12. Rencontre avec un koala tyrannique
Après avoir changé de station de métro, Sanoé et Arthur sortirent de la bouche faisant face à la gare Montparnasse.
- Pitié, ne me dit pas qu’on doit encore traverser la France, pour rejoindre ta pote, implora Arthur.
- Non, pas de panique, elle habite pas loin de la gare, le rassura Sanoé.
Ils arrivèrent rapidement devant un imposant immeuble haussmannien. Arthur avait eu un cours en début d’année sur ce style du XIXᵉ siècle. Une introduction pour le cours d’architecture et d’art urbain. Son cerveau d’artiste et de bon élève évaluait d’un œil concentré le bâtiment.
Un immeuble de cinq étages, une façade construite en pierre blanche, un rez-de-chaussée strié de refends horizontaux, la présence d'un balcon filant au deuxième et dernier étage, soutenu par des consoles, de grandes fenêtres en hauteur, des combles abritant les chambres de bonnes sous le toit. Et pour finir, la splendeur de la porte en bois et de son encadrement en pierre taillé représentant des ornements de végétaux sinueux.
Comme si les lieux lui appartenaient, Sanoé ouvrit le battant droit de la porte. L’expression scandalisée sur le visage d’Arthur, lui décocha un sourire. Elle n’avait pas eu besoin de sonner pour entrer, tout d’abord parce que le mécanisme d’ouverture automatique de la porte était cassé depuis trois mois et surtout, elle savait qu’on l'attendait.
Au deuxième étage, à peine le vieil ascenseur en fer s’était arrêté qu’un flash rose fondit sur Sanoé. La jeune femme, déséquilibrée, faillit repartir dans la cage.
- Vas-y raconte ton rendez-vous avec le beau-gosse !
Une jeune femme de petite taille, deux chignons donuts sur la tête, un casque blanc à oreilles de chat pendant autour de son cou, toute de rose vêtue, agrippait fermement Sanoé à la taille. Elle ressemblait à un bébé koala câlinant sa maman. Elle s’était tant précipitée, qu’elle n’avait prêté aucune attention au garçon à côté de la rousse.
Arthur essaya de se faire plus petit qu’il n’était déjà. Il espéra de tout son cœur que la furie rose ne le remarqua pas. Trop tard, elle tournait déjà vers lui un regard scrutateur.
Les yeux plissés, la moue concentrée, elle le jugeait du regard. Elle n’avait toujours pas lâché Sanoé, maintenant le câlin du bout de ses bras et de ses jambes maigres. Arthur aurait ri de la drôle de posture de la jeune femme s’il ne s’était pas senti aussi mal à l’aise.
- Mouais, lâcha le koala humain. Je comprendrai jamais tes goûts. On dirait une brindille avec des cheveux.
Une douche froide. C’est ce que venait de se prendre Arthur. De rouge, il devint blanc comme un linge, ou comme un fantôme, au choix. Elle pouvait parler celle-là. Elle était aussi fine que lui. Si Arthur éternuait, il était sûr qu’elle s'envolerait vers d’autres cieux.
- Et pourquoi il est là au juste ? demanda-t-elle en se séparant de Sanoé.
- La brindille a peut-être des cheveux, mais elle a surtout des oreilles ! se défendit Arthur.
Il ne se laisserait pas marcher sur les pieds par un bébé koala d’une tête de moins que lui, malpolie et vraisemblablement possessive.
- Ok tous les deux, c’est bon, temporisa Sanoé en se plaçant devant Arthur. Il fait partie de l’équipe, Rima. Maintenant, on peut parler de l’affaire que tu m’as envoyée ?
Rima. Ce nom disait quelque chose à Arthur. Mais où l'avait-il entendu ?
Plongé dans ses pensées, il entra dans un appartement à la suite de Sanoé. Cette dernière, plus qu’à l'aise, se jeta sur le canapé du salon. Elle s’affala contre les coussins brodés et fit voler ses chaussures à travers la pièce, dévoilant ainsi de superbes chaussettes jaunes flashy avec des têtes de renard orange carotte.
- Tes parents sont pas là ? demanda-t-elle à Rima.
- Nope, Papa est avec les garçons chez grand-maman et maman est à sa leçon de piano. On a l’appart pour nous tous seuls !
Alors que les deux filles discutaient, Arthur contemplait les environs. Il avait l’impression d’avoir fait un saut dans le temps et d’avoir posé les pieds en pleine époque Grand Siècle. Tous les meubles étaient de style Louis XIV : la commode, le vaisselier, la table basse, les deux canapés en tissus qui se faisaient face, les lampes, l’horloge sur le bord de la cheminée, les chandeliers. Un large tapis grenat de style oriental habillait le carrelage blanc et donnait un peu de couleur à la pièce. Ce qui étonna le plus Arthur, c’était la télévision. Elle était entourée d’un cadre doré. L’image, figée sur une peinture représentant une scène de vie dans le style des impressionnistes, donnait l’illusion d’un tableau.
- Tu peux retirer tes chaussures, dit Rima à l’attention d’Arthur. Son ton ressemblait plus à un ordre qu’à une demande. Le ménage a été fait récemment.
Arthur se déchaussa immédiatement. Tenir tête oui, mais ce n’était pas dans ses habitudes à lui d’être impoli. Contrairement à certaine.
- Avant de commencer, Sanoé, tu veux boire quelque chose ?
- Je veux bien le thé que tu m’avais fait goûter la dernière fois, répondit Sanoé.
Arthur ne savait pas où se mettre. Il restait donc debout, les jambes serrées, pieds collés et bras le long du corps. Il se remerciait intérieurement de ne pas avoir mis de chaussettes trouées. Sanoé tapota le canapé pour lui indiquer qu’il pouvait s’asseoir à côté d’elle. Son sourire était rassurant. Il avait beau être une boule d’anxiété, elle ne le jugeait pas.
Rima était déjà partie dans la cuisine pour préparer le thé. Ce qui n’empêcha pas Sanoé d’hurler depuis le salon.
- Et un café pour Arthur !
Arthur n’avait jamais été aussi reconnaissant envers quelqu’un de toute sa vie. Un café ! Le voilà qui reprenait des couleurs. C’est exactement ce dont il avait besoin pour survivre à la confrontation avec cette Rima. Pourquoi l’avait-elle pris en grippe ?
- Je croyais que tu étais l’unique Guide du Monde de l’invisible. Je ne savais pas que tu avais déjà une équipe, chuchota Arthur à Sanoé.
Elle se tut un instant. Puis le fixa. Elle faisait souvent ça. Le fixer. Ce n’était pas pour le rendre mal à l’aise, même si au final, il l’était. C’était plutôt pour essayer de percevoir ses émotions. Ce qu’il pensait au fond de lui.
Arthur ne savait pas comment réagir. Alors, il évita son regard, se concentrant sur les poils du tapis qui étaient plus longs que ce qu’il pensait.
Plusieurs sentiments différents se heurtaient dans sa tête. Tout d’abord, la surprise. Sanoé ne lui avait jamais dit avoir déjà une partenaire. Ensuite, la honte. Il avait quand même pensé être l’unique partenaire de Sanoé, c’était prétentieux. Et enfin, la frustration de ne pas être le seul partenaire de Sanoé.
- Pourtant je t’ai déjà parlé de Rima. À Quimper, dit-elle finalement en haussant les épaules.
Rima arriva à ce moment-là, un plateau dans les mains. Elle tendit les tasses encore fumantes et s’installa sur le canapé en face, un ordinateur portable déjà posé à côté d’elle.
Le froid était si intense dehors, que malgré son premier thé à La madeleine de Proust, Sanoé était ravie de pouvoir se réchauffer avec une nouvelle boisson chaude. La porcelaine, encore brûlante, diffusait une agréable sensation de picotement sur le bout de ses doigts gelés. Elle ferma les yeux d'aise, inspirant profondément le parfum des herbes et de la pomme, avant de boire une première gorgée.
Arthur avait plus de mal à faire le premier pas. Pas qu’il ne voulait pas de café, bien au contraire. Mais il ne pouvait s’empêcher de penser que Rima avait peut-être versé du tabasco dans sa tasse ou mis du sel à la place du sucre. Ou pire, et si elle avait craché dedans ? Mais le regard noir de la maîtresse de maison était si menaçant, qu’il se sentit obligé de boire. Plein d’appréhension, il ne pouvait s'empêcher de fixer le liquide marron, ce qui le faisait indubitablement loucher. Après une gorgée timide, il se détendit finalement. Si elle avait ajouté un ingrédient secret, il ne le sentait ni au goût, ni à l’odorat.
- T’es sûre qu’on peut lui faire confiance ? demanda Rima. Nan mais parce que sortir avec lui pourquoi pas, mais en faire un membre de l’équipe ? Faut pas pousser mémé dans les orties.
Arthur laissa échapper un rire, mais son café ne passa pas par le bon tuyau. La gorge en feu et les yeux larmoyants, il se mit à tousser frénétiquement. Il ne s'attendait pas du tout à cette phrase. Et c’était quoi cette expression de vieux ?
- Il sait même pas boire ! rétorqua Rima à l’attention de Sanoé.
Sanoé, elle, éclata de rire devant le visage rouge de son ami.
- Pardon, s'excusa Arthur, un rire nerveux dans la voix. Tu n’aurais pas un mouchoir ?
Après s’être débarbouillé le visage dans la salle de bain, il retourna avec les filles. Sanoé avait enfin calmé sa crise de rire.
- Bon maintenant que toute l’équipe est au complet. Rima, quelle est cette nouvelle affaire pour les Guides du monde de l’Invisible ?
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