4. Départ pour l’Invisible quai N°4

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La forme brumeuse se mouvait en un glissement silencieux. Elle avançait doucement, comme si elle prenait son temps. Elle parcourut la longue allée de statues pour se retrouver face à un ascenseur. Elle s'immobilisa un instant, sembla vérifier l'horloge de nouveau puis s’assit.

À présent, Arthur distinguait plus nettement les jambes de l’homme au chapeau melon. Il était assis dans le vide, comme soutenu par un banc invisible. Une jambe au-dessus de l’autre. Il semblait déplier un journal que lui seul voyait.

Le cerveau d’Arthur avait beau lui hurler qu’il voyait un homme, il refusait de l’admettre. C’était impossible. Sans doute une œuvre du musée, les nouvelles technologies font des choses ahurissantes. Ou alors une paréidolie. Ou un surmenage. Ou encore une surdose de café. Peu importe, c’était tout sauf un fantôme.

Machinalement il frottait la pierre, que la sorcière venait de lui donner, du bout des doigts. Sa texture douce et froide l’ancrait dans l’instant présent. Il devait partir d’ici, il devait bouger, fuir. Pourquoi ses pieds s'enracinaient-ils dans le sol ? Pourquoi était-il aussi subjugué et attiré par ce qu’il voyait ? Pourquoi avait-il l’impression de retrouver une sensation perdue depuis longtemps ?

Celle qui s’était présentée en tant que Sanoé, se dirigeait en direction de l’homme au chapeau melon. L’esprit ne la voyait visiblement pas, continuant de lire dans le vide tranquillement. Elle resta un instant debout, juste à côté de lui. Elle n’était ni terrifiée, ni stupéfaite. À son tour elle contempla l’horloge. Puis reporta son attention sur l’homme au chapeau melon puis vers Arthur.

À l’instant où les yeux cuivrés de la jeune fille rencontrèrent ceux du garçon, il put de nouveau bouger. Un peu plus confiant. Il comprenait, sans trop savoir comment, qu’il n’y avait pas de danger. Ce moment, il devait s’en souvenir, se rappeler cette sensation. Il ouvrit son carnet et grossièrement, au crayon de papier, il esquissa l’homme au chapeau melon. Étrangement, il retrouvait la même facilité à le dessiner que lorsqu’il réalisait son projet au musée. Il rejoignit Sanoé à petits pas, de peur d’attirer l’attention du spectre. Mais rien n’y fit, ce dernier tournait une page inexistante.

  • Qu’est ce que tu attends ? murmura le plus doucement possible Arthur.
  • Le train, répondit Sanoé normalement. Tu sais, il ne nous entend pas. On ne fait pas partie de sa réalité.

Elle jeta un œil à l’esquisse de son voisin.

  • Incroyable ! Tu dessines tellement bien ! C’est exactement lui, même s' il est un peu … flou ? Ta clairvoyance est assez avancée pour un novice, bravo.
  • Euh, merci je crois ? Tu le vois pas brumeux toi ? murmura-t-il toujours.

Elle fit non de la tête.

  • J’ai besoin d’un peu plus qu’un simple hochement de tête. Tu pourrais m’expliquer ce qu’il se passe ? On a été drogué ? On est dans une sorte de dimension parallèle ? Ou alors je me suis endormi et tu es un cauchemar ?
  • Donc dans ta logique c’est moi le cauchemar et pas le fantôme ? Sympa, merci.

Arthur lui lança un regard noir. Il avait besoin de réponses et non de sarcasme.

  • La personne à ma droite est un esprit, un fantôme, un spectre, appelle le comme tu veux. Et pour le moment, il attend un train qui n’arrivera jamais. Il a sans doute une affaire non réglée, à nous de l’aider.
  • Nous ?! s'exclama Arthur.

Sanoé s’éclaircit la voix. Elle se pencha vers l’homme au chapeau melon et lui demanda aimablement:

  • Excusez-moi Monsieur, auriez-vous l’heure ?

Le fantôme sursauta en entendant la voix à côté de lui. Il tourna ses lunettes vaporeuses vers elle.

  • Vous m’avez fait peur jeune fille, s’amusa l’homme. Il est exactement 15h23.
  • Vous attendez le train ?
  • En effet, je dois me rendre à Quimper. C’est l’anniversaire de ma petite fille, je rentre pour l’occasion dans ma ville natale. Vous attendez également le train ?
  • Malheureusement non Monsieur, je travaille ici et je viens prévenir les passagers que la gare d’Orsay ferme définitivement. Les trains ne circuleront plus. Vous m’en voyez navré.

L’homme au chapeau melon s’affaissa, la texture brumeuse de son corps s’assombrit comme un gros nuage d’orage. Impossible de discerner exactement l’expression du spectre, mais Arthur savait qu’il était triste.

  • Mais comment vais-je faire ? Elle attend son cadeau avec impatience. Je n’y serais jamais pour cette après-midi, se lamenta-t-il, la tête entre ses mains opaques.
  • N’ayez crainte Monsieur, je dois également me rendre à Quimper en fin d’après-midi en voiture. Souhaitez-vous que je donne votre cadeau à votre fille ? La ville n’est pas bien grande. Si vous me donnez votre adresse et son nom je pourrais lui dire que son papa arrivera le lendemain. Ainsi cela vous laissera du temps pour prendre un autre chemin.
  • Je ne veux pas vous embêter.
  • Vous ne m'embêtez guère, c’est sur ma route. Et puis c’était à nous de vous prévenir avant la fermeture de la gare.
  • C’est très aimable à vous, je vous remercie du fond du cœur. Je n’ai pas le cadeau sur moi. Il est dans un coffre à mon nom à la banque de Quimper. Il n’y a rien d’autre que cette boîte à musique. C’est ma seule fortune. Elle a été fabriquée par un artisan horloger d’Alsace. Demander la clé du coffre à ma femme, elle est dans mon bureau. Notre maison est au 32 bis rue des Celtes au nom de Albert, Mariette et Lucile Duchêne.

Arthur ne loupait rien de cet échange extraordinaire. Littéralement paranormal.

  • C’est étrange, compléta le fantôme. Vous êtes une parfaite inconnue, mais j’ai une confiance aveugle en vous. Je sais qu’avec vous ma fille aura son cadeau. J’ai l'impression que que l’on me retire un poids des épaules.

La grisaille qui formait son corps se décolora petit à petit jusqu’à devenir un blanc lumineux. Il regarda une dernière fois l’imposante horloge qui trônait au-dessus d’Orsay.

  • Sur ce, adieux jeune fille et merci, dit-il en soulevant son chapeau melon en signe d'au revoir. Et adieu à vous aussi jeune homme, il est temps pour moi de prendre mon prochain train.

Il se leva de son banc invisible et partit en direction des portes de sorties. Plus il avançait et plus la forme lumineuse disparaissait, s’évaporait, jusqu’à ne plus exister du tout. Les chauffages du musée rediffusaient une douce chaleur, l’obscurité de la nuit se fit moins pesante et une nouvelle vague d’air vint emplir les poumons d’Arthur.

  • Encore une affaire rondement menée ! C’est pas tous les jours qu’on a des personnes aussi aimables. T’as eu de la chance pour ton premier cas, s’exclama Sanoé.

Arthur était assis à même le carrelage, son carnet devant les yeux. Ses lèvres et ses doigts tremblaient d'incompréhension.

  • Qu’est ce qu'il vient de se passer ? balbutia-t-il.

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