9. Partenaire

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C’est le ventre bien rempli qu’Arthur et Sanoé se rendirent au 32 bis rue des Celtes. Les hautes maisons en colombage du centre de la ville avaient peu à peu laissé la place à des maisons mitoyennes d’un seul étage, aux portes et aux fenêtres en pvc coloré. Peu de voitures encombraient les rues sinueuses, sans doute les gens profitaient-ils du temps grisâtre pour rester au chaud en famille.

  • Qu’est ce qui nous dit que la fille de l’homme au chapeau melon habite toujours dans la maison de son enfance ?
  • T'inquiète, je pars jamais en mission sans être préparée. J’ai fais mes recherches et elle habite toujours … dans cette maison ! déclara Sanoé en pointant du doigt le numéro 32 bis.

Coincée entre deux maisons en crépi blanc, le 32 bis contrastait avec sa devanture en pierre grise et sa toiture en ardoise. On pouvait lire sur la boîte aux lettres : Mr et Mme Dormont.

Dans le petit jardin devant la maison, une femme à la longue chevelure blanche ramassait des pommes tombés de son pommier. En plein travail, elle n’avait pas remarqué les deux jeunes gens s'approcher du portillon.

  • Êtes-vous Madame Lucile Duchêne ?

La vieille dame n’eut pas à se relever bien haut tant son dos était vouté.

  • Cela fait bien longtemps que l’on ne m’appelle plus Duchêne, répondit Lucile, un rire dans la voix.
  • J’ai un colis pour vous Madame. La Poste s'excuse pour le retard et espère que vous ferez encore appel à ses services, mentit Sanoé sans sourciller. Très bonne journée à vous Madame.

Les doigts tremblants de la femme enveloppèrent le paquet avec délicatesse. Elle le regarda intensément, ne comprenant pas qui pouvait lui avoir envoyé un tel colis d'autant plus qu’il n’y avait aucune adresse. Seulement un morceau de papier accroché par une ficelle.

À ma petite Lucile.

La veille femme releva la tête avec l’intention de questionner cette drôle de petite factrice qui ne portait même pas la veste de la Poste, mais elle et le garçon qui l’accompagnait s’était volatilisés.

Alors, précautionneusement, elle défit le noeud jaune, bruni et taché par le temps. Ses yeux s'écarquillèrent devant la beauté de la boîte qu’elle tenait entre ses mains. C’était un pur chef-d'œuvre fait de bois et de feuilles d’or. La gorge serrée, elle l’ouvrit. La lettre à Elise, résonna dans la petite rue des Celtes, bien calme en ce dimanche midi. Lucile porta une main à sa bouche.

À l'intérieur du couvercle de la boîte à musique, se trouvait une photo. Une photo en noir et blanc, d’une petite fille sur les genoux d’un homme avec un chapeau melon, une femme à leur côté lui prenait sa petite main potelée.

  • Papa, maman, murmura la vieille femme.

Une larme roula entre les sillons de ses joues ridées, accompagnée de sanglots. Elle enlaça la boîte contre son cœur et chercha une dernière fois du regard la petite factrice. Personne. Elle rentra alors aussi vite que lui permettait ses jambes fragilisées par l’âge montrer son cadeau venu du ciel à son mari.

Cachés derrière le mur d’une maison adjacente, Sanoé et Arthur n'avaient rien perdu des retrouvailles de Lucile et de son père, en quelque sorte. Ému, Arthur resta silencieux un moment. Si c'était ça être un Réceptif, guider tout autant les fantômes et les vivants dans la paix, alors il ne voulait pas s’arrêter à cette seule mission.

  • C’est pas tout ça, mais on a encore un train à prendre nous, souffla d’aise Sanoé en s’étirant.

-§-

Trois mois étaient passés. Sanoé n’avait plus aucune nouvelle d’Arthur. Ils s’étaient séparés en rentrant sur Paris. Un signe de la main, une foule de voyageurs pressés et plus l’ombre du beau brun.

Peut-être lui avait-elle fait trop mauvaise impression avec sa franchise et ses gros sabots ? Toujours est-il qu’elle s’inquiétait quand même. Arthur était un Réceptif sur le tard, rare était les personnes qui déverrouillaient leur don dans la vingtaine.

Surtout la Clairvoyance. Pas facile à vivre tous les jours quand on peut voir les morts. Certains ne sont pas beaux à voir.

Le cours d’Histoire et d’Archéologie, bien que passionnant, avait sur Sanoé un effet de poussière de marchand de sable. Les paupières lourdes, elle luttait pour suivre les différentes dynasties qui avaient gouverné l’Egypte antique. Alors que la voix grave de son professeur la berçait, elle se dit que ce serait intéressant de rencontrer les fantômes des momies en Egypte, par contre elle aurait besoin d’un traducteur …

La journée se terminait enfin. Et elle n’avait pas été productive. Aucune affaire de fantôme palpitante depuis un bout de temps. Rien. Même pas une petite maison hantée. Mais que faisaient les morts en ce moment ?

La sonnerie de son téléphone retentit dans les couloirs de la fac.

  • Allô ? Ah Rima.
  • Meuf ! C’est aujourd’hui l’exposition de ton chéri.
  • De quoi tu parles ? demanda Sanoé perplexe.
  • Le beau gosse du train, Arthur ! Ce soir, les étudiants de son école d’art présentent leur projet dans le Musée D’Orsay.
  • Je rêve ou tu l’as espionné ?
  • Sur les réseaux ça compte pas comme de l’espionnage.
  • Si Rima, ça compte carrément.
  • Bref si tu veux le revoir c’est maintenant ou jamais.
  • Mais ce soir j’ai …
  • Réfléchis pas ma fille, va choper ton artiste torturé. Oh, ma mère m’appelle, on se voit plus tard.

Bip.

Sanoé jeta un œil à son sac puis à l’heure affichée sur son écran. Elle avait un peu de temps avant son rendez-vous, elle pourrait passer au musée. Seulement pour être sûre qu’il vivait bien avec son don.

-§-

Le musée fermait plus tard en raison de l'exposition. Sanoé présenta sa carte étudiante et passa sans problème devant les deux gros bras de la sécurité. L’entrée était bien plus facile que la dernière fois. Alors que les visiteurs s'extasiaient sur la technique artistique des sculpteurs, Sanoé se dirigea directement vers le fond du rez-de-chaussé. Elle avait déjà vu ces statues des dizaines de fois. Que ce soit en visite libre, avec les cours, ou encore pour aider un fantôme attendant éternellement son train.

Elle fut tout de même soulagée de ne plus ressentir les picotements glacés sur sa nuque, ni le manque d’air dans ses poumons. Ça prouvait qu’il était bien parti.

L'exposition de pastel ne désemplissait pas. Et une foule de personnes s'agglutinait devant un long mur recouvert de feuilles blanches. Un panneau indiquait: Collaboration avec EAP - Seine - Ecole d’Arts Préparatoire Paris.

Les élèves bombaient le torse, fiers de présenter leur chef-d’œuvre. Différents styles de dessins parcouraient la gigantesque toile en un patchworks de motifs et de couleurs pastelles. Sanoé n’était pas sensible à toutes les peintures mais le rendu final était très impressionnant. Elle reconnut immédiatement la toile d’Arthur. Pour certains, le dessin représentait un arbre, pour d’autres une plume. Pour Sanoé c’était un homme portant un chapeau melon.

Elle aperçut le jeune homme discuter avec, ce qui semblait être, des camarades de classe. Elle hésita un instant. Mais c’était pour lui qu’elle était venue, alors au diable la honte !

  • Bonsoir, dit-elle à l’attention d’Arthur.

Le concerné se retourna et écarquilla les yeux en apercevant la fausse rousse.

  • Sanoé ! s’exclama-t-il.
  • Tu la connais ? demanda son camarade. Un garçon aux cheveux courts et blonds, sobrement habillé d’une chemise blanche et d’un jean. Pas vraiment le stéréotype de l’étudiant en art.
  • Je passais par là par hasard, mentit-elle. Et je me souvenais de ton exposition alors je me suis dit pourquoi ne pas passer ?

Un grand sourire creusa les fossettes du jeune homme. Sanoé ne s’y attendait pas, il avait l’air ravi de la voir.

  • Bon, tout va bien visiblement, je vais y aller alors. Contente de t’avoir revu.

Mains dans les poches, Sanoé le salua d’un hochement de la tête et commença à s’en aller.

Elle fut stoppée dans son élan.

  • Attends, tu peux pas partir comme ça. J’ai essayé de te retrouver, mais … j’ai complètement oublié ton nom de famille, déclara Arthur penaud.

Une secousse électrique parcourut le corps de Sanoé. Elle se sentait mieux. Elle se sentait mieux que mieux. À tel point qu’elle avait une furieuse envie de le taquiner.

  • Fallait le dire plus tôt si tu voulais mon numéro, minauda-t-elle.

Les camarades d’Arthur lui donnèrent des coups de coude dans les côtes en rigolant.

  • J’ai continué à voir des … enfin tu sais. J’ai essayé de les aider, comme on a fait pour tu sais qui. Mais j’y arrive pas. Je ne les comprends pas ou dans le pire des cas, ils ne me voient même pas.
  • Tu as essayé de les aider ? Pourquoi ? demanda Sanoé dérouté par les confidences d’Arthur. Elle était loin de se douter que leur escapade à Quimper lui avait tant plu.
  • J’ai voulu ressentir encore une fois la sensation d’avoir été utile, d’avoir aidé. C’était … je ne sais pas … enivrant.
  • Wow c’est bien énigmatique votre conversations les gars, coupa le blond perplexe.

Arthur coupa à travers la foule et prit Sanoé à part.

  • Je sais qu’on ne se connait pas vraiment et que moi je n’y connais rien aux fantômes et autres spectres. Mais j’ai envie d'apprendre. De comprendre ma Clairvoyance. J’ai eu beau chercher des réponses sur internet, c’était comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Est-ce que par hasard tu prends les stagiaires ?

Sanoé réfléchit un moment. Elle avait l’habitude de sa liberté, de son indépendance. Avoir quelqu’un dans les pattes, allait sûrement changer sa façon de travailler, c’était aussi plus d’organisation et d’inconvénient.

  • Je ne prends pas de stagiaire. Par contre, je cherche un artiste accro au café, maître dans le dessin de revenant. Il y a une place de libre, si ça te tente ?

Des étoiles plein les yeux, il hocha la tête.

  • Je prends le poste !
  • Attention, tu n’es qu’en période d’essai.

Sanoé jeta un œil sur la grande horloge du musée.

  • J’ai un truc à faire ce soir, je peux pas rester plus longtemps. Donne-moi ton numéro de téléphone, dit-elle en tendant son smartphone.

Arthur s'exécuta. Son sourire ne l’avait pas quitté. C’était mignon.

  • Tu auras bientôt de mes nouvelles. Partenaire. Et bravo pour l’exposition.

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