Voilà des jours que je n’ai pas vu Carlisle qui est bien trop occupé à diriger tout un royaume.

Mais ce jour-là, alors que j’étais une fois de plus à l’Ulypsse et que je m’apprêtais à lancer une simulation sous le regard curieux des hommes qui se trouvaient déjà là, quelque chose d’assez inattendu vint se produire au moment même où je sélectionnais quelques armes posées sur un râtelier.

« Cela faisait une éternité que je n’avais pas mis les pieds dans cet endroit. À force de rester perché sur mon rocher, mes pauvres vieux os vont très vite rouiller… »

Ma parole ! C’est la voix de Carlisle !

Je me retourne aussitôt, il se tient juste derrière moi. Cela faisait un bail que je ne l’avais pas vu par ici. D’ailleurs, on ne le voit pratiquement jamais à part lorsqu’on décide de lui rendre une petite visite à l’Echénox.

Carlisle ne fréquente plus la cité, il a désormais bien d’autres préoccupations.

Je dois avouer que sa présence me manque. Et sans le vouloir et à cause de ses nouvelles fonctions, il m’a quelque peu délaissée, mais je suis bien trop fière pour l’admettre.

Je me retourne. Une conversation s’engage entre nous.

— Vous ? Ici ?

— Voyons cache ta joie mon enfant…

— Oh…veuillez me pardonner Carlisle, mais on ne vous voit plus tellement dans le coin ces temps-ci !

— J’en suis bien conscient, mais je suis assez débordé ces derniers temps. J’ai décidé de déléguer les pouvoirs au haut Conseiller Narvhïn, juste pour aujourd’hui.

— Ah oui ?

— Je suis venu prendre de tes nouvelles… Même si Thraän et les autres me font pratiquement tous les jours un rapport détaillé sur toi, il fallait que je m’assure en personne que tout va bien…

— Hein ?!

Ce qu’il vient de dire m’a fait sourire. Carlisle vient prendre de mes nouvelles et il n’a pas hésité à tout laisser pour s’assurer que je vais bien. Cela me touche énormément, car je sais pertinemment qu’il est très demandé et n’a pas le temps de flâner dans la cité.

Je l’ai vécu pendant quelques temps et pour être tout à fait honnête, être à la tête d’un empire n’a rien d’amusant.

Nous continuons de discuter pendant un long moment sous l’œil attentif des spectateurs qui sont présents dans l’endroit, mais à un moment Carlisle joue de l’ironie et décide de me provoquer un peu.

Il se tourne vers ce râtelier où des épées sont disposées. Il saisit l’une d’entre elles, observe la lame quelques secondes, puis il se lance dans une explication assez étrange : « Viv’épine, c’était son nom ! Mon père me l’avait offert lors de ma neuvième année… je ne la quittais jamais. Ma mère voyait ce cadeau d’un mauvais œil, mais mon père était convaincu qu’un jour je pourrais devenir ce qu’il avait toujours rêvé d’être. »

Carlisle me dévoile pendant un court instant un bref épisode de sa jeunesse alors que c’est plutôt inhabituel. D’ailleurs si mes souvenirs sont exacts, je ne crois pas connaître grand-chose à son sujet. Il est toujours aussi discret.

Il me dit que cette arme est sa préférée, mais ça, je le savais déjà, car Carlisle ne combat pratiquement qu’avec des épées. Mais c’est ce qu’il me dit ensuite qui me semble invraisemblable.

Carlisle m’envoie l’épée qu’il tient entre ses mains puis il en décroche une autre.

« Que dirais-tu de m’affronter ? » me demande-il d’un air enthousiaste.

Aurait-il perdu l’esprit ? Carlisle est désormais le Gouverneur. Je n’ai aucunement l’intention de l’affronter en duel et surtout pas en présence de tous ces gens dans l’Ulypsse.

Je refuse sur-le-champ. Je dépose l’épée que je tiens entre les mains sur un des râteliers à proximité, mais visiblement Carlisle n’en a pas terminé avec moi…

— Je ne vais sûrement pas vous affronter et surtout pas devant ces gens ! Et puis, vous ne devriez pas être ici. Vous devriez retourner à l'Echénox maintenant...

A ce moment-là, il me jette un regard moqueur.

— Est-ce de la peur que je ressens dans ta voix ? Je croyais que la nouvelle Anna n’avait peur de rien…

A mon tour, je grimace pour lui faire comprendre que ce qu'il dit est faux.

Je lui tourne le dos et je commence tout juste à me diriger vers les commandes qui permettent d’initialiser les simulations de l’Ulypsse pensant qu’il s’en irait, mais Carlisle en profite pour m’attaquer par-derrière.

Il me retient maintenant par le cou m’empêchant de faire le moindre mouvement.

— On dirait bien que je ne suis pas le seul à avoir rouillé... Il me semble que tu avais plus de réflexes autrefois…

— Est-ce bien raisonnable de la part d’un vieillard d’essayer de me provoquer ? dis-je d’un air moqueur.

— Si je ne m’abuse, j’ai été ton mentor pendant des années et tout ce que tu sais, c’est moi qui te l’ai enseigné ! Je doute que tu puisses me vaincre un jour, petite…

Ce qu’il vient de me dire m’amuse et me fait sourire, mais en même temps, cela a atteint mon égo au plus haut point. Je compte bien lui faire regretter ce qu’il vient de dire. Je dois lui montrer de quoi je suis capable.

Le vieux est si robuste que je n’arrive pas à me débattre, mais à un moment, je trouve la force de me libérer de son emprise et je m’éloigne de lui très rapidement.

Je cours vers ce râtelier où j’avais posé l’épée, je l’attrape et je me mets en garde tout en positionnant la pointe de l’épée vers lui.

À partir de ce moment, un combat s’engage entre nous sous les yeux attentifs des hommes qui se trouvent sur place.

Après une vingtaine de minutes, j’ai réussi à tenir tête à Carlisle. Mais évidemment, il m’a vaincu ! Pas sans mal, car je ne lui ai vraiment pas facilité la tâche et il le reconnaît.

Le combat est terminé, pourtant tous les regards sont encore braqués sur nous. Les hommes semblent fascinés par ce combat qui n’a pourtant pas duré très longtemps.

Carlisle s’apprête à quitter l’Ulypsse, mais je ne sais pour quelle raison, à ce moment précis alors qu’il est en train de me faire ses adieux pour regagner son palais, je m’approche de lui et je me pends à son cou, alors que cela ne me ressemble vraiment pas.

« Merci d’être là ! »

Le vieux me retient par la taille et semble plutôt surpris par mon attitude, je le sens bien, mais il fait comme si de rien était et ne dit pas un mot.

Même si je n’ai aucun souvenir de mon passé et que je sais pertinemment qu’il n’est pas mon père, je le considère pourtant comme tel et sa présence m’est indispensable.

Le Gouverneur a quitté l’endroit. Je lance la simulation et j’affronte un programme de l’Ulypsse.

Cette fois-ci, je dois affronter toute une horde de grimgog !

Thraän m’avait raconté qu’autrefois, avant la création de l’Ulypsse et bien avant que je ne débarque sur Nosfuria, lui et tous les combattants devaient affronter ces créatures pour pouvoir faire partie des sélectionnés prêts à devenir des noktarï, ces valeureux soldats de Nosfuria…

La simulation vient d’être lancée et l’Ulypsse change d’apparence…

Je me balade à travers un univers gelé où le temps semble comme figé. Cet endroit me fait penser à une banquise et l’illusion qui m’entoure est si réelle que la température me frigorifie dès le départ.

Je tâtonne à travers la neige et je n’ai sur le dos que cette combinaison moulante fabriquée dans du kupryon, cette matière indestructible pour me protéger du froid.

Je regrette déjà d’avoir lancé cette simulation, mais à vrai dire je n’ai pas vraiment choisi, car l’Ulypsse vous transporte dans un monde aléatoire et en fonction du mode de difficulté que vous choisissez, vous pourriez très bien être transporté dans n’importe quel univers sans avoir votre mot à dire…

Je continue d’avancer à travers ce froid glacial qui me pénètre l’épiderme et là, tout à coup, j’entends ce cri lointain qui vient de derrière les montagnes enneigées.

Le sol se met à trembler. Je viens de comprendre que ce que je suis sur le point d’affronter n’a rien de très sympathique.

Il y a cette brume qui masque la visibilité et je ne vois pas vraiment ce qui se passe à quelques mètres devant moi. Mais là, en voyant cette imposante ombre se dévoiler et venant dans ma direction, je comprends que je suis sur le point d’affronter quelque chose d’inqualifiable.

Cet immense monstre quadrupède me fonce droit dessus. Mais ce n’est pas tout, car derrière lui d’autres de ces créatures viennent de faire leur apparition…

Après avoir vaincu le simulateur, je décidais de rentrer mais bien sûr, il fallait que je tombe sur Thraän, qui sorti de nulle part, décidait de me faire la conversation.

Voilà des jours qu’il désire me parler mais à chaque fois, je cherche un moyen de l’éviter.

Malheureusement je crois que je ne vais pas avoir d’autre choix que de l’écouter.

— Tu ne gouvernes plus ce royaume et pourtant tu es toujours inaccessible…

— …

— Cela fait des jours que je tente désespérément de te parler mais à chaque fois, tu n’es jamais disponible. Serais-tu en train de m’éviter ?

Je soupire.

— Voyons Thran, tu me connais… dis-je en souriant.

— C’est bien ça le problème, je te connais ! Et je presque sûr à 100% que tu es en train de m'éviter...

— Écoute je serais ravie d’entendre ce que tu as à me dire mais pas maintenant. Je viens d’affronter une dizaine de grimgog fous furieux et là je n’ai qu’une envie c’est de me changer !

Il constate les petites blessures que j’ai au visage et sur les bras.

— Je vois !

— Je te remercie.

— Je te laisse tranquille pour aujourd’hui mais demain, nous aurons cette discussion que tu le veuilles ou non !

Je souris.

— A vos ordres Général !

Il sourit à son tour et me laisse partir.

ó

Comme convenu, le lendemain, je pars rejoindre Thraän qui m’attend en ville. Je ne sais pas de quoi il souhaite me parler et je n’aime pas ça mais pas le choix, je ne peux pas l’éviter indéfiniment.

J’arrive sur la place du marché. Thraän est assis sur ce banc.

Il ne m’a pas encore repérée. Je ne tarde pas à le rejoindre.

Il se relève et me salue.

— Je te remercie d’être venue, me dit-il avec ce petit sourire.

— Pas de quoi ! Ce que tu as à me dire devait être très important pour que tu insistes tant.

— Ça l’est !

— Parfait, alors je t’écoute...

— Anna… depuis les derniers événements, j’ai l’impression que tu ne t’épanouies pas comme tu le souhaiterais sur Nosfuria.

J’éclate de rire.

— Pardonne-moi, mais je ne vois pas où tu veux en venir !

— Anna, je pense que t’impliquer un peu plus dans les affaires du royaume…

Je lui coupe la parole instantanément. Ce qu’il me propose ne m’intéresse déjà pas !

— Je n’ai pas besoin de m’impliquer dans les affaires du royaume ! Dois-je te rappeler que j’ai cédé volontairement ma place à Carlisle ? Et si je l’ai fait c’est pour une bonne raison ! Il est bien meilleur que moi et je ne changerais pas d’avis.

— Je comprends ton point de vue. Alors pourquoi ne pas nous aider à faire progresser les choses sur cette planète ?

— Je ne te suis toujours pas Thraän !

— Très bien, alors je vais en venir au fait… Tu as pu remarquer que ces dernières années la condition des femmes se dégradait depuis que tu as triomphé de Swole.

— Oui, ça je l’ai remarqué merci !

— Alors que dirais-tu d’y remédier ?

— Tsss… je ne vois pas de quelle façon, mais dis toujours.

Dolgari et moi, nous avons pour mission d’entraîner de nouvelles recrues afin de renforcer nos troupes. Et comme tu le sais, il n’y a pas de femmes dans l’armée de Nosfuria. Alors pourquoi ne pas changer cela ? Tu pourrais toi aussi entraîner des femmes à devenir de redoutables guerrières tout comme toi et tu pourrais donner l’espoir à celles qui ont le désir de défendre notre royaume comme tu as pu le faire !

— Pardon ? c’est bien toi qui dis ça ?

Je ne suis pas sûre d'avoir bien entendu.

— Oui ! je l’ai dit… Quand je te vois te battre, je me dis que n’importe quelle femme sur cette planète serait capable de le faire si on lui en donnait les moyens.

Je n’en reviens pas. Thraän fait preuve d’une grande sagesse. Ce qu’il dit est beau et noble mais pour moi ça relève purement de l’utopie ! Je suis assez troublée par sa proposition. Je dois partir.

— C’est très honorable de ta part, mais je crois que c’est peine perdue ! Maintenant excuse-moi, mais je vais y aller.

Je m’apprête à lui tourner le dos mais il m’en empêche.

— Anna, pense à toutes ces femmes qui rêveraient d’être comme toi ! Les femmes de ce pays sont peut-être libres mais nos coutumes les empêchent de réaliser leurs rêves. Nous avons fait de grands progrès depuis que Swole est tombé. Tu ne penses pas qu’il est temps de progresser de ce côté-là ?

Je l’observe d’un air songeur. Je suis bien d’accord avec lui mais il est évident que même avec toute la bonne volonté, je n’arriverai jamais à changer les mentalités sur Nosfuria !

Soudain, alors que les doutes m’envahissent, j’entends ces enfants qui chahutent plus loin, juste derrière Thraän.

Je jette un œil par-dessus son épaule et je les observe un instant.

Ils sont cinq et s’affrontent avec des épées en bois. Ils doivent avoir un peu moins d’une dizaine d’années.

Parmi eux, je distingue cette fillette. C’est une jolie petite fille, plutôt mince, le teint légèrement mat avec de longs cheveux noirs.

Elle brandit fièrement son épée face aux quatre petits garçons qui s’en prennent à elle. Elle les affronte et semble n’avoir peur de rien.

L’un d’eux prend la parole : « Ah ! Ah ! Je suis le seigneur Thraän, le plus puissant de tous les seigneurs ! »

Thraän se retourne pour observer les enfants.

Puis c’est au tour de la môme : « Et moi, je suis Dame Anna ! la plus grande guerrière de tous les temps ! rendez-vous ! »

Thraän se retourne vers la jeune femme et semble amusé par la situation.

Je le regarde à nouveau. Et gênée par ce que nous venons d’assister je décide de l’abandonner.

— Je vais y réfléchir…

Les jours, les mois passaient et j’étais incapable de prendre une décision. Pourtant j’étais entièrement d’accord avec Thraän sur l’avenir des femmes de ce royaume.

Mais j’avais comme perdu confiance en moi et je doutais de mes capacités à faire évoluer les choses. Pourtant, j’avais fait mes preuves mais quelque chose me confortait dans l’idée de ne pas accepter cette proposition alors que bien évidemment j’en mourrais d’envie.

Mais mon hésitation ne dura pas car quelques temps après cette conversation, le Gouverneur décidait très vite qu’il était temps d’accélérer les choses…

Carlisle m’a fait appeler au palais. Cela semblait urgent.

Je dois bien avouer que je n’ai pas mis les pieds là-bas depuis très longtemps et je ne suis pas ravie d’y retourner, mais revoir Carlisle me fera le plus grand bien.

Après avoir passé un peu de temps en compagnie de Kirah et des Tanelyah, je prends la direction de l’Echénox, quand je m’aperçois très vite, que je suis suivie…

Je me sens épiée. Je me retourne à plusieurs reprises pour tenter de repérer la personne qui me surveille, mais rien à faire. Parmi tous ces villageois, impossible de mettre la main dessus.

Je fini par arriver sur le rocher. Je ne sens plus cette présence à présent.

Je rejoins Carlisle mais pas seulement. Car à mon grand étonnement, les seigneurs ainsi que Narvhïn et les autres conseillers sont aussi présents.

J’ai l’impression d’être à l’une de ces réunions du Conseil que je présidais autrefois et je n’aime pas cela !

Je rejoins la salle du conseil.

— Vous m’avez fait appeler Carlisle ?

— C’est exact ! Prend place.

Je m’exécute même si j’ai la nette impression que tout ceci n’est qu’un traquenard. Je m'installe autour de l'immense table ovale.

Comme d’habitude, j’assiste à l’une de ces réunions barbantes où les garçons discutent de tout un tas de choses concernant le royaume qui ne m’intéresse pas !

Puis après avoir exposé tous les points, Carlisle finit par s’adresser à moi.

— A présent ma chère, je souhaiterai connaître ta décision…

— Hum… Ma décision ? Et de quoi parlez-vous ?

— De ta dernière discussion avec le Général Thraän évidemment ! Nous t’avons laissé du temps pour réfléchir. Ne me dis pas que tu n’as toujours pas pris ta décision ?!

J’esquisse un petit sourire. Le Général semble mal à l’aise.

Sacré Thraän ! Tout ceci n’était qu’un coup monté. Ils avaient manigancé ça depuis le début et Carlisle était dans le coup !

— Évidemment… cette fameuse discussion…

Je pensais qu’après tout ce temps sans nouvelles de moi, ils auraient fini par oublier cette fameuse proposition. Mais non ! Car le Gouverneur me met directement au pied du mur. Et vu l’expression de son visage, il semble très impatient d’entendre ma réponse.

Après quelques secondes, il semble perdre patience.

— Alors ? j’attends !

— C’est d’accord !

Il y a un grand silence dans la salle. Carlisle sourit. Les garçons semblent choqués par ma réponse, comme s’ils s’attendaient à ce que je réponde le contraire.

J’ai tout de même quelques doléances avant de prendre en main la mission qui m’est confiée.

Je poursuis avant que l’un d’eux ne m’interromps : « Mais… »

— Nous t’écoutons, répond Carlisle.

— J’ai quelques conditions…

— Ah oui ? me répond le Gouverneur d’un air surpris.

— Je veux que mes filles soient traitées d’égal à égal. Pas de différences entre mes recrues et les vôtres.

— Cela va sans dire…

— Autre chose…

— Je t’en prie !

— Je sais qu’une femme n’aura jamais la force d’un homme. Mère nature l’a décidé ainsi… mais si l’une d’elle décide de rejoindre votre armée alors je veux qu’on la traite comme n’importe quel soldat. Pas de privilèges, pas de pitié, rien !

— Accordé ! répond Thraän.

— Certaines choses vont également devoir changer… Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais je suis bien la seule de tout ce royaume à m’habiller de cette façon…

Les seigneurs ne comprennent pas où je veux venir apparemment.

— Que veux-tu dire ? me demande Thraän.

— Mes filles ne porteront pas de jupes, de robes pendant les entraînements. En d’autres termes, le port du pantalon ne leur sera pas interdit !

Ils se mettent tous à rire.

— Je n’avais pas fait attention à ce détail, mais maintenant que tu le dis… me fait savoir Carlisle.

On dirait bien que j’ai soulevé un lièvre. C’est peut-être ridicule, mais je ne pouvais garder ça pour moi !

— Et est-ce que ça sera tout ? me demande le Gouverneur.

— Dernière chose… je ne suis pas l’une d’entre vous ! Je veux bien entraîner des jeunes femmes pour « faire changer les choses » comme vous dites, mais j’ai aussi une vie ! Je ne passerai pas ma vie au quartier militaire ou autre. Je veux être libre de faire mes grasses matinées si je le souhaite, de boire, de manger, de sortir et de faire toutes ces choses que vous ne faites pas !

— C’est d’accord ! lance Carlisle d’un air amusé.

— Merci !

— Mais puisque tu as décidé de nous rejoindre, je t’annonce que tu seras également membre du Conseil à compter de ce jour… Le siège où tu te trouves est toujours vide. Ce sera l’occasion de nous faire tes comptes-rendus de mission comme les autres membres…

Mon visage se décompose à cet instant.

— Quoi ? dis-je en grimaçant.

Très vite le Haut Conseiller Narvhïn tente d’accélérer les choses.

— Si personne n’a rien d’autre à dire, la séance est levée ! dit-il.

Je n’ai même pas eu le temps de dire quoi que ce soit que les garçons quittent déjà la salle.

Je reste assise quelques secondes, histoire de me remettre de mes émotions.

Résultat des courses : « Carlisle 1 – Anna 0 »

Voilà où je voulais en venir tout à l’heure lorsque j’ai utilisé le mot « traquenard » … Le vieux m’a bien eu !

La réunion dura très longtemps si bien qu’en quittant le palais la luminosité était faible et les rues commençaient à se vider.

Il est temps pour moi de regagner la villa. Cependant, au lieu d’emprunter le téléporteur qui me permettra de rentrer directement à la maison, je décide de faire un détour par la cité pour y acheter une boisson corsée. Et je pars m’installer sur ce banc situé non loin du débarcadère. Je débouchonne la bouteille et j’avale quelques gorgées de cette boisson.

Je sens tout de suite que mes idées ne sont plus très claires, mais je garde tout de même le contrôle.

Je ne sais pas pourquoi je fais ça, mais j’en ai besoin. Je ne me l’explique pas, mais grâce à cela, j’arrive à tenir le coup lorsque je repense à toutes ces choses...

Mais après quelques heures, je ressens à nouveau cette présence.

« Ma parole ! Est-ce que cette personne est en train de jouer avec moi ? »

Je me relève immédiatement et j’observe autour de moi.

— Qui est là ? Montrez-vous !

J’aperçois soudain cette petite silhouette qui se dégage du buisson situé sur ma gauche. Je l’observe de tous mes yeux.

Ma parole, c’est une enfant ! Et je suis certaine de l’avoir déjà vu quelque part…

« Mais qui es-tu ? » je lui demande d’un air plus que surpris.

— Mon nom est Caldénys… dit-elle d’une voile frêle.

— Hum… Caldénys ? Et qu’est-ce qu’une jeune fille de ton âge fais dehors à cette heure tardive ?

— …

— Il est tard, tu ne devrais pas être là ! Où habites-tu ?

— Je ne veux pas rentrer chez moi…

— Hein ?! Et pourquoi donc ?

— Parce que ma mère n’est pas là…et je serais encore toute seule.

J’avoue que là, elle a réussi à me clouer le bec. Je ne sais pas quoi lui répondre.

— …

Soudain, son visage me parait familier.

— Je te reconnais à présent ! Tu es la gamine du marché ! Et j’ai remarqué ton petit jeu… A chaque fois que je m’aventure dans la cité, je tombe sur toi ! Plutôt étrange comme coïncidence…

Elle ne sait pas quoi dire et semble confuse.

— …

— Est-ce que tu étais en train de me suivre ?

— Pardon dame Anna, je ne voulais pas vous importuner…

— Réponds ! dis-je d’un ton sévère.

— Oui !

— Et pour quelle raison ?

— Parce que plus tard, je veux être comme vous !

Ce qu’elle vient de dire m’intimide.

— Ne dis pas de bêtises, voyons !

— Je ne dis pas de bêtises, dame Anna… J’ai lu toutes vos histoires. Vous avez toujours été mon modèle. Et quand je serai grande, je serai une grande guerrière, comme vous !

— Tsss…

Ce qu’elle vient de dire me fait rire intérieurement. Si la gamine savait ce que j’ai dû endurer pour en arriver là.

Je ne compte pas m’éterniser avec cette gosse, mais comme d’habitude mon bon côté reprend le dessus.

Je décide de faire un petit demi-tour pour la raccompagner chez elle.

Quelques minutes plus tard, j’arrive face à cette bicoque. L’endroit n’a rien de très coquet. D’ailleurs, j’ai l’impression de connaître cette maisonnette…

— C’est ici ! elle me fait savoir.

— Très bien ! Alors maintenant que tu es chez toi, je ne veux plus te voir dans les rues de la cité à cette heure-là, sinon je devrais avertir tes parents. Est-ce que c’est bien clair ?

La gamine me fait la promesse. Je peux repartir l’esprit tranquille. Je la salue. Elle fait de même et me remercie.

Cependant, je n’étais pas au bout de mes surprises car si j’avais su ce qui m’attendais, je me serais bien passé de venir en aide à cette petite et très vite je n’allais pas tarder à le regretter…