3. Arbre ou chapeau melon ?

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Sanoé n’avait jamais vécu un face-à-face aussi gênant.

Le garçon poussa un cri de surprise et glissa en arrière. Il brandissait son pinceau devant lui, comme si les poils de cochon étaient une arme convaincante.

  • Merde ! T'es qui toi ? hoqueta-t-il, sa chute ayant dissipé l’air dans ses poumons.
  • Bonsoir, répondit gaiement Sanoé. Je suis là pour le ménage, tenta-t-elle vainement.
  • Je viens ici depuis deux semaines, je connais les agents d’entretien et toi tu n'en fait pas partie. T'as rien pour faire le ménage en plus, fit-il remarquer.

Sanoé réfléchissait à vive allure. Il ne lui restait plus beaucoup de temps, elle devait le faire partir maintenant. Déjà, elle sentait les poils de sa nuque se soulever.

  • Tu as raison, en réalité, je suis… Tu sais quoi, j’ai pas d’idée. Ohlala, je suis une voleuse, vite vas prévenir la police et déguerpis, termina-t-elle en sortant de derrière la statue.

L’inconnu toussota, essaya d’inspirer profondément, il avait des difficultés à déglutir. Il se massa la gorge, mais rien n’y fit, il manquait d’air.

Sanoé chercha dans sa sacoche et en ressortit un petit flacon d’huile essentielle. Elle le déboucha et le tendit au jeune homme. Une fraîche et piquante odeur de menthe se dispersa autour d’eux. Il la regarda, méfiant. D’un mouvement de la main, elle insista pour qu’il prenne la petite bouteille.

À bien y regarder, il ne devait pas être plus âgé qu’elle. Il était plutôt mignon. Grand et fin. Des cheveux mi-longs châtain. Sanoé trouvait qu’il avait une bonne bouille, quoique très fatigué quand même. C’est drôle, il ne lui semblait pas totalement inconnu. Où l’avait-elle déjà vu ?

  • Tu vas avoir de plus en plus de mal à respirer. Sens ça, la fraîcheur de la menthe va t’aider à libérer tes poumons, expliqua-t-elle. C’est trop tard maintenant pour partir. Reste près de moi.

Le garçon prit le flacon. Il sentit au départ de loin. Puis les effluves de fraîcheur le rassurèrent. C'était vraiment de la menthe. La folle en face de lui avait raison, il avait l’impression de mieux inhaler. Pour autant, il ne comprenait rien à la situation. Elle ne ressemblait pas à une voleuse, n’avait pas le visage masqué et n’était même pas habillée en noir. Piètre voleuse, pensa-t-il.

  • Écoute, je comprends rien à ce que tu racontes. Je sais pas si t’es juste une fille complètement paumée, une junkie ou peu importe. Je vais récupérer mes affaires et on va aller voir le gardien ensemble pour t’aider.
  • Je déteste quand il y a des civils, soupira Sanoé. C’est toi qui vas bientôt avoir besoin de mon aide, indiqua-t-elle plus fort pour qu’il l’entende. On va rester sagement ici tous les deux avant qu’il n’arrive.
  • Qui ça il ?
  • On va vite le savoir.

Décontenancé, le garçon lui rendit son huile essentielle et termina de ranger son matériel de peinture. Pendant qu’il s’affairait, Sanoé jeta un coup d'œil au-dessus de lui.

Tout un pan de mur du musée avait été recouvert d’une gigantesque fresque blanche. Plusieurs croquis dormaient paisiblement, attendant que leurs artistes reviennent les terminer. Tous sauf un qui était presque fini. Sanoé n’était pas certaine de ce que le dessin représentait. Un arbre tortueux et longiligne, ou bien un homme en costume et au chapeau melon, ou encore une plume flottante. En tout cas, ce qu'elle savait c'est que ça la rendait triste. Terriblement triste.

Il se dégageait tant de mélancolie de l'œuvre qu’elle n’arrivait plus à comprendre si la lourdeur qu’elle ressentait dans sa tête et dans son cœur était dû à ce qu’elle avait sous les yeux ou au cas qu’elle devait se dépêcher de traiter.

  • Si je suis une voleuse, toi, tu es un vandale, commenta Sanoé. C’est pas commun de dessiner sur les murs d’un musée.
  • Je ne vandalise rien. Je suis étudiant en art et notre projet c’est de remplir cette fresque pour l’Exposition de pastels du musée d’Orsay. Mais déjà pourquoi je te parle ? Je ferais mieux d’appeler la police.
  • Et ça c'est toi qui l’as fait ? demanda-t-elle en pointant le dessin qui l’intriguait tant.

Il fit oui de la tête, mais ne répondit pas. Son sac sur le dos et sa grande pochette verte sous le bras, il sortit son téléphone pour composer le 17 mais Sanoé lui agrippa le poignet fermement.

Des étoiles pleins les yeux, elle s’exclama :

  • Alors t’en es peut-être un toi aussi ? Est-ce qu’il t’arrive de voir des choses que tu ne comprends pas ou qui disparaissent rapidement ? De distinguer des formes sombres se mouvoir dans ta vision périphérique ?
  • Mais de quoi tu parles ? s’énerva-t-il finalement, tout en se dérobant de la poigne de la jeune fille.

À l’instant où il termina sa phrase, un point opaque derrière la folle le dérangea. Ça bougeait, remuait, prenait peu à peu une forme plus grande, plus fine. Les traits s’accentuaient, jusqu’à avoir l’air presque humain. Deux jambes, deux bras, un torse, une tête, un chapeau melon. Sa vision n’était pas assez nette pour distinguer un visage correctement, mais il était sûr de visualiser dans cet amas de brume immatériel des lunettes rondes et une moustache.

Il crut un instant que la forme le regardait mais ce qui lui servait sans doute de tête se dirigeait vers les hauteurs du bâtiment. Plus précisément vers l'horloge du musée d’Orsay. Le garçon se rendit compte qu’il faisait bien plus froid aussi. Pas comme si la température venait de chuter subitement, plutôt comme si elle était descendue doucement, sans que personne de s’en rende compte, jusqu’au moment où tout cerveau te réclame une veste en laine ou un café bien chaud.

Sanoé remarqua le regard vague de son interlocuteur. Elle aussi ressentait la température ambiante mais elle avait l’habitude de ce froid mordant les os. Elle tourna rapidement la tête. Elle s’en doutait. Il était là. Elle reporta son attention vers le garçon.

  • Donc t’en es bien un…T’as l’air complètement perdu. Je vais avoir beaucoup de choses à te raconter à la fin de cette affaire. Installe-toi dans un coin et ne dérange pas les professionnelles.

Elle lui tapota l’épaule amicalement, puis elle ouvrit sa sacoche en grand. La besace était méticuleusement rangée, des fioles étaient glissées dans des compartiments, diverses bougies colorées reposaient de la plus foncée à la plus claire, des bocaux avec différentes feuilles, fleurs, épices, un jeu de carte, un pendule et des pierres se serraient les uns contre les autres. Le garçon se demanda comment elle pouvait faire rentrer tout ce bazar dans un simple sac en bandoulière.

Elle lui tendit une pierre aussi grosse que son poing, d’un gris métallique, toute boursouflée. Il la trouva affreusement laide, ce que ne manqua pas de remarquer Sanoé.

  • C’est pas pour faire jolie, ricana-t-elle. C’est de l’hématite, pour te protéger. Donc c’est lui. Ce ne sera pas un cas bien difficile. Pas besoin de cercle de sel pour un esprit aussi calme.
  • T’es quoi au juste, une sorcière ?
  • Entre autres, répondit-elle évasive.

Elle ne détournait pas les yeux de la forme brumeuse.

  • Je m’appelle Sanoé, poursuivit-elle. Réceptive et guide du Monde de l’Invisible à mes heures perdues pour te servir.

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