Le frère

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  • Madame Perez, me redressa l'infirmière, allons, calmez-vous.

Dimitry déboula derrière moi, complètement paniqué, comme s'il venait de perdre son fils dans la foule. Son fils...

  • Il y a eu des complications pour votre frère.
  • Des compli... répétai-je en perdant les dernière lettres.

Dimitry posa ces grosses mains sur moi, me retourna et plongea ses yeux dans les miens.

  • Comment va-t-il, Béa ?
  • Béa ? murmurai-je.
  • Monsieur Volkov, il a fait une hémorragie et Fred a eu du mal à...
  • Pas de détail Béa, ordona-t-il avec douceur sans détacher ses yeux des miens. Appelez le bloc je veux des nouvelles toutes les dix minutes.
  • Très bien Monsieur.

Le bip continu de la chambre 19 se mit à retentir. Nos yeux coururent sur la machine. Le battement du cœur de Vladou était plat. L'espace de quelques secondes, tout fut au ralenti. Je me retournai vers Dimitry qui parlait mais dont je n'attendais aucun son. L'infirmière appuya sur son biper tellement lentement que j'en perdis la tête. Je fermai les yeux et quand je les rouvris, tout s'accéléra. Dimitry m'attrapa par la main et me tira jusqu'à la chambre. Il entra avec fracas et se mit à prononcer :

  • Il est en arrêt.

Il lui enleva sa chemise et commença le massage sans tarder. Je restai interdite, je ne savais même pas quoi faire. J'étais complètment perdue et je...

  • Béa ! cria Dimitry d'un hurlement qui ramena mon esprit à la réalité de Vlad.
  • Je suis là ! dit-elle en débarquant avec le chariot médical.
  • Allez, on envoie une ampoule d'adré.
  • Ampoule passée.
  • On dégage à trois ! Un, deux, trois !

Tout redevint lent et le corps si faible de Vlad se leva sous le choc. Je tressautai au bruit en fermant les yeux.

  • C'est bon ! s'écria Béa. Son pouls revient !

Et tout s'accéléra de nouveau.

  • Okay, ne nous relachons pas. Vladimir, słyszysz mnie ? (m'entends-tu)

Pas de réponse. Vlad avait son cœur qui battait mais le reste de son corps ne se réveillait pas.

  • Laissons-le se reposer. Béa, gardez les yeux sur ses constantes. Jenny, m'interpella-t-il, tu viens avec moi. On descend au bloc.

Il me saisit par la main comme une enfant.

  • Béa, encore une chose...
  • Oui, Monsieur Volcov, je previens Fred que vous arrivez.
  • Merci, vous êtes un serce. (cœur)

Elle lui sourit et lui, il baissa les yeux. Je reconnus cette attitute : il devait sûrement penser qu'il n'y avait plus droit...

Ma main dans la sienne, il me conduisit dans une salle d'observation surplombant le bloc. Mon frère, était nu, étendu sur la table, en attendant qu'on lui sauve la vie. Des compresses remplie de sang jonchaient le sol et tout un tas de personne s'occupait de maintenir son fil vital en activité. Je mis la main contre la vitre et me mis à murmurer :

  • Sam, bats-toi !

Dimitry appuya sur un bouton et sa voix retentit dans le bloc :

  • Le point les gars !
  • L'hemorragie provenant de l'arrière du poumon a provoqué un petit arrêt cardiaque suite à une tachycardie mais il a repris de suite sans même qu'on intervienne. Il a perdu beaucoup de sang.
  • Où on en est ?
  • L'hémorragie est stoppée. Le patient est transfusé. Nous finissons de le recoudre et il sera en salle de réveil d'ici une bonne demie-heure.
  • Merci, Fred ! lâcha Dimitry visiblement soulagé.
  • Eh chef, le retint Fred en levant la tête. Ça vaut bien une augmente ça aussi non ?
  • On en reparlera demain, rit-il en lui faisant signe au travers de la vitre.

Tous sourirent bien loin du stress qui bouillonnait en moi.

Dimitry pris place dans une des chaises derrière moi et je le rejoignis.

  • Qui es-tu en fait ? demandai-je sans le regarder.
  • Je suis le médecin chef des services de transplantation de cet hôpital.
  • Ah ! fis-je en réfléchissant. Alors pour ton...
  • Oui, c'est moi qui ai opéré mon fils jusque tard hier. Et je n'ai pas réussi à le sauver.
  • Je...
  • Je t'en prie, ne dis rien... souffla-t-il en se levant.

Il passa ses mains dans ses cheveux, il était nerveux et je vis de la colère dans son regard. Sentant le danger, je me levai moi aussi.

Il marchait en rond et la folie de son malheur vint le voler à la réalité. Il frappa la vitre qui, Dieu merci, était renforcée. Il se mit à jeter les chaises au sol en parlant en polonais il répétait un genre de "mi chi ni undao" en criant d'abord puis en hurlant. Je ne savais plus quoi faire et me tournai vers la salle du bloc. Fred, le fil tendu, nous regardait. Nos yeux se croisèrent et il dit quelque chose à une infirmière qui partit en vitesse. Je tentai de lui parler mais il commença à s'en prendre à l'armoire pleine de dossiers. Il les sortit et les balança au travers de la pièce. Je me mis à crier son prénom et le son de ma voix, sorti tout droit de mes tripes, le stoppa dans sa folie. Je protégeais mon visage de tous les papiers qui volaient au-dessus de moi. Il me toisa comme un lion féroce et son regard redevint normal. Je m'approchai doucement de lui et il tomba à genou en pleurant de toute son âme. Je mis mes bras autour de lui et il s'agrippa à mes habits, à mon torse, à mon âme comme un enfant perdu. Il s'excusa de la mort de son fils, des papiers qui volaient, des chaises balancées, de son mal-être qui me frappait. Il s'excusait d'avoir laisser Vlad et d'être parti comme un lâche. Il aurait jamais dû le laisser dans la maison avec son père. Il me criait tout un tas de choses que je ne comprenais pas, que je ne savais pas, que je m'entendais plus. Il me saisit le visage me disant qu'il n'était qu'un bon à rien et que même son fils, il n'avait pas pu le sauver. Il reniflait contre moi, en prononçant des mots qui n'avaient plus de sens et moi, pendant ce temps, je le regardais en silence. En silence, je me retournai pour voir Béa arriver. En silence, je me levai, choquée et lui laissai la place. En silence, je sortis de la salle en refermant la porte. Je l'entendis sombrer de nouveau dans les flots de son âme meutrie. La voix de Béa rebondit dans la pièce, chaude et douce, chargée de larmes qui ne coulaient plus. Elle lui murmurait les mots qui pansent, ceux qui guérissent assez longtemps pour que la raisonne revienne. Elle, elle parlait son langage et moi, toujours derrière la porte, dans un silence lourd et étouffant, je portai les mains à ma bouche pour que mes sanglots, trop longtemps ravalés, fassent le moins de bruit possible.

Dans une acalmie, je me redressai et en silence je m'envolais...

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