Les bruits de la nuit

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J’avais éteint la lumière pour enfin dormir et me reposer. Les draps étaient frais, dehors

l’était aussi. Pour une fois au mois d’août, le temps était froid, l’air était respirable,

l’atmosphère chargée d’électricité comme en hiver. Je fermai les yeux dans l’obscurité de

ma chambre, changeai de position quelques fois, faisant grincer mon lit dans le silence des

morts qui caractérisait ma maison. Mes pensées errèrent partout ; je me laissais entraîner

par un déluge de souvenirs, d’images que me faisait remémorer ce subconscient infatigable.

Je pensais à tout un tas de choses alors que le sommeil devenait de plus en plus lourd, de

plus en plus épais. J’allais bientôt mourir mentalement quand, du dehors silencieux et

calme, me parvint le bruit d’une porte que l’on ouvrait. Cela parut dans la nuit gigantesque et

assourdissant, néanmoins ne m’alarma point.

Je songeais encore à la vie, à ce qui m’attendait dans un futur proche, ravivais le souvenir

funeste et douloureux de mes déceptions amoureuses ; lorsque je crus entendre un

chuchotement, le bruit d’un pas sur le sol. Je sursautai et allumai la lumière, mes cheveux

ébouriffés, mes yeux peinant à s’ouvrir complètement. Ma chambre était aussi déserte qu’un

champs de mine. Je hochai la tête, un sourire moqueur sur mes lèvres, devant mon peu de

courage. Personne ne se trouvait chez moi : le bruit venait du dehors. C’étaient seulement

les bruits de la nuit. Et pourtant...

Je tendis cependant l'oreille, peu convaincue et un brin titillée par tout un tas de scénarios

que m’inspiraient les films d’épouvante. Le bruit se renouvela. Un grincement. Un pas sur le

gravier. Encore une fois. J’avais l’impression que quelqu'un faisait une balade nocturne.

Mais à une heure du matin ? Je me levai, quittai mon lit, mes pieds nus sur le carrelage froid

et dur, j’allais écouter à la fenêtre, ma respiration se faisait irrégulière, mon souffle court.

C’était de la folie. J’étais stupidement paranoïaque. Et pourtant, je demeurai là, raide comme

un piquet, espérant entendre encore ces bruits de la nuit. Un grincement. Un pas sur le

gravier. Puis tout un coup, à travers la fenêtre, une ombre difforme se caractérisa, effectuant

une danse endiablée. Je lâchai un cri étouffé, reculai si rapidement que je faillis trébucher

sur ma desserte, les yeux grands ouverts, pétrifiés d’horreur. Mon coeur battait la démesure.

Je ne retrouvai une respiration normale qu’au bout de quelques minutes de réflexion

pendant lesquelles je me rendis compte qu’un vent un peu fort avait fait bouger les branches

d’un arbre squelettique à proximité de ma chambre. Ce n’étaient que des branches, ces

longs doigts de sorcières.

Le vent était toujours aussi fort. Son hululement m’empêchait d’entendre ce qui se tramait

dans la rue. Était-ce un loup qui rôdait par-ci et par-là ? Épluchait les poubelles ?

Probablement. Ce fut avec cette conviction que je rejoignis mon lit pour m'endormir. Sauf

qu'à peine deux minutes après, un bêlement retentit dans la nuit, énorme bruit d’animal, qui

m’arracha presque à mes couvertures. Je bondis tel un ressort. Une chèvre ? Un mouton ?

Dans la nature, en pleine nuit ? Je gagnai mon poste, réussis à capter le bruit de sabots qui

martelaient le béton à une vitesse folle. Un mouton qui courait. Un mouton qui prenait la

fuite. De quoi avait-il peur ? Un loup. Sauf que cette constatation mourut aussitôt à l’entente

d’une exclamation étouffée d’un homme, d’un humain. Ce quelqu’un gémissait dehors, de

douleur. Je ne comprenais plus rien.

Le vent se fit insistant, ébranla les persiennes. Un orage n’allait pas tarder à se manifester.

J’étais encore debout. À travers les jalousies, un éclair illumina mon regard, mauve et

électrique. Puis le son cacophonique d’un tonnerre. La pluie tomba, drue et continuelle. Je

sortis de ma chambre, me retrouvai dans le couloir, mes yeux sur la porte qui donnait sur le

balcon. J’hésitais à sortir regarder. La curiosité était bien une mauvaise chose. Je tournai la

poignée, le battant grinça et me retrouvai dehors. La nuit était noire d’encre. La pluie était

sauvage, mouilla mes maigres habits en un quart de seconde. Un autre éclair déchira le ciel.

Je me collai à la balustrade en ciment, jetai un regard désespéré sur la route à présent

dégoulinante d’eau et de boue. Il n’y avait personne à part des ombres. Je regardai partout

tout autour dans l’espoir d’entrevoir une silhouette. Rien. Le mouton s’était enfui. L’homme

avait rassemblé son courage, avait surmonté cette douleur dont je ne savais rien, et était

partit.

Une frustration sans nom me gagna ainsi qu’un autre sentiment, un peu angoissant, qui me

paralysa quelques secondes. J’avais l’impression assez étrange que rien ne serait plus

jamais pareil après cette nuit-là.

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