Chapitre 9 : Sarah

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À mon grand étonnement, la soirée se passe plutôt bien. Je dis pas que tout est parfait non plus, faut pas exagérer, aucun moment passé avec ma famille ne l’est. Mais là, au moins, on me laisse tranquille et ça me va parfaitement. À part ma mère et tante Claire qui ne peuvent s’empêcher de me lancer de temps à autre des petites piques, personne ne m’emmerde et c’est tant mieux. Parce que bon, arriver chez mon oncle et devenir l’ennemi public numéro un, ça va deux secondes… Même si j’suis pas 100 % à l’aise et que j’ouvre à peine la bouche pour parler, je me dis que tout compte fait, j’ai bien fait de venir, et que cette soirée sera peut-être pas aussi catastrophique que je le pensais…

Pendant que les autres discutent vivement entre eux, je me concentre sur mon assiette et laisse mon esprit vagabonder. C’est bizarre, ça fait une demi-heure qu’on a commencé à manger et il n’y a toujours personne en face de moi. Et aucune trace de Manon, par-dessus le marché. Qu’est-ce qui se passe ? Je croyais qu’elle était là ? Elle mange quand même pas dans la cuisine ? Je sais qu’elle n’a aucun sens des convenances et du respect, mais jamais elle s’abaisserait à faire ça. Elle aime trop le monde, être entourée et qu’on la remarque. Alors, le fait qu’elle ne soit pas là, ça ne lui ressemble pas du tout. Après, ça me dérange pas… Moins je la vois, mieux je me porte.

J’sais pas pourquoi, mais à un moment, le visage de Bruno me vient en tête. Qu’est-ce qu’il vient faire là, lui ? Il croit que c’est le moment pour venir me faire chier ? OK, j’suis peut-être pas en train de m’éclater avec ma famille (c’est même tout le contraire), n’empêche, je veux pas qu’il s’incruste dans mes pensées comme ça ! C’est vrai quoi, j’suis pas au boulot, y a pas de raison pour que je pense à lui ! En plus, je lui parle même pas… Enfin si, au boulot, mais juste quand j’ai besoin d’une info ou pour lui dire bonjour, rien de plus. La dernière fois qu’on a vraiment discuté, c’était l’autre jour quand je faisais mon footing. Depuis, je m’efforce de me comporter avec lui comme un simple collègue, mais soit il fait exprès de ne pas comprendre, soit il est idiot, parce qu’il continue à me chercher malgré tous les signaux que je lui envoie. S’il croit qu’il va me faire craquer, il peut toujours rêver. J’ai pas oublié la promesse que je me suis faite et je compte bien m’y tenir.

Je secoue la tête en soupirant, histoire de me changer les idées. Je lève les yeux et j’observe tout ce petit monde autour de la table. Soudain, je sursaute légèrement et je me tourne vers ma mère. Je viens de me rendre compte que Manon n’est pas la seule à être absente. Seigneur, comment est-ce que j’ai pu penser à Bruno et pas à lui ? C’est pas croyable…

— Maman, il est où Papa ? je demande en fronçant les sourcils.

Elle me regarde d’un air désapprobateur en pinçant les lèvres, ce qu’elle fait à chaque fois que je lui demande quelque chose ou que je lui pose une question qui la dérange. Par contre, vous la verrez jamais faire cette tête avec Manon. Je dis ça, je dis rien…

— Pas ici, comme tu peux le voir, répond-elle d’un ton hautain.

— Oui je sais, merci, mais ça ne m’aide pas ! je rétorque.

— Il est à la maison, si tu veux tout savoir, réplique-t-elle en se focalisant sur son plat.

— Pourquoi ? Il est malade ?

— Disons qu’il a quelques petits soucis de santé, en effet…

— Ah oui ? Lesquels ? Et ça fait combien de temps que ça dure ?

— Rien qui ne puisse t’inquiéter, murmure-t-elle d’une voix doucereuse.

— « Rien qui ne puisse m’inquiéter ? ». Maman, il s’agit de mon père, quand même ! Comment ça se fait que je ne sois pas au courant ?! je m’emporte malgré moi en haussant le ton, ce qui attire l’attention des autres.

— Vu le peu de nouvelles que tu nous donnes, je ne pensais pas que ça t’intéresserait, réplique-t-elle en arborant une mine suffisante.

— Je suis occupée, Maman, tu le sais bien ! Tu n’avais qu’à m’envoyer un message, j’aurais répondu !

— Quelle importance ça a, de toute façon ? Ton père est très bien entouré, il ne manque de rien. Je dois dire que le contraire serait étonnant, vu toute l’aide qu’on lui apporte, Manon et moi, au quotidien…

— Attends, quoi ? je la coupe brusquement. Manon le sait et pas moi ? Comme d’hab’, elle est toujours au courant de tout et moi je suis à la ramasse ! J’aurais dû m’en douter… j’ajoute en ricanant.

— On parle de moi, à ce que je vois ?

Je tourne vivement la tête et j’aperçois Manon, debout près de la table, un gros gâteau dans les bras et un petit sourire arrogant aux lèvres. Elle n’a pas changé depuis la dernière fois que je l’ai vue : toujours la même coupe, le même style, et surtout la même attitude de pétasse. Mon sang ne fait qu’un tour et mes poings se serrent, dans une vaine tentative de garder mon calme. Putain, c’est pas vrai… Si jamais elle s’avise de me faire la moindre remarque, j’suis pas sûre de pouvoir empêcher ma main d’atterrir sur sa joue.

— Tiens, salut Sarah ! Ça fait un bail ! me lance-t-elle me jetant un coup d’œil narquois tout en déposant le plat sur la table.

— Oui, en effet, je réponds sèchement.

— Presque un an, tu te rends compte ! T’aurais quand même pu m’envoyer un petit message…

— Pourquoi ? Ça t’aurait fait plaisir, c’est ça ?

— Bien sûr que oui, voyons ! Tu me prends pour qui ? Si ma petite sœur m’appelle, évidemment que je serais ravie ! Tiens, un morceau de gâteau ! s’exclame-t-elle en me tendant une part de fondant au chocolat avant de retirer son bras presque aussitôt. Ah non, c’est vrai, j’avais oublié ! Tu fais attention à ta ligne. C’est bien, tu en as bien besoin… ajoute-t-elle en me toisant d’un air hautain.

Je vois rouge alors que j’entends des rires et des chuchotements autour de moi. Oncle Hervé m’adresse un petit sourire navré mais je n’y prête pas attention, tellement je suis vénère. Très bien, elle veut jouer à ce petit jeu, alors on va jouer…

— C’est sympa que tu t’inquiètes pour moi, mais quand on donne un conseil, la moindre des choses c’est de le suivre soi-même. Parce que, dis donc, la dernière fois que je t’ai vue, t’étais vachement plus mince ! Il s’est passé quoi pour que t’aies un aussi gros bide ? T’as rompu avec Ethan, c’est ça ? je rétorque en la désignant de la main, dans un geste de fausse pitié.

Le sourire de Manon disparaît et ses yeux se plissent. Eh ouais, sœur ou pas sœur, quand on me cherche on me trouve.

— Ça t’aurait fait plaisir, hein, pas vrai ?

— Oui, en effet, et pas qu’un peu ! je réplique en souriant. D’ailleurs, comment il va ? Ça fait longtemps que j’ai pas eu de ses nouvelles ! Faudrait vraiment qu’on se voie, un de ces quatre ! Rien que nous deux…

— Pourquoi ? Oh Sarah, ne me dis pas que tu espères qu’il va revenir vers toi ! s’écrie-t-elle d’un ton plaintif, la main sur le cœur. Désolée sœurette, mais en tant que grande sœur, c’est mon rôle de te prévenir que ce ne sera pas le cas. Je ne veux pas que tu aies de faux espoirs !

— Oh mais c’est pas le cas, t’inquiète ! Je veux juste savoir à quel point tu l’as ensorcelé pour qu’il ne se rende toujours pas compte dans quelle merde il s’est fourré en décidant de sortir avec toi ! je riposte sur le même ton.

— Parce qu’avec toi, il était mieux, peut-être ? rétorque-t-elle, le regard noir et le visage fermé.

— Ça c’est sûr ! Moi au moins j’ai des valeurs, contrairement à certaines.

— Ça veut dire quoi, ça ?

— Que moi, j’ai pas pour habitude de voler les mecs des autres. Mais toi, t’en connais un rayon à ce sujet, pas vrai ?

Les rires et les murmures s’intensifient. Ma mère et tante Claire discutent fébrilement entre elles tout en nous regardant, et je vois que ma réplique a fait rire oncle Hervé, qui se retient depuis un moment, même s’il a toujours l’air inquiet. Manon, en revanche, n’a pas l’air d’avoir apprécié.

— Tu sais ce qui te ferait du bien, Sarah ? C’est de tourner la page. C’est vrai quoi, ça fait un an et tu vis toujours dans le passé ! Faut apprendre à pardonner, bon sang ! Après tout, je suis ta grande sœur, on est de la même famille, toi et moi. Et la famille, ça ne se renie pas… dit-elle d’un ton vicieux.

— Pardon ? je m’exclame, incrédule.

 — Mais après tout, ça ne m’étonne pas venant de toi, Sarah. Tu es toujours la même, toujours aussi têtue et bizarre. Je comprends pourquoi Papa ne veut pas que tu viennes le voir.

— Ah bon ? je réplique sur un ton que j’espère désinvolte alors que mes mains se mettent à trembler. C’est lui qui te l’a dit ?

— Oui, et il m’a dit aussi que ça lui faisait plaisir qu’au moins l’une de ses filles se préoccupe de lui. C’est ce qui est bien quand on a deux enfants : quand l’un d’eux s’avère être une énorme déception, l’autre peut réparer les dégâts, déclare-t-elle en me regardant droit dans les yeux, l’air mauvaise.

Je sais que je ne dois pas me laisser atteindre par ses paroles, que je dois prendre sur moi, mais c’est plus fort que moi et je me lève d’un coup. Tous les regards se tournent vers moi tandis que j’attrape mon sac et ma veste, et que je me dirige vers l’entrée. Je marmonne un vague « salut » à mon oncle Hervé, qui arbore une mine franchement désolée à présent. Au moment de partir, j’entends tante Claire dire à oncle Robert : « Tu vois, je te l’avais dit, c’est toujours la même chose avec elle ! », et oncle Robert lui répondre en gloussant : « Sa crise d’ado, elle est pas encore finie, apparemment ! ». C’en est trop pour moi. Si je reste ici une minute de plus, je sens que je vais exploser. J’ouvre brusquement la porte et je m’en vais. Je parviens à tenir le coup jusqu’à ma voiture, mais une fois derrière le volant, quelque chose s’écroule en moi et je me mets à pleurer à chaudes larmes pendant un long moment.

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