banc, le regard hagard, l'esprit éperdu, le coeur en miettes, la confiance au plus bas. Ce qui aurait dû être l'amour de ma vie ne l'était plus.
Je me vois à dix-sept piges, derrière la balustrade, devant ma classe, dégoûtée par je ne sais quelle chose, souffrante d'un déficit de confiance. Je me vois avec mes amies, en train de rire aux éclats, à jouer au Ludo King pendant une séance de Tamazight, sous le regard amusé de la professeur. Je me vois cherchant l'attention d'un blond aux cheveux de sable que je n'ai jamais eue. Je me voix cherchant l'amitié d'un garçon dont j'ai refusé l'amour. Je me voix me cherchant dans ce brouillard qu'a été ma deuxième année au lycée. Je me vois passant mes examens finaux sous le radieux soleil de mai.
Je me vois à dix-huit piges en classe de terminal, comme un petit oiseau apeuré qui veut à la fois voler mais aussi s'en abstenir. Je me vois pleine de vie, souriante, confiante. Je me vois jeter des regards suggesifs à un garçon qui me plaisait sans que je ne sache pourquoi. Je me vois profiter de ma dernière année, à fond, sans scrupule, sans arriere-pensées puis flancher pour un homme âgé. Je me vois espérer dans l'ombre l'inespérable, l'improbable, l'irréalisable, échafaudant des scénarios absurdes, des amours insensés, une vie qui ne verra jamais le jour. Je me vois souriant à un objectif dans l'étendue d'une forêt d'Akfadou, un lac en arrière-plan. Je me vois étudier jour et nuit pour une mention. Je me vois perdre espoir. Je me vois la veille du premier examen, arpentant le couloir, désemparée, émue. Je me vois passant mon bac. Une semaine de stress et de bons moments. Une semaine où j'ai été à l'agonie un instant. Une semaine où j'ai abandonné le rêve d'une mention. Je me vois le dernier jour, repue de bonheur, repue de sérénité.
Je ne me vois plus à présent. Le film est terminé. J'ai fait le tour de mes souvenirs. Mais la nostalgie est toujours là.
Annotations
Versions