6. C'était toi !

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  • Tu peux me rappeler pourquoi je t'ai suivi ?
  • Tu veux dire pourquoi tu es assis à côté d'une inconnue en direction d'une ville en Bretagne pour aller chercher le cadeau d'une petite fille qui doit avoir aujourd'hui dans les 80 ans afin d'honorer la mémoire d'un fantôme que tu as rencontré dans un musée en pleine nuit ? demanda Sanoé d'une traite.

Arthur écarquilla les yeux de surprise. Elle n'avait même pas repris sa respiration.

  • Ouai c'est à peu près ça, ronchonna-t-il en s'affaissant sur le siège du train.

Il attrapa son sac à dos dans lequel il avait enfoncé sans aucune précaution ses affaires pour ce week-end breton. Entre un pull et une paire de chaussettes en laine, il réussit à extirper son livre de poche. Il l'ouvrit mais fut rapidement intrigué par le paysage qui défilait sous ses yeux. C'est seulement maintenant qu'il remarquait que les maisons de ville et les immeubles avaient laissé leur place aux patchworks de champs agricoles. Des carrés jaunes, des verts, des bruns. Au loin, des éoliennes surplombaient les pâturages comme des moulins à vent géants.

À sa gauche, Sanoé fermait les yeux. Sa respiration était lente et profonde.

Arthur en profita pour l'analyser. Depuis leur rencontre tout était allé si vite, il n'avait pas eu le temps de comprendre qui était réellement la jeune fille.

Sa frange rousse retombait sur ses paupières closes. Mais il savait que ce n'était pas sa couleur naturelle. Ses sourcils étaient d'un brun foncé et des racines brunes commençaient à percer sur le haut de son crâne. Des cheveux courts coupés en un carré plongeant encerclaient un visage rond et sympathique. Un nez droit surplombant des lèvres continuellement souriantes.

Même assise, elle était plus grande que lui. Sa peau était très blanche. Arthur aurait aimé être poétique et dire qu'elle était lumineuse comme la pleine lune ou comme une colline enneigée. Mais non. Elle était blanche comme les enrhumés par un temps d'hiver.

Sanoé entrouvrit un œil en direction de son compagnon de route.

  • Oui ? demanda-t-elle, la voix ensommeillée.
  • Et les vampires, ça existe aussi ? Les loups garou ? Le yéti ?

Elle se mit à rire. Arthur aimait bien son rire. Il était affreusement bruyant. Mais il était vrai, tout ce qu'il y a de plus authentique. Son rire ne mentait pas.

  • Je n'en ai jamais rencontré personnellement. Mais qui sait ? Les fantômes et les sorcières existent bien.

Ce n'était pas la première fois qu'il le remarquait. L'accent de Sanoé. Il n'était pas très prononcé, juste assez pour s'en rendre compte. Surtout lorsqu'elle était amusée. Elle roulait les "r", c'était rauque, brute.

  • Tu es originaire d'où ? se risqua de demander Arthur. J'ai l'impression d'entendre un accent un peu nordique quand tu parles.
  • D'un petit coin perdu en Écosse.

Elle n'ajouta rien. D'ordinaire, elle n'était pas si avare sur les mots. Arthur ne força pas plus et retourna à sa lecture.

  • Hey ! s'exclama soudain Sanoé. Les Mystères de Paris. Je connais ce bouquin. C'était toi ?

Arthur ne comprit pas où elle voulait en venir. Jusqu'à ce qu'un souvenir lui revint en mémoire.

  • La fille du train. C'était toi ?
  • Oui ! Et toi tu es le beau gosse qui lit !

Arthur rougit instantanément au compliment. Il ne savait plus où poser le regard. Sanoé. Son livre. Le paysage.

  • Roh allez, fait pas semblant. Tu sais que t'es beau comme un cœur.

Le paysage. C'était la meilleure chose à regarder. Au moins il pouvait cacher un tant soit peu ses joues cramoisies avec sa main accoudée à la vitre du train.

  • Une chose est sûre. Tu es terriblement franche.

-¤-

Le train entra en gare de Quimper.

Arthur se sentit complètement dépaysé. C’était pourtant la ville et non la campagne profonde de la Bretagne. Mais il était bien loin de la capitale et de sa maison. Ici ce n'étaient pas les pigeons qui roucoulaient pour un morceau de kebab ou un mégot de cigarette mais des mouettes aussi grosses que des dindons qui hurlaient sur les passants pour voler un bout de crêpe. Les nuages viraient du blanc coton au gris poussière, sans jamais pleuvoir.

Les maisons, tantôt en pierre, tantôt en colombage, se serraient les unes contre les autres comme pour se réchauffer par ce temps automnal. Arthur souffla sur ses doigts. Bien qu’il n’était que 17h30, la nuit ne tarderait pas à se lever. Déjà les lampadaires s'allumaient les uns après les autres, éclairant les pavés d’un faible halo orangé.

  • Et maintenant, on fait quoi ? demanda le jeune homme inquiet.
  • On va aller dans un RBNB, pour la nuit. À cette heure, la banque doit être fermée. On ira demain matin.

Sanoé sortit son téléphone. Elle composa un numéro et attendit trois tonalités.

  • Ouai Rima, on est bien arrivé.

Arthur entendit des murmures grésillants.

  • Oui, oui il est là.

Sanoé pouffa de rire et lança un regard amusé vers Arthur.

  • Ah mais moi non plus je comprends pas. Peu importe, tu peux m'envoyer l’adresse ?
  • Super, merci t’es un amour. Je te tiens au courant pour la suite.

Il ne fallut que quelques secondes pour que retentisse la sonnerie de la notification d’un message.

  • On doit se rendre au 32 chemin de Kerlaëron.
  • Wow, y a pas plus breton, ironisa Arthur.

Il leva la tête en tendant la main vers le ciel.

  • J’ai senti une goutte.
  • Alors, on ferait mieux de se dépêcher, on en a pour une bonne demi-heure de marche.

Tous deux se mirent en route, suivant le GPS sur le téléphone de Sanoé. Certains passants regardèrent les adolescents, interloqués par la voix numérique.

  • C’était qui ? finit par demander Arthur.

Sanoé ne sembla pas comprendre à qui son compagnon de route faisait allusion.

  • Elle, c’est Miss GPS.
  • Mais non, pas ça. La personne avec qui tu étais au téléphone. C’est un autre… comme nous ? Un Réceptif ?
  • Alors comme ça tu es curieux d’en apprendre plus sur moi ? dit Sanoé, une main contre le front, celle tenant son téléphone contre le cœur, arborant son meilleur jeu d’acteur.
  • Toi non. Mais sur ce qu’on est. Tu te rends compte c’est comme si j’avais un super pouvoir !
  • À droite, indiqua Sanoé. Tu le prends beaucoup mieux qu’il y a trois jours.
  • Disons que j’ai réussi à me faire à l’idée.
  • Oh vraiment ?

Elle souleva un sourcil narquois.

Après un virage, ils arrivèrent finalement devant une maison sur deux étages. Les volets bleus ressortaient par rapport à la façade blanche et au toit en ardoise. Elle était entourée d’un ravissant jardin à l’herbe d’un vert lumineux et aux imposants bouquets d'hortensia. Une typique maison bretonne, tout à fait charmante. Sanoé entra par le portillon en bois clair et sonna. Une mélodie retentit de l’autre côté de la porte et rapidement une petite dame vint leur ouvrir. Aussi charmante que sa maison, elle était pomponnée comme une poupée de porcelaine. Vêtue d’une robe écrue et d’un tablier rose, elle avançait en faisant traîner ses chaussons orthopédiques.

  • Bonjour Madame, Je suis Sanoé Cockborne. Nous avions réservé une nuit.

La femme cligna ses yeux pâles. Visiblement elle se creusait la mémoire pour se rappeler ce drôle de nom.

  • Ah oui je me souviens, le petit couple, s’exclama la vieille dame. Vous êtes un peu en retard mais ne vous inquiétez pas. Votre chambre est prête. Le repas est à 19h15. Ne faîtes pas trop de bruit, nous avons d’autres pensionnaires avec de jeunes enfants.

Et elle accompagna sa phrase d’un rire cristallin qui fit trembler sa permanente blanche caniche. Elle les invita ensuite à entrer d’un signe de la main.

Une forte odeur d’eau de toilette à la violette les accueillit en passant le pas de la porte. La vieille dame leur présenta la cuisine, le salon, puis les fit monter pour accéder à leur chambre. Une table, deux chaises, une armoire assez grande pour poser ses affaires pour une semaine, un coin salle de bain et toilette, un lit…

Arthur se mit à tousser.

  • Il n’y a qu’un lit, fit-il remarquer en chuchotant à l’oreille de Sanoé.

Mais la jeune femme ne réagit pas. Elle remercia la vieille dame et lui affirma qu’ils seraient présents à l’heure du dîner.

  • Il n’y a qu’un lit, répéta Arthur plus fort. Et c’est pas parce que je t’accompagne dans cette affaire complètement folle que ça fait de nous un couple.
  • Roh aller fais pas ton timide, lança Sanoé en posant son sac sur le lit et en retirant son long manteau crème. C’est ce qui risque d’arriver de toute façon. Un garçon, une fille, seuls contre le monde paranormal et vivant des aventures. Tu ne devrais pas faire ton étonné. À moins que tu ne sois gay, et dans ces cas-là, tu n’as pas à avoir peur de moi.
  • Vraiment, j’aimerais être capable d’être aussi confiant que toi, marmonna Arthur en s’affalant sur le côté droit du lit.
  • Je sais, je suis merveilleuse, renchérit Sanoé.

Elle passa les mains sous le sommier et le tira vers elle. Le lit se divisa en deux.

  • J’avais demandé deux lits simples, mais elle a dû penser qu’on était un couple en pleine rupture. Et comme elle semble être une mamie attentionnée, elle a regroupé les deux lits pour qu’on se réconcilie.

Arthur ne répondit rien, sa bouche forma simplement un o parfait.

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