14. Respire

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Le vendredi soir arriva à toute vitesse. Sanoé avait pris contact avec le camarade de Rima. Un certain Noah. Ils avaient plusieurs cours en commun, d’après la hackeuse, il était très populaire à la fac. Sanoé l’avait appelé pour fixer une heure. Il avait une voix enjouée au téléphone. Au premier abord, il semblait sympathique. Mais avec Sanoé, tout le monde était sympathique.

Arthur et elle se retrouvèrent à mi-chemin. Durant le reste du trajet en train, Sanoé expliqua à Arthur les découvertes de Rima.

  • Il y a trente ans, un petit garçon est tombé dans les escaliers. Au troisième étage. Il est mort sur le coup. L’affaire a pris une tournure encore plus macabre quand la police a découvert que l’enfant et sa mère étaient régulièrement battus par le père.

Un frisson parcourut le corps d’Arthur.

  • Malheureusement, c’est un traumatisme qu’on retrouve souvent dans les cas paranormaux avec des femmes ou des enfants. Généralement, les esprits sont en colère contre leurs agresseurs ou terrifiés. Ce qui les empêche de passer de l’autre côté. Et ils se vengent sur ce qui les entoure.
  • Sur ce qui les entoure ? Tu veux dire les gens ?
  • Pas vraiment. C’est plus compliqué. Les esprits n’ont pas conscience du temps qui passe. Pour eux, ils sont toujours dans leur présent, celui avant leur décès. La plupart ne savent même pas qu’ils sont morts. Il arrive fréquemment que des fantômes poursuivent leur routine quotidienne. Métro, boulot, dodo. Éternellement.
  • C’est horrible ! répliqua Arthur. Attends, mais c’est pour ça que l’homme au chapeau melon ne nous voyait pas au début ? C’est pour ça que je n’arrivais pas à attirer l’attention des esprits que je voyais ?
  • Yep, tu ne fais pas partie de leur réalité. Parfois, il faut forcer le passage pour qu’ils aient conscience de ta présence.

Arthur remarqua que Sanoé triturait la bague à son doigt. Elle faisait toujours ça lorsqu'elle réfléchissait.

  • Pourtant quelque chose te chiffonne, pas vrai ?

Etonnée, elle souleva ses sourcils bruns, puis affirma :

  • Disons que d'ordinaire, les fantômes montrent leur mécontentement de manières variées. Surtout que dans ce cas, on a affaire à un enfant. Ils sont agités et parfois dangereux. À un trop jeune âge, ils n’ont pas conscience du bien et du mal. Mais là, c’est toujours le même bruit. À la même heure. C’est pas logique.

Le fameux appartement se trouvait dans la banlieue parisienne et était tout ce qu’il y avait de plus normal. Un rectangle gris avec des fenêtres. Collé à d’autres immeubles, tous identiques. Rien de bien impressionnant. Un jeune homme avoisinant les 25 ans attendait près de la porte d’entrée. Des cheveux blonds coupés court. Des yeux espiègles surmontés d’épais sourcils. Un sourire de mannequin aux dents parfaitement blanches. Une barbe naissante harmonisant à la perfection sa mâchoire carrée. Et pour couronner le tout, 1,80 m de muscles et d’abdos. Novembre avait beau déjà être bien entamé, cela n’empêchait pas le bellâtre d’arborer un t-shirt blanc saillant.

Au contraire de Sanoé, Arthur ne lui trouvait rien de sympathique.

Le top-model les salua d’un grand geste de la main.

  • Tu dois être Sanoé, supposa-t-il. Ravi de te voir en vrai.
  • De même Noah ! Et je te présente Arthur, mon partenaire.
  • Salut. Désolée mon pote, je t’avais pas vu, s’excusa Noah en présentant son poing.

Arthur, déjà énervé par leur client, ne répondit pas à son check, se contentant de marmonner.

  • Ouais, c’est ça… mon pote.

Sanoé se racla la gorge et lui donna un coup de coude. Finalement, en levant les yeux au ciel, il se décida à taper son poing contre celui de Noah.

  • Super, s'exclama enfin Sanoé. Tu peux nous montrer où ça se passe ? On va en profiter pour faire un tour du proprio.
  • Oui, bien sûr, suivez-moi.

Tous les trois montèrent jusqu’à l’escalier du troisième étage. Noah s’arrêta en plein milieu.

  • C’est juste ici. Rima a déjà dû vous le dire. C’est comme si quelqu’un tombait dans les marches. Le bruit ne dure pas longtemps, mais c’est… glaçant.

Bien qu’étant loin d’être aussi expérimenté que Sanoé, Arthur ne ressentait pas le frisson et la fraîcheur indiquant la proximité d’un fantôme. Il faisait même bon dans l’immeuble. Aucune difficulté à respirer, non plus. Tout semblait parfaitement normal. Il jeta un coup d'œil vers Sanoé. Par son expression, il comprit qu’elle aussi ne discernait aucun signe de paranormal.

  • Il se montrera peut-être aux alentours de 22 h 15, intima Sanoé à Arthur. Noah, est-ce que tu es au courant de ce qu’il s’est passé ici, il y a trente ans ?

Noah affirma d’un hochement de tête. Il monta jusqu'au palier et inséra la clé dans la serrure de la porte gauche. Il les invita à entrer.

  • On n'aime pas trop en parler dans les couloirs. Mais oui, les voisins m’ont expliqué. C’est affreux ce qui est arrivé à ce petit garçon. Vous pensez vraiment que c’est son fantôme ?

Sanoé regarda l’heure affichée sur l’écran de son téléphone.

  • Je ne sais pas trop, répondit-elle. Mais on est là pour vérifier.
  • En attendant l’heure fatidique, est-ce que tu veux boire un truc ? J’ai une cargaison de bière, pour une fête demain soir, expliqua Noah, posant sur les épaules de Sanoé son bras musclé.

D’accord, Arthur était petit, mais il n’était pas invisible pour autant ! Au moins, sa première intuition n’était pas infondée. Noah était un con.

  • Ça va aller merci, pas d’alcool pendant le service, rétorqua Sanoé en soulevant le bras du grand blond. À part le bruit dans les escaliers, tu n’as jamais rien remarqué d’autre ? continua-t-elle comme si de rien n’était. Des objets ayant changé de place ? La sensation d’être observé ? Une baisse de température soudaine ?

Noah, que le geste de la jeune femme ne blessa pas le moins du monde, réfléchit un moment. Ses sourcils parfaitement taillés se fronçaient sous son intense réflexion.

  • Non, rien de tout ça, conclut-il. Mais alors vous deux, vous êtes des chasseurs de fantômes ?
  • On ne chasse pas les fantômes. On vient en aide, déclara Arthur en se plaçant devant Noah. C’est… différent.

Mais qu’est-ce qu’il essayait de faire exactement avec son mètre soixante-neuf ? L’impressionner ? Certainement pas. Il se sentit immédiatement idiot. Et immédiatement ses joues rougirent.

  • On va faire un tour, interrompit Sanoé. On se rejoint plus tard Noah !

Sans attendre la réponse, elle glissa sa main dans celle d’Arthur et se dirigea vers la porte. Au contact de la peau chaude de Sanoé, Arthur eut un mouvement de recul. Une fois la surprise passée, il enlaça ses doigts plus fermement.

Il se laissa guider jusqu’au deuxième étage. Les battements de son cœur tambourinaient dans ses oreilles.

  • On fait quoi maintenant ? demanda-t-il en faisant bien attention d’éviter de regarder leurs mains.

Ses doigts gigotaient instinctivement. Il n’avait jamais été un grand tactile. Et Sanoé avait la fâcheuse habitude de le pousser dans ses retranchements. Elle le lâcha et inspecta l'intérieur de la sacoche qui la suivait dans chacune de ses aventures paranormales. Elle en sortit un boitier noir.

  • On essaye de comprendre ce qu’il se passe ici. Je n’ai ressenti aucune présence surnaturelle. Il est bientôt l’heure et je n’entends, ni ne vois rien.
  • Moi non plus. Aucune baisse de température, pas de frisson et même par rapport aux dires de Noah : tout est normal.

La petite machine émettait des petits bruits stridents et cinq diodes de couleurs allant de vert à rouge foncé clignotaient frénétiquement.

  • Il ne reste plus qu’à attendre et voir ce qui nous tombera dessus, conclut-elle en relevant la tête.
  • Qu’est-ce que c’est ? demanda Arthur, intrigué par la drôle de machine.

C’est ce qu'aimait Sanoé chez Arthur : sa curiosité. Il s'interrogeait et n’hésitait jamais à poser des questions. Bien que l’expression veuille que la curiosité soit un vilain défaut, c’était en réalité une grande qualité pour les Réceptifs.

  • Un détecteur EMF. Ça permet de mesurer les champs électromagnétiques. C’est pratique pour détecter la présence d’esprits dans les lieux abandonnés. J’ai voulu essayer ici, mais j’ai été trop optimiste. Il détecte surtout les appareils connectés, et à en croire les échos qu'on a ici, ils sont nombreux à regarder la télé.

Un vendredi soir, 22 heures passées, signifiait beaucoup de bruit dans l’immeuble. Les fêtards, les couche-tard, les insomniaques. Tout ce beau monde faisait un beau boucan, d’autant plus que les escaliers renvoyaient le son qui se répercutait sur les murs. Sanoé espérait que le phénomène était assez bruyant pour qu’ils ne le loupent pas.

Elle n’avait jamais été aussi loin de la vérité.

Ils entendirent quelqu’un dévaler les escaliers. C’était un bruit lourd, terrifiant et impressionnant. Horrifiés, ils remontèrent les marches deux par deux.

Puis l’impact final. Un craquement glaçant. Et enfin le silence. Un silence pesant. Mortel.

À peine Sanoé posa un pied sur le palier du troisième étage qu’elle s’effondra brusquement. Elle hoquetait, incapable de reprendre sa respiration. C’était comme si tout l’air de ses poumons s’était évaporé suite à un choc violent.

Arthur la trouva agenouillée, les mains plaquées contre son thorax, les yeux et la bouche grands ouverts.

  • Sanoé ! hurla-t-il.

Des larmes de douleur brouillaient sa vision. Sa poitrine brûlait comme un feu ardent.

De l’air, elle avait besoin d’air.

  • Qu’est-ce qu’il t'arrive ?! De l'asthme ? Tu fais une crise d’asthme ?

Elle secoua la tête, incapable de prononcer le moindre mot.

  • Comment je dois t’aider ? demanda Arthur, paniqué.

Il fouilla dans la sacoche de la jeune femme, mais que pouvait-il bien faire avec des pierres et des feuilles séchées ?

À présent, Sanoé n’émettait plus aucun son. Elle se prenait la gorge, ses ongles plantés dans la peau, laissant de larges marques rouges. De grosses larmes brûlantes coulaient sur ses joues. Sa tête lui tournait dangereusement.

Arthur se dit que c’était forcément dû à une présence paranormale. Il avait eu des difficultés à respirer quand l’homme au chapeau melon était proche de lui au musée. Et ça c’était reproduit depuis, à chaque fois qu’un fantôme n’était pas loin. Mais alors pourquoi cela impactait seulement Sanoé ? Et surtout aussi violemment ? Il n’était pas sûr que son hypothèse soit la bonne, mais de toute façon, il n’avait plus le temps.

Il s’agenouilla en face d’elle, agrippa ses poignets et plaqua les mains de Sanoé contre sa poitrine. Il inspira profondément, bloqua puis expira. À son tour, il posa une main contre le thorax de la jeune femme.

  • Sanoé, fais comme moi. Tu peux respirer.

Il recommença. Inspira, bloqua, expira.

Elle essaya de l’imiter.

  • C’est ça, l'encouragea Arthur. Inspire profondément. Calmement. Cale-toi sur ma respiration.

Elle déglutissait péniblement, souffrant le martyre.

Lorsque la poitrine du jeune homme se soulevait sous la main de Sanoé, elle inspirait. Lorsqu’elle s’abaissait, elle expirait.

Ils recommencèrent plusieurs fois, jusqu'à temps qu’elle retrouve son souffle.

  • Ça… va… maintenant, affirma-t-elle péniblement, d’une petite voix.

Elle se racla la gorge et essuya d’un revers de la manche ses yeux humides. Arthur tomba sur les fesses et souffla en l’air bruyamment.

  • Je crois que j’ai jamais eu aussi peur de ma vie ! C’est le fantôme qui t’a fait ça ?

Sanoé ferma les yeux et, la main sur la poitrine, continua à respirer doucement.

Elle avait l’air épuisée, remuée, ébranlée, mais pas terrifiée. Pourtant, il lui en avait fallu peu avant de devenir la prochaine affaire paranormale des Guides du monde de l’Invisible.

Il eut alors une terrible sensation. La sensation que ce n’était pas la première fois qu’elle frôlait la mort. Et que ce n’était certainement pas la dernière.

  • Il... n’y a pas de fantôme, annonça-t-elle finalement.

Noah ouvrit la porte de son appartement et découvrit les deux chasseurs de fantômes assis par terre. Sanoé avait les yeux et la gorge rouges, tandis que le garçon était blanc comme un cachet d’aspirine. Il ne se souvenait plus de son prénom.

  • 22 h 15 est passée… ça va tous les deux ?

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