7. Ma sorcière bien-aimée
Autour de la table, outre Sanoé et Arthur, se trouvait un couple d’une trentaine d’années avec leurs trois enfants. Les deux plus âgées ne dépassait pas les sept ans et le plus petit était quant à lui incapable de se déplacer par ses propres moyens.
- Normal, avait soufflé Arthur par rapport à la remarque de Sanoé, il doit avoir 18 mois à tout casser. C’est encore difficile de marcher à cet âge.
Sanoé fit la grimace quand les deux plus grands s'approchèrent d’elle en jouant avec une passoire et une cuillère en bois.
- Les enfants c’est vraiment pas ton truc, remarqua-t-il en réprimant un éclat de rire.
Le repas était très plaisant. La vieille dame, qui s’appelait Anne-Marie, avait préparé pour ses convives un festin de spécialités bretonnes. En entrée, un plateau d'huître fut avalé en un temps record, accompagné d’un peu de cidre bien évidemment. Le plat, bien que difficile à prononcer pour le commun des mortels, était d’un réconfort bienvenu par le froid qui régnait dans la demeure : Anne-Marie l’avait appelé le Kig-ha-Farz. En dessert, ils eurent droit à des crêpes maisons et à du caramel beurre-salé présenté dans des petits bocaux de confiture.
- Vos petits pots de confiture sont adorables, ça vous dérange si je ramène le mien ? demanda Sanoé à la fin du repas.
- Oh non pas du tout, allez-y c’est cadeau, répondit Anne-Marie en ramassant les assiettes.
- Attendez, je vais vous aider, proposa Arthur.
À plusieurs, la table fut vite rangée et nettoyée. Le couple récupéra ses enfants, qui avaient fini devant un dessin animé à la télévision, puis montèrent se coucher. Les enfants firent des signes de la main à Sanoé et Arthur. Il les leur rendit, un tendre sourire sur les lèvres. Sanoé, elle, frissonna.
- Merci les enfants, mais vous n’étiez pas obligé.
- C’était pour vous remercier pour ce repas. Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas autant régalé, répondit Arthur.
Anne-Marie gloussa en tapotant l’épaule du jeune homme. Sanoé était certaine de la voir rosir derrière ses joues pâles. La vieille dame se retourna vers elle et lui intima :
- Garde-le celui-là ma fille. C’est un bon garçon, attentionné et travailleur.
- Je vais essayer, plaisanta Sanoé.
Arthur tendit l'oreille, intrigué par les messes basses des deux femmes. Il n'entendit que la réponse de Sanoé.
Il fut temps d’aller dormir. Monter les marches la première fois n'avait procuré aucune sensation particulière à Arthur, étrangement il se sentait mal à l’aise cette fois-ci. Sanoé était devant lui. Il avait remarqué qu’elle l'était souvent. Lorsqu’ils marchaient, lorsqu’ils attendaient le train, lorsqu’ils montaient les escaliers. Pourtant, il sentait qu'elle n'agissait pas ainsi afin de se mettre en avant, c’était plus comme si elle se mettait en position de protectrice.
Il ne connaissait presque rien d’elle. Il avait entendu son nom de famille pour la première fois il y a quelques heures. Mais il avait déjà remarqué certaines de ses habitudes. Elle tournait souvent sa bague dorée quand elle réfléchissait, elle jouait avec son pendentif quand elle s’ennuyait, et elle massait la paume de sa main avec son pouce lorsqu’elle était contrariée. Sanoé avait raison, on lisait en elle comme un livre ouvert. Toutes ses émotions passaient sur son visage, elle n’essayait même pas de les dissimuler.
Dans la chambre, Sanoé se brossait les dents pendant qu’Arthur cherchait son pyjama. En le sortant de son sac, il fit tomber le pot de confiture. Heureusement, la moquette cramoisie amortie la chute.
- Au fait, pourquoi t'a gardé le pot ? Y a même plus de caramel dedans.
Il l’entendit cracher et se gargariser. Elle revint après, une serviette contre la joue.
- Ce genre de bocal est super pratique pour avoir ses herbes toujours sur soi. C’est comme ça que je peux garder ma lavande, ma sauge, mon millepertuis.
- J’oublie que t’es une sorcière, renchérit Arthur en levant les yeux au ciel.
- Me crois pas si tu veux. Ça ne changera pas le fait que c’est important quand on travaille dans le paranormal.
- Alors tu fais tourner la tête des gens à 360° ? Tu danses autour d’un chaudron en lançant des queues de rat ? Tu récites des sortilèges de magies noires en latin ?
Sanoé s'assit à côté de lui. Il pensait qu’elle allait le charrier, lui dire qu’il n’était qu’un imbécile et qu’il ne comprenait rien. À la place, elle sourit tristement.
- C’est avec ce genre d'a priori qu'elles étaient brûlées. C'étaient des femmes. Elles ne vivaient pas de la “bonne” façon.
Elle secoua la tête comme pour reprendre ses esprits.
- C’est pas ta faute si t’es un ignare, plaisanta-t-elle finalement en lui ébouriffant les cheveux. Tout mon attirail de sorcière me sert à me protéger pendant et après une affaire. Ça me permet aussi de purifier le lieu après le passage d’une entité ou les personnes tourmentées. Tu t’es senti plus apaisé après avoir tenu l’hématite, pas vrai ? Eh bien, c'est ça le rôle d’une sorcière moderne. Mais pour toi, je ferais un effort, je veux bien que tu m’appelles “ma sorcière bien aimée”, termina-t-elle avec un clin d'œil.
- Hilarant, dit Arthur monotone. On ferait mieux d’aller dormir, demain va encore être une grosse journée.
Les lits avaient été séparés d’un bon mètre cinquante.
Il se glissa dans ses draps, brancha son téléphone à son chargeur et ferma les yeux. Arthur trouva que Sanoé venait d’avoir une réaction étrange. Un voile sombre avait masqué, le temps d’un instant, ses pupilles pétillantes. Alors, il se dit qu’il ne savait plus s'il préférait comprendre son don extrasensoriel ou apprendre à mieux connaître la fille surnaturelle.
Sanoé ne tarda pas à l’imiter.
- Bonne nuit, souhaita-t-elle.
Seule la pluie battant les volets lui répondit.
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