Chapitre 4 : Sarah

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J’ai pratiquement pas dormi de la nuit. J’ai pas arrêté de penser à ce qui s’est passé hier au boulot, à Bruno, au regard qu’on a échangé, au petit rictus qu’il affichait quand je suis partie… J’ai tout essayé pour me le chasser de la tête et me vider l’esprit : j’ai compté les moutons, j’ai lu, j’ai même regardé la série débile qu’on a maté hier, Pam et moi, en rentrant tout en mangeant des tacos, en vain. Là, j’suis dans mon lit, allongée dans le noir, j’sais pas quelle heure il est (bientôt 6 heures, je pense), je sens que l’alarme de mon tél’ va pas tarder à sonner, et je fais que d’y penser. Et ça a le don de m’énerver !

C’est vrai quoi, pourquoi je réagis comme ça ? C’est pas la première fois que je rencontre un mec, pourtant. D’habitude, au bout de cinq minutes, j’oublie déjà le visage du type avec qui je viens de baiser (disons dix s’il baise vraiment bien). Là, c’est tout le contraire, et j’aime pas ça du tout.

Au fond, je crois que ce qui m’énerve surtout, c’est la façon dont je me suis comportée hier. Je dois même avouer que j’ai un peu honte de moi sur ce coup-là. Les mains tremblantes, le cœur qui s’emballe, les jambes flageolantes… Ça ne me ressemble pas, tout ça. Depuis quand je me conduis comme l’héroïne d’un de ces films cucul la praline dont Pam raffole ? Si je regarde pas ces films, c’est qu’il y a une raison… L’amour, c’est pas mon truc.

Mais on peut même pas parler d’amour dans ce cas ! C’est encore pire ! C’est pas comme si j’étais amoureuse de ce gars. On a juste couché ensemble, c’est tout. Si je devais tomber amoureuse de chaque mec dont j’ai partagé le lit, je serais polygame à l’heure qu’il est (ou polyandre plutôt, parce que je crois que « polygame » c’est pour les hommes) ! C’était juste du sexe et rien d’autre. Alors, pourquoi j’ai réagi comme une ado de quinze ans qui rougit comme une tomate dès qu’elle voit son crush ? Si je me forge une image de fille inaccessible (ou presque) et imperméable à l’amour, c’est pas pour tout faire foirer le jour où je découvre que le gars que je me suis tapé la veille va travailler avec moi. OK, j’étais surprise, je m’attendais pas à le voir, mais quand même…

Ce qui me fait chier, c’est qu’il a vu que j’étais déstabilisée et que ça l’a amusé. Son petit sourire en coin… Qu’est-ce que je regrette de ne pas l’avoir frappé quand j’en avais l’occasion ! J’aurais pas dû réagir comme ça. S’il y a bien une chose que je déteste, c’est paraître faible, alors je vais me ressaisir et je vais bien lui faire comprendre, quand je le verrai au boulot, que quoiqu’il ait pu interpréter de mon attitude d’hier, il ne représente rien de plus à mes yeux qu’un simple « plan cul ».

L’alarme de mon Samsung se déclenche brusquement, ce qui m’oblige à me lever. J’attrape quelques vêtements et je me dirige vers la salle de bains. J’espère que Pam n’y est pas déjà, elle prend trois plombes pour se préparer. Je ne peux m’empêcher de bâiller. C’est ça de rester éveillée toute la nuit… Foutu cerveau ! Je vais encore avoir droit à une remarque de Jeanine sur mes cernes et mes yeux crevés, du genre : « Sarah, il faut dormir la nuit, surtout quand vous savez que vous devez travailler le lendemain ! », et ça me saoule déjà.

J’arrive devant la salle de bains et, par précaution, je toque. Pas de réponse. J’ouvre la porte et constate qu’il n’y a personne. Parfait ! J’entre et referme la porte derrière moi avant de déposer mes affaires sur le bord du lavabo et de me déshabiller. Une fois nue, j’entre dans la douche et je fais couler l’eau chaude partout sur mon corps. Que c’est bon… Je laisse échapper un petit gémissement de plaisir. Je pourrais rester sous la douche pendant des heures, si j’avais pas de factures d’eau à payer. À mon avis, y a rien de plus agréable au monde qu’une bonne douche chaude… à part peut-être un orgasme. Ça se défend. Les deux détendent et relaxent, donc je pense que la comparaison est plutôt bonne, non ?

Ma douche terminée, je m’enveloppe dans une grande serviette couleur « prune » et je me sèche les cheveux. J’enfile ensuite mes vêtements, un pull à col roulé noir avec une jupe bordeaux et une paire de collants, et je me parfume légèrement. J’aime cette routine matinale pendant laquelle je prends soin de moi et je me fais belle, je trouve ça important pour bien démarrer la journée. Même si je mets pas autant de temps que Pam pour me préparer, j’aime me sentir bien dans ma peau.

Je sors de la salle de bains et, après avoir déposé mes affaires dans ma chambre, je me rends dans la cuisine d’où émane une odeur très alléchante. Des pancakes, à coup sûr. Pam se fait un point d’honneur à en faire tous les matins, même quand on rentre de soirée ivres mortes. Elle en raffole depuis toujours, et moi je me fais pas prier pour en manger. Les pancakes de Pam avec du Nutella ou du sirop d’érable, c’est une vraie tuerie.

J’entre dans la cuisine et aperçois Pam derrière les fourneaux, attelée à préparer une dernière fournée de pancakes, comme je m’y attendais. Ses cheveux sont relevés en chignon, et elle porte un tablier pour ne pas tacher sa superbe combi rose et noire. Je la salue et ouvre le frigo pour prendre la salade de fruits qu’elle prépare toujours en avance. Je fais à manger aussi, je vous rassure, pas aussi bien que Pam mais je me débrouille. Mais le petit-déj’ lui est réservé, c’est sacré pour elle.

On s’installe à la table du salon. J’enfourne d’emblée un morceau de pancake dans ma bouche avec une cuillerée de fruits. Miam !

— Au fait, Sarah, j’ai repensé à ce qui s’est passé hier, tu sais, avec Bruno, et je me suis dit qu’au final c’était pas si grave ! lance Pam d’un ton surexcité.

Je lève les yeux au ciel en soupirant. Super, fallait qu’elle aborde le sujet… Elle aurait pas pu attendre, j’sais pas moi, un jour ou deux avant d’en parler ? La connaissant, j’aurais dû m’en douter.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? je marmonne en étouffant un grognement.

— Bah, tu sais, des collègues qui couchent ou qui ont déjà couché en semble, c’est pas nouveau… Ça arrive tout le temps, ce genre de truc. Tu crois qu’au boulot ils font quoi ?

— Attends, tu parles de qui là ? je demande. Si c’est d’Alyssa, ça m’étonne pas, c’est une vraie chaudasse cette fille.

— C’est l’hôpital qui se fout de la charité, là…

Je la fusille du regard tandis qu’elle se met à rire. Elle n’a pas tort, au fond : je suis mal placée pour juger Alyssa alors que je fais pire.

— Je parle pas spécialement d’elle, mais je suis sûre qu’au bureau, y en a plein qui doivent s’envoyer en l’air. Clara et Brian, par exemple. Enfin… non, peut-être pas eux, ils sont pas du genre à coucher juste pour coucher. Il doit y avoir un truc sérieux entre eux, ou il va y en avoir un, je le sens.

— Et où est-ce que tu veux en venir ? je lance en tentant d’ignorer ses commérages.

— Ce que je veux dire, c’est que c’est pas la fin du monde si Bruno et toi vous travaillez ensemble. S’il avait été ton boss, j’aurais compris – quoique ça aurait été encore plus excitant dans un sens –, mais vous êtes juste collègues, personne le saura, sauf si Alyssa le découvre et qu’elle décide d’ouvrir sa bouche.

— Qu’elle parle si elle en a envie, j’en ai rien à foutre ! je réplique. Depuis quand je me soucie de ce que les autres pensent de moi ? S’ils veulent me faire chier parce que je me suis tapée le nouveau, grand bien leur fasse. De toute façon, ça n’a aucune importance, j’suis passée à autre chose.

Vraiment ? C’est pour ça que t’as regardé la télé jusqu’à 4 heures du mat’ ? dit-elle, sarcastique. Tu crois que je t’ai pas entendue remuer dans ton lit ? Vu ta tête, t’as pas arrêté de penser à ce qui s’est passé hier !

C’est dingue comme elle me connaît bien…

Je ne prends pas la peine de ré pondre et débarrasse. Je me rends ensuite dans ma chambre pour prendre mon sac et mon portable. Je l’allume pour voir quelle heure il est. 7h10. Mince, on va être en retard ! Je descends les escaliers en coup de vent et j’enfile mes chaussures. Pam est déjà prête, elle m’attend devant la porte. J’attrape mes clés de voiture et je la suis. Comme elle a conduit hier, aujourd’hui c’est moi qui prends le volant. Échange de bons procédés.

***

On arrive à Circus vers 9 heures. Comme on habite plutôt loin et qu’avec les bouchons c’est galère pour venir, on part avec plus d’une heure d’avance, sachant que là-bas ils aiment pas trop les retards (surtout Jeanine). On a passé tout le trajet avec Pam à chanter à tue-tête des vieilles chansons qui passaient à la radio, et, au moment où je me gare, on éclate de rire tellement on chante faux. Ça fait du bien de commencer la journée de cette manière.

Mais ma joie finit par se calmer lors que je réalise, pendant qu’on se dirige vers le premier, que Bruno est peut-être déjà là et que je vais devoir tôt ou tard aller lui parler, histoire de faire genre. Souviens-toi, Sarah, c’est juste un « plan cul », pas la peine de te mettre dans cet état. Tu lui dis bonjour et puis c’est tout. Te prends pas la tête pour ça. Je me redresse, la tête haute, et j’entre dans l’open space.

La salle est blindée, comme d’hab’. Comme on est seulement une vingtaine à s’occuper de la rubrique « people », on nous a tous entassés dans la même pièce. Du coup, même si l’open space est très grand, ça se voit pas vraiment puisque tous les bureaux sont collés les uns aux autres. Le mien se trouve tout au fond, près de la sortie de secours. Je m’y rends tant bien que mal en tâchant d’éviter les affaires qui traînent par terre lorsque j’aperçois Bruno, debout près du bureau d’Alyssa qui rigole. Elle marque déjà son territoire, à ce que je vois… À peine un jour et elle lui saute déjà dessus. Et en plus, elle en fait des tonnes. Je fais mine de les ignorer et continue mon chemin. Mais au moment où je passe près d’eux, Bruno se retourne et m’aperçoit. Un petit sourire se dessine sur ses lèvres. Je soutiens son regard et marmonne un vague « salut » avant d’aller m’asseoir. J’enlève mon manteau et je sors mes affaires. En levant les yeux, je le vois en train de me regarder, l’air désappointé. Tant mieux, il fait moins le malin maintenant ! Je souris, satisfaite, et me concentre sur mon ordi. J’ai plein de trucs à faire aujourd’hui, et c’est pas la présence de mon « coup d’un soir » sur mon lieu de travail qui va me faire manquer à mes obligations.

***

Vers 11 heures, je me lève pour prendre ma pause-café. Pam a insisté pour qu’on y aille il y a trente minutes, mais j’ai refusé parce que je devais absolument terminer l’article que j’étais en train de rédiger. Ça parle des Kardashian, de Miley Cyrus et de Justin Bieber… bref, des stars qui font le buzz sur les réseaux. Je sais, ça n’a pas le niveau du Times, mais pour un petit magazine comme Circus, ça fait l’affaire.

Je me dirige vers la machine à café et prends comme d’hab’ un macchiato. Je suis en train de le déguster lorsque je sens une présence derrière moi. Je me retourne, pensant que c’est Pam, mais je me retrouve face à Bruno. Je manque d’avaler de travers sous l’effet de la surprise.

— Oui ? Tu veux que je te laisse la place ? je demande, dans l’espoir qu’il acquiesce et que je puisse m’éclipser.

— À vrai dire, j’ai déjà pris un café tout à l’heure, mais merci quand même, dit-il en souriant.

— Et t’es venu en prendre un autre, j’imagine ?

— Non, je suis venu te voir, toi.

— Ah oui ? Pourquoi ?

— T’es la seule à qui j’ai pas encore dit « bonjour », faut bien que je me rattrape ! réplique-t-il, l’air rieur.

— Je te l’ai dit quand je suis arrivée, pourtant ! je rétorque.

Putain, je sens que cette conversation va me saouler…

— Ça compte pas, j’étais en pleine discussion avec Alyssa.

— Excuse-moi, je voulais pas te déranger en aussi bonne compagnie ! je ricane.

— Pourquoi ? T’es jalouse ? dit-il en haussant les sourcils.

Jalouse ? Jalouse de qui ? D’Alyssa ? Pourquoi je serais jalouse d’une fille prête à tout pour se jeter dans le lit de n’importe quel mec sexy qu’elle croise ?

— C’est bizarre, ça me rappelle quelqu’un, pas toi ? déclare-t-il en m’adressant un clin d’œil avant de s’éloigner.

Putain, il a pas osé ?! L’enfoiré ! Je reste plantée là, bouche bée, ne comprenant pas ce qui vient de se passer. Monsieur vient de prendre sa revanche, à ce que je vois. Un point partout. Mais s’il croit que je vais me laisser faire, il se trompe. J’suis pas du genre à renoncer si facilement, donc s’il veut la guerre il l’aura.

Je retourne à mon bureau, mon café en main, mais je suis tellement énervée que j’ai du mal à me concentrer tout le reste de la journée. J’arrive à peine à écouter Pam, pendant la pause déj’, qui me raconte les potins qui circulent au sein du bureau. Je m’efforce de finir d’écrire un mail important, mais mes doigts tapent sur le clavier avec tellement de force que le bruit doit s’en tendre à l’autre bout de la salle. Heureusement que Jeanine n’est pas là, sinon elle se serait pas gênée pour me faire remarquer à quel point je suis tendue.

***

À 17 heures, je range mes affaires, j’éteins mon ordi et je me casse. Arrivée sur le parking, je marche jusqu’à ma voiture et je fouille dans mon sac, à la recherche de mes clés. Pam ne rentre pas avec moi, elle passe la soirée chez son mec, Jordan. Il est venu la chercher il y a cinq minutes. À coup sûr, ils vont s’envoyer en l’air toute la nuit mais, quand je vais lui demander des détails, elle va encore faire la prude. C’est toujours la même chose avec elle.

Je m’adosse contre ma voiture et je m’apprête à vider mon sac sur le sol pour trouver ces fichues clés, lorsqu’une voix grave près de moi se fait entendre.

— Besoin d’aide ?

Putain, c’est pas vrai… Je me redresse et vois Bruno, debout près de la voiture en face, avec son foutu sourire sur le visage. Deux fois dans la même journée, c’est bien ma veine ! Déjà qu’il m’a saoulée ce matin, alors s’il en rajoute une couche, je sens que je vais exploser.

— Non ça va, je gère, je réponds d’une voix distante.

— Tu vas continuer à m’éviter encore longtemps comme ça ?

— Je vois pas de quoi tu parles…

— C’est ça oui ! ricane-t-il. C’est à peine si tu levais les yeux vers moi aujourd’hui, et tu tapais tellement fort sur ton clavier que j’ai cru que t’allais le casser ! Tôt ou tard, faudra bien qu’on aborde le sujet, alors autant que ce soit maintenant.

— Quel sujet ?

— Celui que tu veux éviter à tout prix.

— J’suis pas du genre à éviter quoi que ce soit ! je rétorque, piquée au vif. Tu veux qu’on parle de quoi ? Que je t’ai sucé y a deux jours et que tu m’as prise pendant des heures ?

— J’aime quand tu parles comme ça, dit-il en me regardant d’un air pervers. Ça m’excite…

— Je te rappelle qu’on est sur un parking, là.

— Et alors ? Ne me dis pas que tu ne l’as jamais fait sur un parking ? C’est trop bon !

— Y a autre chose aussi qui est bon, tu veux savoir ce que c’est ? je chuchote d’une voix suave en me rapprochant de lui.

— Oui, vas-y, dis-moi.

On est si proches l’un de l’autre que je peux presque toucher son torse. Je me penche vers son oreille et je lui souffle :

— C’est bon de savoir que mon opinion sur toi n’a pas changé. En plus d’être un mauvais baiseur, t’es toujours aussi con.

Sur ces belles paroles, je m’écarte de lui et me reconcentre sur mon sac. Je trouve enfin mes clés et j’ouvre ma portière. J’allume le contact et je jette un coup d’œil dans le rétro. Il est toujours là, près de sa voiture, l’air stupéfait. Satisfaite, je quitte le parking et prends la route qui mène vers chez moi.

Deux points pour moi.

Échec et mat.

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