Chapitre 10 : Bruno

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Lorsque je me réveille ce matin, je suis d’une humeur massacrante. Eh oui, je sais, ça m’arrive ! C’est comme ça, je ne peux pas tout le temps être en mode « dragueur ». Qu’est-ce qui s’est passé pour que je sois dans cet état ? me demandez-vous. Mauvais week-end ? Ah ça oui, et pas qu’un peu ! Entre mes performances minables à la salle et la visite de mon père hier, je n’ai pas pu profiter pleinement de mes deux jours de repos, tellement j’étais démoralisé. Je sais bien que les séances d’entraînement ratées, ça arrive et que ce n’est pas si grave. C’est ce que mon coach m’a dit quand il a vu ma tête déconfite. Mais c’est plus fort que moi, je me dois d’être parfait dans tout, à commencer par le sport. Si je ne le suis pas déjà dans ce domaine, comment pourrais-je l’être dans d’autres ? Je n’aime pas l’échec, la moindre petite erreur et c’est la déception assurée. Je tiens ça de mon père. Avec lui, tout doit être carré et filer droit. Il n’admet pas la défaite, pour lui c’est un signe de faiblesse. D’ailleurs, c’est ce qu’il m’a rappelé hier quand il est venu chez moi. Il m’a dit que même si je viens de débuter chez Circus, je dois tout mettre en œuvre pour parvenir en haut de l’échelle. Il n’y a que comme ça qu’on réussit, selon lui. Une affirmation à laquelle j’adhère : je suis bien décidé à travailler d’arrache-pied pour pouvoir faire mes preuves, même si rédiger des articles sur des stars ne requiert pas tant d’efforts que ça.

Mais dans ce cas, pour quelqu’un d’aussi ambitieux, pourquoi avoir choisi un petit magazine people comme Circus et pas un grand quotidien national comme Le Monde ou Le Figaro ? C’est vrai que ça peut sembler contradictoire avec ce que je viens de dire. Je suis quelqu’un d’ambitieux mais pas dans le sens où je vise forcément les domaines les plus hauts placés dans l’échelle sociale. La médecine, l’économie, ça ne m’intéresse pas tout ça… Mais quand quelque chose me plaît, je me mets à fond pour atteindre mon objectif. C’est pour cette raison que j’ai postulé à Circus : comme j’adore tout ce qui touche aux réseaux et à l’actu people, le choix était tout tracé. Je ne suis pas le genre de personne à me tourner vers des boîtes au nom soporifique et ennuyeux uniquement parce qu’elles payent bien. Bien sûr que le salaire est important, ce serait un mensonge de dire le contraire, mais pas autant que la passion. Perfectionniste, oui, mais avec des limites, quand même.

Bref… Tout ça pour dire que je suis d’une humeur de chien, et le fait qu’on soit lundi n’arrange rien. Sérieux, qui, sur cette Terre, aime les lundis ? Même la fille avec qui j’ai baisé hier soir en coup de vent n’a pas suffi à me remonter le moral. Si ça avait été bien, ça aurait peut-être pu, mais comme il n’y a rien eu d’exceptionnel, vu qu’elle passait tout son temps à faire l’étoile de mer, ce n’est pas une nuit qui va me rester en tête. J’ai connu mieux, côté cul. Heureusement que je ne couche jamais deux fois avec la même fille… sauf si cette fille s’appelle Sarah, bien sûr.

Je me lève de mon lit pour aller prendre ma douche, mais au même moment, j’entends mon téléphone vibrer près de moi. Je le prends et je vois que j’ai reçu un message d’Alyssa. Elle m’a envoyé une photo d’elle en petite tenue, l’air aguicheur, avec en légende : « Salut, beau gosse ! T’es sûr que ça te donne pas envie, tout ça ? ». Je grimace et redépose mon portable sans même prendre la peine de lui répondre. Qu’est-ce qu’elle me fait chier, celle-là ! J’ai l’ai pourtant prévenue à plusieurs reprises qu’entre elle et moi, ça n’irait pas plus loin qu’une simple nuit, mais elle n’a pas l’air de comprendre à ce que je vois parce que chaque fois que j’arrive au bureau, elle me saute dessus, et par messages c’est encore pire, la preuve ! Je commence à regretter de lui avoir filé mon numéro. En plus, comme on est collègues, je ne peux pas l’envoyer bouler, je n’ai pas envie qu’il y ait une sale ambiance entre nous au boulot. Mais je me dis que quand je la verrai à Circus, je mettrai les points sur les I avec elle parce qu’elle commence franchement à me saouler. Des filles collantes comme elle, j’en ai connu plein, quelle horreur !

Une fois douché et habillé, j’attrape mes clés de voiture et je pars. Je ne prends pas de petit-déj’, je ne mange jamais le matin, sauf le week-end. Oui je sais, pour quelqu’un qui fait de la muscu trois fois par semaine, ce n’est pas recommandé de rester l’estomac vide toute la matinée, mais comme je n’ai pas faim au réveil, je ne vais pas me forcer à manger. Je préfère largement rester au lit plutôt que de gaspiller de précieuses minutes supplémentaires à me casser la tête sur le choix de la bouffe. Question de priorité… Au pire, j’irai me prendre une barre de céréales à la cafet’. Mais bon, je ne vais quand même pas mourir de faim d’ici-là, non ?

***

J’arrive au boulot peu avant neuf heures et je monte rapidement au premier. J’ai plein de choses à faire aujourd’hui : j’ai un article sur la Fashion Week que je dois finir de rédiger, et je dois contacter un magazine people au sujet d’une éventuelle collaboration avec Circus. Jeanine m’a également fait part d’un projet à réaliser en binôme, mais elle ne m’a pas précisé avec qui. Faites que ce ne soit pas avec Alyssa, j’ai tout sauf envie qu’elle trouve un autre prétexte pour me coller encore plus…

Tiens, en parlant du loup… Je me dirige vers mon bureau et, à peine assis, je vois Alyssa qui s’approche, un sourire coquin aux lèvres. Je ne peux m’empêcher de soupirer et fronce les sourcils alors qu’elle m’aborde. Je ne veux pas faire d’esclandre, mais il faut bien qu’elle comprenne que ça ne sert à rien d’insister.

— Alors, on répond pas aux messages ? Pas grave, au moins je sais que tu as vu ma photo… lance-t-elle d’une voix suave en se penchant vers moi, de façon à ce que j’ai une vue plongeante sur son décolleté. Je parie que ça t’a fait tellement d’effet que tu t’es fait plaisir avant de partir, je me trompe ?

— Oui, tout à fait, je réponds froidement en m’efforçant de l’ignorer.

— Oh, Monsieur est difficile à ce que je vois ! Dans ce cas, je t’en referai une autre ce soir, avec la petite culotte bleue, qu’est-ce que t’en dis ? Tu sais, celle que tu m’as arrachée avec les dents, l’autre soir, avant de…

— Écoute, Alyssa, on est au boulot là, tu ne vas quand même pas raconter nos histoires de cul devant tout le monde ? je la coupe sèchement. En plus, je t’ai dit plusieurs fois que ce qui me branche, c’est les coups d’un soir, pas des plans cul réguliers. Donc, arrête d’insister parce que là ça devient chiant !

Elle n’a même pas l’air d’avoir entendu ce que je viens de dire et continue à bavasser comme si de rien n’était. Je souffle bruyamment et tourne la tête, histoire de garder mon calme. Mon regard se pose soudain sur Sarah, assise non loin de là. Tiens, je ne l’ai pas vue arriver ! Elle a dû venir un peu plus tôt, sans doute. Enfin une distraction intéressante… Je l’observe et je me rends compte que quelque chose ne va pas. Même si elle est très belle avec ses cheveux relevés en chignon et sa petite tenue de secrétaire, son visage est pâle et ses traits tirés. On dirait qu’elle n’a pas dormi de la nuit. Je ne suis pas sûr, vu la distance, mais j’ai l’impression qu’elle a les yeux rouges, comme si elle avait beaucoup pleuré. Je fronce les sourcils, intrigué. À mon avis, il a dû lui arriver quelque chose de terrible, parce qu’en la voyant si fière et arrogante d’habitude, je me dis que ça ne lui ressemble pas de pleurer. Peut-être qu’un de ses proches vient de mourir ? Mais pourquoi est-ce que je me pose la question d’abord ? Je ne suis pas son mec, je n’ai pas à me comporter comme tel. Après tout, même si c’est triste de la voir dans cet état, ce ne sont pas mes affaires…

Je me retourne et constate qu’Alyssa est partie. Elle a dû se rendre compte que son bavardage de nymphomane en chaleur ne m’intéressait pas. Tant mieux ! Je tente de me concentrer sur mon ordi mais je n’arrête pas de penser à Sarah, à tel point qu’il m’est impossible d’effectuer les tâches qui me sont attribuées. Je serre le poing et je me dis qu’au final, il vaudrait peut-être mieux que j’aille la voir pour voir ce qu’elle a… Mais pas par bonté d’âme, hein ! Je n’ai pas oublié la promesse que je me suis faite et je compte bien y parvenir par tous les moyens. Je ne suis pas amoureux d’elle, comprenez-le bien ! Je ne la connais même pas tant que ça. Et puis, l’amour ce n’est plus pour moi, depuis qu’Élise…

Je secoue la tête afin de me changer les idées. Hors de question que je me laisse entraîner sur ce terrain-là. Ça fait des mois que je n’ai plus pensé à elle, et ça me va très bien.

Je redirige mes pensées vers mon boulot et, tout en tapant fébrilement sur mon clavier, j’attends l’heure de la pause avec impatience.

***

Vers onze heures, je lève les yeux de mon ordi et j’aperçois Sarah en train de se rendre vers la machine à café. Je souris et j’attends cinq bonnes minutes avant de la suivre, histoire de paraître naturel. Lorsque j’arrive, elle est en train de boire son café à petites gorgées, le dos tourné. Un macchiato, si je ne me trompe pas. Ce n’est pas la première fois que je la vois en prendre, elle doit sûrement en raffoler. La plupart des filles adorent le chocolat, elle c’est le café. Allez comprendre !

Je me dirige vers elle et je lui tapote doucement l’épaule pour ne pas lui faire peur. Raté ! Elle arbore une expression ennuyée lorsqu’elle me voit, comme à chaque fois à vrai dire.

— Décidément, je vais finir par croire que tu viens ici spécialement pour me voir ! grogne-t-elle.

— C’est peut-être le cas, en effet, je réplique en lui adressant mon sourire le plus charmeur.

— Et que me vaut l’honneur de ta visite ? lance-t-elle, nullement impressionnée.

— J’ai remarqué que tu n’avais pas l’air dans ton assiette tout à l’heure, alors je me suis demandé ce qui se passait. Si je peux faire quoi que ce soit…

— Je te remercie pour ta sollicitude, mais je n’ai pas besoin d’aide, me coupe-t-elle d’un ton glacial.

Loin de me vexer, son rejet me donne encore plus envie d’insister. Je n’ai pas l’habitude qu’une fille me repousse, pourtant avec Sarah ce serait très intéressant de voir jusqu’où je pourrais aller avant de la faire craquer…

Je m’apprête à répliquer quand une voix aigüe et haut perchée nous interrompt :

— Ah, Bruno, Sarah, je vous cherchais ! J’ai quelque chose pour vous !

Je me retourne et j’aperçois Jeanine, près de la porte, vêtue d’un long manteau de fourrure et perchée sur de hauts talons. Ses cheveux sont plus roux que jamais et ses lunettes toujours aussi grosses. Au soupir agacé que pousse Sarah, je devine qu’elle ne doit pas beaucoup l’apprécier. Même chose du côté de Jeanine, vu le regard mesquin qu’elle vient de lui lancer.

— J’ai un projet à vous proposer à tous les deux, dit-elle en s’avançant vers nous. Comme en ce moment, Paris accueille la Fashion Week, je trouve qu’il serait intéressant de répertorier les looks les plus tendances des stars qui y sont invitées et de récolter quelques ragots bien croustillants. Je crois que je vous en ai déjà parlé, n’est-ce pas ? ajoute-t-elle en se tournant vers moi.

— En effet, mais vous ne m’aviez pas précisé sur quoi ça porterait et avec qui je travaillerais dessus, je réponds calmement.

— Eh bien, c’est chose faite ! Vous travaillerez en binôme avec Sarah. Je pense qu’il vaudrait mieux que vous vous occupiez de la partie « look », je ne pense pas que Sarah soit suffisamment habilitée pour s’en charger… déclare-t-elle en jetant un coup d’œil dédaigneux à Sarah qui, visiblement, s’efforce de ne pas s’énerver.

Sur ce, elle nous tourne le dos et s’éloigne.

— Elle sait ce que ça veut dire, le mot « proposer » ? grommelle Sarah. Parce que là, elle ne nous a pas proposé le projet, elle nous l’a imposé !

— Considère ça comme une chance de découvrir les coulisses du plus grand défilé de mode du moment ! je lance tout en m’efforçant de ne pas sourire.

Je ne peux que bénir Jeanine sur ce coup. Ce projet, c’est l’occasion rêvée pour me rapprocher de Sarah. Je ne compte pas la laisser filer de sitôt…

— Ouais, super ! s’écrie-t-elle d’un ton sarcastique. Bon, tu veux qu’on commence quand ? Et où ?

— Demain soir, chez moi, je plaisante.

— Ha-ha, très drôle… Mercredi, quinze heures, dans le café juste à côté, ça te va ? Normalement, on finit tôt ce jour-là.

— Parfait ! j’acquiesce. Et t’en profiteras pour me dire ce qui ne va pas chez toi ?

— C’est ça, compte pas trop là-dessus.

— Dommage, au moins j’aurais essayé, je réplique en lui faisant un clin d’œil.

— Mercredi, quinze heures ! lance-t-elle en levant les yeux au ciel avant de retourner à son bureau.

— Mercredi, quinze heures, j’oublie pas ! je répète en la regardant s’éloigner, l’air satisfait.

J’ai hâte de voir ce que cette journée va nous réserver…

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