Chapitre 4: La course de zhibons

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Le lendemain, je pars rejoindre Bragg. Après ce qui m’est arrivé hier, je dois me remettre de mes émotions et je crois que le voir me fera le plus grand bien.

Je pénètre à l’intérieur du pavillon. J’aime tellement cet endroit.

Je me dirige vers son laboratoire. Arrivée là-bas, je constate qu’il n’est pas seul. Une jeune femme plutôt jolie est en train de discuter avec lui.

Je ne me montre pas tout de suite. J’attends un peu.

Ils discutent de plantes, d’animaux. Je n’aime pas le ton que prend cette fille. Elle a une façon de lui parler qui me fait clairement penser qu’il s’agit d’une aguicheuse.

Bragg rentre dans son jeu. Je n’y crois pas ! A entendre leur conversation, ils ont l’air plutôt proches.

Ils discutent encore quelques minutes puis la femme décide de se retirer. Bragg la salue, mais je ne constate aucun rapprochement entre eux et tant mieux !

Elle passe la porte. Je me dissimule derrière ce mur et j’attends qu’elle s’éloigne puis je pénètre à l’intérieur. Bragg ne m’a pas encore repéré.

— Qui était-ce ?

Il se retourne.

— Oh ! Anna, je ne t’avais pas entendu entrer…

— Tu ne réponds pas à la question !

— Une de mes apprenties… Je te rappelle que j’enseigne la botanique... tu t’en souviens ? dit-il en me lançant ce regard douteux.

Effectivement, ce détail m’avait échappé.

— Pardon excuse-moi…

— Je me trompe ou ça n’a pas l’air d’aller ? Tu veux qu’on en parle ?

— Non ! tout va bien…

— Mouais…

— J’étais dans le coin alors je suis passée te voir…

— Carwaty, n’est-ce pas ?

— Oui enfin…

— Il avait l’air si réjoui à l’idée de te présenter ses nouvelles protégées… Il s’ennuie tellement qu’il s’est mis en tête d’apprivoiser des créatures pour remplacer les combats d’Arkanïs.

Ce qu’il dit me fait sourire.

Nous discutons encore un peu puis Bragg aborde un autre sujet.

— Et pour Thraän ?

— Je n’ai pas encore eu le temps d’aller lui parler mais je m’en occupe, je te le promets…

— Pas eu le temps ou l’envie ? dit-il en esquissant un petit sourire tout en poursuivant son travail.

— Écoute, c’est vrai, voilà des mois que j’aurais dû le faire alors dès que je sortirai d’ici, j’irais lui parler directement !

— Est-ce que c’est une promesse ?

Je soupire.

— Oui !

Après quelques heures, je quittais l’endroit et je me rendais enfin au quartier militaire pour tout avouer à Thraän.

Je ne vais pas m’étendre sur le sujet, mais en résumé, il ne semblait pas plus choqué que cela à l’annonce de cette nouvelle. Au contraire, il me répondit même qu’il était déjà au courant pour nous deux.

Il me fit comprendre aussi que j’étais grande et que je n’avais pas de compte à lui rendre. D’ailleurs, il me rappelait que nous avions déjà discuté de cela, qu’il avait refait sa vie et qu’il était temps que je refasse la mienne…

Cependant, je sentais qu’il me cachait quelque chose mais je ne souhaitais pas rentrer dans les détails.

Je sortais de là le cœur léger car Bragg et moi nous n’avions plus à faire semblant à présent.

ó

C’est mon jour de repos. Après avoir passé la matinée en ville aux côtés de Bragg, je décide de profiter du reste de la journée.

Je pars méditer sur la terrasse située à l’arrière de la villa. Les bras tendus sur mes jambes repliées, je me plonge en pleine réflexion.

Mais quelques minutes plus tard, j’entends ces petits « tocs ».

Il s’agit de quatre impulsions : une rapide, puis deux lentes, suivies d’une rapide.

Je sais d’où elles proviennent et je suis ravie de les entendre.

Je ne bouge pas et je reste les yeux fermés.

— C’est bon tu peux entrer…

— Bonjour Dame Anna…

— Bonjour Cal, que me vaut l’honneur de ta visite ?

— Je m’ennuyais alors je suis venue voir si vous n’aviez pas besoin de moi.

Je souris.

— Prends place…

La petite s’exécute.

— Et maintenant ?

— Nous allons méditer si tu le veux bien…

— Méditer ? mais pourquoi faire ?

Je souris à nouveau. Cette petite me rappelle moi lorsque que plus jeune, je méditais avec Carlisle. Je ne comprenais pas pourquoi Carlisle voulait qu’on médite à chaque fois. Au moins, Novëh n’aura pas emporté ce souvenir.

— La méditation est la base de tout bon guerrier. Il est encore trop tôt pour t’apprendre quoi que ce soit, mais si plus tard tu souhaites toujours devenir une grande guerrière alors il te faudra passer par cette étape.

J’ai l’impression de parler comme lui à cet instant.

— C’est d’accord !

Cette petite est beaucoup trop nerveuse. Je dois l’aider à canaliser toute cette énergie. La méditation sera un très bon moyen pour l’apaiser.

J’ouvre enfin les yeux.

— Es-tu certaine de vouloir continuer ?

— Oui Dame Anna ! me répond-elle d’une voix enthousiaste.

Je lui dis comment procéder.

Environ une petite heure plus tard, je fini par ouvrir les yeux. Cal est encore plongée dans ses pensées.

Je l’observe sans dire un mot. Je me dis qu’avec le temps je pourrais sûrement l’aider à devenir ce qu’elle rêve d’être.

La petite finit par ouvrir les yeux. Nous passons encore un peu de temps ensemble puis je lui demande de rentrer.

Je décide de terminer tranquillement la soirée. Je m’installe confortablement dans le sofa tout en sirotant l’une de ces boissons, lorsque j’entends à nouveau ces quatre petits « tocs » de l’autre côté de la pièce.

Je me redresse. J’ai reconnu ces bruits. C’est encore un coup de la petite. Selon elle, ils permettent d’annoncer notre présence. Alors je ne sais pour quelle raison, nous utilisions ce code à chaque fois que nous nous rendions visite.

Comme toujours je rentre dans son jeu car cela m’amuse. A mon tour, je cogne trois fois sur la table basse : une impulsion lente, deux rapides.

Je n’entends plus rien et là je la voix apparaître.

— Je croyais que tu devais rentrer ?

— Si mais avant je voulais vous dire merci…

— Merci pourquoi ?

— D’être là !

J’esquisse un petit sourire. Je me lève et je pars la rejoindre. La petite se jette sur moi et me sert à la taille. Je suis très gênée mais je fais de même. Elle finit ensuite par quitter la villa.

Oui, je m'étais attachée à cette enfant et oui à présent il m'était impensable de ne plus l'avoir à mes côtés.

Les jours suivants, Carwaty décidait d’organiser une de ces courses de « zhibons ». Il voulait savoir de quoi ces créatures étaient capables.

Pour l’occasion, Carlisle a décidé de s’accorder une pause pour participer à la course.

Plus loin sur la grande place, il y a ces animaux, les zhibons de Carwaty.

La course ne va pas tarder à commencer.

Je passe la journée en compagnie de Bragg, nous ne nous sommes pas quittés un instant. La cité est en fleurs, les villageois semblent plutôt heureux, les enfants s’amusent. Cette journée respire la bonne humeur !

Bragg et moi, nous n’avons pas envie de nous exposer aux yeux du Conseil. Nous partons un peu plus loin. Tandis que les autres seigneurs, Carlisle et tous les notables de la cité ont rejoint le départ de la course et sont placés dans les tribunes officielles.

Kirah et les Tanelyah nous ont rejoint. Edhän et Wi-Krick accompagnent leurs chères et tendres. Ils nous saluent et passent quelques instants en notre compagnie. Difficile de ne pas se faire remarquer…

Et comme par le plus grand des hasards, nous croisons beaucoup de monde alors que nous essayions de nous faire le plus discret possible. C’est plutôt raté !

Je tombe même sur cette chère Nixxie plus loin, du côté des Zhibons. Par chance, elle ne m’a pas repérée. Je ne pensais pas qu’elle pouvait être attirée par ces animaux…

Soudain, le cor retentit. Cela annonce que c’est le début de la course. Les créatures ne vont pas tarder à aborder notre position.

Ces énormes bestiaux finissent par passer devant nous. Je les observe de tous mes yeux. Ils sont si costauds et si nombreux.

Tout le monde semble apprécier ce spectacle et moi aussi je dois dire. La poussière envahit l’endroit après leur passage. Je distingue à peine devant moi le public situé de l’autre côté de la barrière.

Je tousse tout en les regardant aborder ce virage pour rejoindre l’arrivée.

Et au loin, j’aperçois le seigneur nain. Il me fait penser à un enfant. Il est si joyeux qu’il encourage avec ferveur ses animaux.

Après quelques tours de la cité, la course est enfin terminée. Évidemment le zhibon favori de Carwaty a remporté la victoire !

Les habitants applaudissent ces créatures et crient leur joie. Je dois bien avouer que c’était plutôt impressionnant et amusant.

La foule commence à se disperser alors Bragg et moi nous faisons de même.

Nous rejoignons le débarcadère où il y a cette vue imprenable. A l’horizon, cette chute débouchant sur le néant m’impressionne toujours autant.

Nous nous asseyions et nous échangeons nos avis sur la nouvelle passion de Carwaty avant d’envisager quelques projets.

Bragg est sur le point de me demander quelque chose quand tout à coup ce garde accourt vers nous.

Il est évident que nous allons devoir remettre cette petite discussion à plus tard.

— Dame Anna… vous devez rejoindre le seigneur Thraän de toute urgence !

Je fronce les sourcils.

— Et pourquoi cela ?

— Je ne peux pas vous en dire plus, mais selon le seigneur Thraän cela semblait plutôt grave…

J’observe Bragg d’un air très inquiet.

— Ne perdons pas de temps, me dit-il.

Nous nous mettons à courir pour regagner l’autre bout de la ville et après une dizaine de minutes, nous regagnons la grande place où les animaux étaient censés arriver.

Il y a cet attroupement.

J’observe Bragg à nouveau. La panique s’installe…

Nous avançons tout de même. Les habitants s’écartent à mon arrivée. Une certaine tension est alors palpable.

Arrivés au milieu de l’endroit, je m’arrête un instant et j’aperçois Thraän et Dolgari. Ils sont accroupis sur le sol. Mais ils ne sont pas seuls car j’aperçois également cette petite silhouette inerte à leurs côtés.

« Cal… »

Je sens que je vais m’évanouir. Caldénys est allongée sur le sol. Elle ne bouge plus. Thraän et Dolgari tentent de la faire revenir à elle, mais rien !

Je cours vers eux. Je suis horrifiée par ce que je vois.

La gosse est défigurée. Ses vêtements sont arrachés et elle perd énormément de sang.

— Est-ce… est-ce … est-ce qu’elle est…

— Non ! elle n’est pas morte ! me fait savoir Thraän.

Je me baisse à leur niveau et je la prends dans mes bras.

Les larmes emplissent mes yeux.

— Hey ! petite… réveille-toi !!

Je tapote son visage mais rien à faire. Elle ne réagit pas.

Une navette de secours arrive au même moment.

— Anna, il faut l’emmener ! me fait savoir Thraän.

Arrivés au medh’yova, Thraän dépose la petite sur la table. Le dokri’yova accoure avec ses assistants.

— Que lui est-il arrivé ?

— Après la course, un groupe de zhibon lui a foncé dessus, m’informe Dolgari.

— Mais comment ? Je croyais que ces animaux étaient maîtrisés le temps de la course ?

Je cherche des réponses. Je me tourne vers Bragg les yeux dans le vague : « Bragg ? »

Le pauvre ne sait pas quoi me répondre. Lui-même ne comprend pas ce qui a bien pu se passer. Il s'était même occupé personnellement de contrôler ces animaux avant le départ de la course. Tout semblait pourtant sous contrôle…

— Peu importe ce qu’il s’est passé, Caldénys est maintenant hors de danger. Le dokri’ yova l’a conduite aux caissons…me fait savoir Thraän.

Je me sens tout à coup soulagée.

Accompagnée par deux gardes, Nixxie débarque dans l’endroit telle une furie. J’ai l’impression qu’elle a encore forcé sur la bouteille…

— Pardonnez-nous pour cette intrusion, messeigneurs, dame Anna, mais cette femme dit être la mère de la jeune enfant et elle désire la voir, dit l’un des deux gardes.

— C’est exact, vous pouvez vous retirer, leur rétorque Bragg.

Les deux hommes partent sur-le-champ.

Nixxie s’approche de moi et décide de me tenir pour responsable de ce qui vient d’arriver à la petite.

— Sale garce ! Tout ceci est de ta faute ! Je savais qu’il lui arriverait malheur si elle te fréquentait. Je lui avais interdit de te parler mais elle n’en faisait qu’à sa tête ! Tu as réussi à t’accaparer ma fille pour remplacer ton satané fils !

Thraän l’observe. J’ai l’impression qu’il se contient pour ne pas la frapper, mais il me laisse régler cette histoire.

Elle s’approche un peu plus près et tente de me gifler. Je retiens son bras.

— Fais très attention à ce que tu dis ! Laisse mon fils en dehors de tout ça ! Tu es peut-être sa mère, mais Cal ne mérite pas d’être ta fille ! Jusqu’ici j’ai toujours été patiente avec toi, mais ne me pousse pas à bout car tu ne sais pas de quoi je suis capable. Et cette fois-ci Cal ne pourra pas m’empêcher de m’occuper de toi, ni aucun d’eux !

Je sens que je viens de l’intimider. Elle se débat et m’oblige à la lâcher.

Bragg s’interpose entre nous et nous demande de nous calmer.

— Voyons Nixxie, je ne crois pas que c’est le lieu pour régler vos comptes !

— Bragg ! Encore un de tes lèches-bottes ! Vous aussi, elle a réussi à vous faire tourner la tête et maintenant, elle se sert de vous, comme elle l’a fait avec Novëh ! dit-elle.

Celui-ci semble offusqué par ses propos, mais lui aussi garde son calme.

— Je ne crois pas que cela vous concerne et je vous demande de vous calmer sinon, je serai obligé de rappeler les gardes ! dit-il d’un calme olympien.

— Tsss…

Nixxie finit par se fatiguer. Elle jette un œil derrière la baie vitrée et se met à verser quelques larmes : « Ma petite Caldénys… tu es la seule chose précieuse qu’il me reste dans ce bas monde… »

Nous l’observons. On dirait qu’elle ne contrôle pas vraiment ce qu’elle dit, mais une chose est sûre, Nixxie a décidé de passer aux aveux. Nous l’écoutons se confier.

« Swole avait interdit les naissances sur Nosfuria… Nous n’avions pas le droit de donner la vie... Je mourrais d’envie d’être mère, de donner naissance à un petit être à qui je pourrais donner de l’amour un jour, mais malheureusement la vie ne m’a pas gâtée. Novëh l’avait bien compris…Un jour alors qu’il revenait de mission, il m’a ramené ce nouveau-né qu’il avait trouvé abandonné aux côtés de sa mère morte… Quand j’ai vu ce bébé, j’ai tout de suite compris qu’elle serait ma raison de vivre, mais je n’ai jamais su lui donner l’amour qu’elle méritait…

— Oh…Nixxie…ne dites pas ça, lui dit Bragg, histoire de la réconforter.

— Je n’ai pas su m’occuper d’elle ! Elle ne me voit pas comme une mère ! Même Anna a plus de valeur à ses yeux ! Je n’ai pas su l’aimer comme une mère devrait le faire avec son enfant… Et par ma faute, elle se retrouve entre la vie et la mort dans cette horrible machine !

Elle se tourne ensuite vers moi, les yeux en pleurs et remplis d’amertume : « Tu m’as pris Novëh, mais je ne te laisserai pas prendre Caldénys ! Je préfère la voir mourir plutôt que de la voir avec toi ! »

Ce qu’elle vient de dire me glace le sang. Mais qu’est-ce que j’ai bien pu lui faire pour qu’elle me méprise autant ?

Elle se précipite ensuite vers la sortie. Je crains le pire…

Je me dirige vers la baie vitrée et j’observe la petite dans cette machine. Les aiguilles s’engouffrent dans sa chair au moment même. Elle se réveille alors qu’elle était plongée dans le coma, puis elle pousse un hurlement avant de s’évanouir à nouveau.

Je retiens mes larmes. J’ai déjà vécu cette horrible scène plusieurs fois et je sais exactement ce que la petite peut ressentir.

Un enfant ne devrait pas avoir à traverser ça ! C’est beaucoup trop dur !

Pendant que j’observe le processus, quelqu’un vient de faire précipitamment son entrée.

« Où est-elle ? où est-elle ? » s’écrit Carwaty d’un air paniqué.

Il vient me rejoindre et s’approche de la baie vitrée.

— Ma chère Anna… pardonnez-moi, je suis venue dès que j’ai su ! Je suis vraiment désolée pour votre petite… J’espère que vous me pardonnerez…

Je préfère ne pas lui répondre. Je suis tellement énervée que je serais capable de m’en prendre à lui.

— …

— Dès demain, je ferais abattre ces saletés de zhibons ! Vous en avez ma parole !

— Quoi ? s’interroge Bragg.

— Si ces gros paresseux de zhibons n’avaient pas foncé sur la jeune Caldénys, elle ne serait pas là aujourd’hui !

— Certes Carwaty, mais vous ne trouvez pas qu’il y a tout de même quelque chose d’étrange dans cette histoire… J’ai posé ma marque sur ces animaux et j’ai moi-même, inspecté les clôtures ! Tout était sous contrôle. Les zhibons sont peut-être des créatures imprévisibles, mais tout de même… rétorque Bragg.

Carwaty lui tient tête et comme d’habitude, ces deux-là commencent à se chamailler.

Mais pendant qu’ils sont encore en train de se disputer, je repense à la conversation que nous avons eu tout à l’heure avec Nixxie, et quelque chose vient de m’interpeller.

— Elle a dit quelque chose tout à l’heure… dis-je à haute voix.

— Hein ? me demande Bragg.

— Tout à l’heure, Nixxie a dit que Cal était là par sa faute…

— Que veux-tu dire Anna ? me demande Thraän.

— Bragg, lorsque nous faisions le tour de la cité, nous avons bien aperçu Nixxie du côté des gardes qui surveillaient les clôtures, n’est-ce pas ?

— C’est exact !

— …

Pourvu que je me trompe.

Je me dirige vers la porte et j’abandonne les garçons. Je traverse le medh’yova à toute vitesse. Bragg me rattrape.

— Anna, où vas-tu ?

— J’ai quelque chose à régler… je ne serais pas longue !

Je traverse la ville à toute allure. Je dois en avoir le cœur net ! Nixxie est-elle responsable de ce qui est arrivé à la petite ? Je dois la faire avouer coûte que coûte !

J’arrive dans la ruelle où se trouve leur maison.

A première vue, l’endroit semble dépourvu de monde. A part cette petite créature qui traverse la rue, il n’y a rien d’autre.

Je toque à la porte.

— Nixxie, c’est Anna… Ouvre cette porte, nous devons parler !

Aucune réponse de l’autre côté… je frappe à nouveau et j’élève la voix cette fois-ci : « Nixxie, il faut qu’on parle, ouvre cette porte ! Tu m’entends ?! »

Rien non plus…

Je frappe un peu plus fort, mais cette fois-ci, j’ai dû y aller un peu trop fort. La porte s’est entrouverte.

« Hum…étrange »

Je zieute à droite puis à gauche. Personne…

Je pénètre lentement à l’intérieur. J’observe l’endroit sans dire un mot.

Le salon est sens-dessus-dessous : le mobilier est à terre, un miroir brisé émietté sur le sol, des bibelots également. Même les fleurs qui étaient dans ce vase en ont fait les frais !

« Qu’est-ce qui a bien pu se passer ici ? »

Plus j’avance et plus j’entends ces petits gémissements inquiétants… Et là, derrière cette table, j’aperçois sa silhouette.

« Oh ! mon Dieu ! »

— Nixxie… non !! mais qu’as-tu fait ?

Elle est allongée sur le sol et baigne dans cette immense mare de sang, un poignard planté dans l’abdomen.

J’accoure vers elle et je m’agenouille pour lui venir en aide. Je relève légèrement sa tête. Pourvu qu’il ne soit pas trop tard…

Par chance, elle ouvre les yeux et reprend ses esprits.

— Est-ce que Cal s’en est sortie ? me demande-t-elle d’une voie frêle.

— Oui, Cal va bien, ils l’ont mise dans un caisson. Elle s’en sortira indemne.

— Je te jure que je n’ai pas voulu lui faire de mal…

— Hein ? mais de quoi parles-tu ?

— Oh… Anna… tout est de ma faute !

— Pourquoi dis-tu ça ?

— Tout est de ma faute ! C’est… c’est à cause de moi si le troupeau de Zhibon a foncé sur Cal !

— Nixxie, tu divagues !

— Non ! C’est à cause de moi ! J’ai voulu donner une leçon à ce nain ! Tu sais, il n’a jamais porté Novëh dans son cœur et il ne m’a jamais aimé non plus ! Je… je voulais juste lui rendre la monnaie de sa pièce !

Je la repousse. Elle prétend avoir fait du mal à la petite. Ça, je ne pourrais le tolérer !

— C’est à cause de toi ce qui est arrivé à Cal ?! Qu’as-tu fait ?

Elle se met à pleurer.

— Je ne voulais pas Anna ! Je te jure que je ne voulais pas !

— Peu importe… nous aurons le temps de régler cette histoire, mais d’abord, je vais t’emmener au medh’yova ! Tu perds beaucoup trop de sang !

— Non ! Laisse-moi, je refuse ! dit-elle en gémissant.

— Hein ?

Elle attrape mon bras et me force à l’écouter.

— Ecoute-moi… tu sais que tu es la dernière personne à qui je demanderai de l’aide, et pourtant, on dirait bien que tu es la seule personne sur qui je peux compter à présent…

— Que veux-tu dire ?

Elle sanglote à nouveau.

— Novëh ne m’a jamais aimé, tu sais… je n’étais qu’un passe-temps ! Je t’en ai voulu parce qu’il n’a jamais posé les yeux sur moi comme il le faisait avec toi… il t’aimait alors que moi, je n’étais rien à ses yeux ! Je t’ai haï pour ça alors que je savais très bien que tu n’y étais pour rien, mais c’était plus fort que moi…

J’ai l’impression qu’elle se reproche un certain nombre de choses. Serait-elle en train de se repentir ?

— Nixxie, ce n’est pas le moment…

— Si ! Anna, je sais que je n’ai pas été agréable avec toi, mais accorde-moi une faveur…

— Je t’écoute…

— Je n’ai jamais été la mère que Cal aurait voulu que je sois alors je veux que tu me promettes une chose…

— Nixxie…

— Anna… je veux que tu prennes soin de Cal quand je ne serais plus là ! Je ne pensais pas que j’aurais pu dire ça un jour, mais c’est de toi dont elle a besoin maintenant !

— Nixxie… ne dis pas ça, je vais t’emmener au medh’yova et tout rentrera dans l’ordre !

Elle gémit de nouveau et se tort de douleur.

— Argghh !!

Sa respiration s’emballe. Je sens bien qu’elle n’en a plus pour très longtemps.

— Nixxie ??!!

J’essaye de la relever pour l’emmener, mais elle serre mon bras encore plus fort.

— Je t’en prie, promets-le-moi !

Je soupire.

— Je te le promets, Nixxie…

Elle vient de lâcher son dernier souffle dans mes bras et s’en va rejoindre Novëh…

Je referme ses paupières qui étaient encore ouvertes après qu’elle succombe et je me relève lentement.

Une voix retentit soudain juste derrière moi.

— Anna…

C’est la voix de Bragg. Il m’a suivi jusqu’ici.

Je me retourne et je l’observe d’un air dépité.

— Ce n’était pas la faute de Carwaty…

— Je sais Anna… j’ai tout entendu…me répond-il.

Je baisse les yeux vers le sol. Mes mains et mes vêtements sont recouverts de sang. Je l’impression d’avoir échoué.

— Tu n’aurais rien pu faire pour elle…

Il se rapproche. Je me relève. Il me sert dans ses bras.

J’avais tenu parole et depuis ce jour, Cal était devenue ma protégée. Après le décès de sa mère, elle avait emménagé dans ma demeure.

Je m’étais jurée de prendre soin d’elle. Je voyais sûrement en elle la fille que je n’avais jamais eue.

Peut-être aurait-elle pu combler ce vide qui était enfoui au plus profond de moi depuis toutes ces années…

Elle avait remplacé cet enfant qu'on m'avait arraché et à présent, je ne pouvais plus imaginer la vie sans elle.

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