V

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Le soleil brille de tout son éclat quand Gorneval arrive au château. Orphée est épuisé. Le jeune homme fourbu mais heureux, s’empresse de s’enfermer dans ses appartements. Hormis les gardes en lesquels il voue une confiance franche et complète, personne ne l’a vu rentrer. En ce jour important pour le royaume, il se devait d’être discret.

Arrivé peu de temps après Périnis dans la salle du trône, accompagné d’Audret, le jeune Roi s’assoit. Il regarde avec une gêne évidente, ceux que l’on appelle ses sujets, le fixer avec une déférence dont il ne peut assumer le poids. Mais très vite, son regard est attiré par le coussin de velours rouge sombre sur lequel se trouve l’épée de Lidan dans son fourreau, attachée à une ceinture. Gorneval ne peut s’empêcher de faire une comparaison entre le velours du coussin et celui de la petite banquette de Cassandre. Des souvenirs de la nuit passée lui reviennent en mémoire. Un sourire illumine son visage radieux. Périnis qui tient le coussin et qui s’avance vers son Roi avec une attention soutenue, ne le remarque pas.


Dans la salle se trouvent Audret, Emilie et Wilfried, tout comme Eléonore, Guènelon, et certains hommes de la garde personnelle. Le Roi est comblé par la présence de ses amis, mais sent malgré tout dans leur regard, l’ennui et la résignation. La parole d’Emilie lors de leur dernière entrevue, n’était pas mal formulée. Mais, tenace et obstiné, Gorneval n’a pas l’impression que cette révélation puisse entamer outre mesure, l’espoir qu’il a de voir un jour, ses amis revenir à ses cotés comme jadis il le furent.

“ Par cette épée, Gorneval III, je vous fais don des armes de Lidan et de la Vallée des Larmes. Vous devenez le garant de la vie sur vos terres, garant de leur sécurité et de leur pérennité. Acceptez-vous de n’user de cette épée que pour appliquer la justice sur ces terres ? ”

“ J’accepte ! ”

Sur ces paroles, le jeune homme reçoit des mains de son ancien maître d’arme, l’épée qu’enfant il croyait magique ou investie d’un pouvoir quelconque et qu’il convoitait secrètement. Titane, l’épée de ses chimères, repose entre ses mains comme un animal docile et se blotti au creux de sa paume. Tout à coup, c’est comme si la force de ses rêves d’enfant l’investissait, comme si au lieu de devenir le Roi de Lidan, il devenait à nouveau l’enfant qu’il était et que cet enfant franchissait la barrière qui le sépare de ses songes. Titane brille étonnement malgré la faible lumière des lieux. Et, quand il lève son arme comme il est de coutume à Lidan pour marquer la fin de la cérémonie, toute l’assistance se lève et se courbe. Le Roi prit d’une inconcevable et subite impression de domination, demande à tout le monde de se redresser. Ses joues sont pourpres et son souffle est court.


– Cet homme n’a pas l’étoffe pour devenir un Roi dominateur comme l’était Dinas. – se dit Périnis en le regardant se noyer dans son souci permanent de ne contrarier personne.

Gorneval enfile la ceinture autour de sa taille et range l’épée dans son logement. L’assistance dans son ensemble, s’en va rejoindre le gigantesque buffet. Dans le petit groupe qui se déplace, Eléonore tente de rejoindre son protégé. Elle l’interpelle alors qu’il tente de rejoindre la petite salle du fond de la pièce.

“ Votre ambition doit être comblée n’est-ce pas ? ”

“ Mon ambition était d’être guerrier et non pas Roi ! Votre mensonge m’a fait perdre ce rêve. ”

“ Il était important que vous grandissiez en dehors des soucis de ce type. Par la suite, je vous accorde que le problème a été plus délicat à résoudre que nous l’aurions voulu. ”

“ Vos apparitions se font rares ces derniers jours tant et si bien que je commençais à m’inquiéter quant à votre santé ! Il ne va donc pas sans dire que votre empressement à dialoguer avec moi, attise ma curiosité! ”

“ En effet Votre Majesté, il est des bruits qui courent dans l’enceinte de ce château que je n’aime pas colporter. Cependant, il en est qui me semblent somme toute assez singuliers et que j’aimerais vous entendre nier. Votre parole m’est chère et je crois en elle comme en ma propre parole. ”

“ Quels sont ces bruits ? Calomnie ? Injures ? ”

“ Le bruit le plus répandu entre ces murs, serait que vous ailliez une liaison avec la fille d’un palefrenier d’une cité voisine. Excusez-moi d’être si directe, mais la question est importante et votre réponse ne l’est pas moins ! C’est pour cette raison que je pense que le ton le plus franc est aussi le plus approprié. ”

Gorneval pâli ostensiblement.

“ Pourquoi la question serait-elle du si grande importance ? ”

“ Parce qu’elle influe sur l’avenir de notre cité. Répondez à ces calomnies ! ”

“ Je n’ai pas à y répondre ! ”

“ Répondez à ma question et je vous laisserais en paix. ”

Le Roi réfléchit un instant et constate que la question est si malhabilement tournée qu’elle lui laisse une issue de sortie honorable.

“ Je ne saurais répondre d’aucune liaison avec une quelconque fille de palefrenier. ”

Le visage d’Eléonore s’adoucit après avoir été traversé de diverses expressions reflétant ses inquiétudes. Elle quitte alors les lieux et rejoint les autres convives. Gorneval reste un instant seul. Depuis l’intérieur de la pièce, il peut observer le buffet. C’est ainsi qu’il remarque que Emilie et Wilfried sont déjà partis et que Audret et Périnis s’entretiennent. Accablé par la douleur de voir ses amis s’éloigner de lui, ce dernier prend sur lui et s’engage dans la foule qui l’attend.


La journée finira tristement et calmement comme il le craignait. Il accepte de moins en moins bien de rester emprisonné entre les murs du château. Il regarde le ciel dont la profondeur du bleu, le rappelle au bon souvenir de la soirée passée. Mélancolique et envieux de retrouver au plus vite sa princesse, il rentre dans ses appartements. Audret l’accompagne. Désormais, il sait qu’en dehors des jours heureux que Cassandre lui promet, le combat le plus difficile qu’il aura à livrer, sera celui qui l’opposera aux siens ; Périnis fera tout ce qui est en son pouvoir pour engager la guerre contre Lidan. Mais en tant que maître des lieux, il lui faudra toujours son appui. Gorneval qui n’est pas prêt d’oublier les gestes, les sourires et la douceur cajolante de la princesse, est plus sûr que jamais de sa position de paix. Ses pensées, après avoir fait une courte incartade dans le monde obscur de ses doutes, peuvent se tourner à nouveau vers les vertes plaines de sa passion.

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