15. Le fantôme qui tombait (pas) dans les escaliers
De retour dans l’appartement de Noah, les deux garçons attendaient les explications de Sanoé. Cette dernière, assise sur le canapé en faux cuir bordeaux, était emmitouflée dans une large veste appartenant à Noah, surmontée par l’écharpe d’Arthur.
- Merci les gars, mais ça va aller comme ça… Je ne suis pas en hypothermie.
- Bon alors ? Raconte ! s’écria Noah, impatient d’avoir le fin mot de l’histoire.
Assis sur la table basse, il faisait face à Sanoé. Incapable de s’occuper les mains, il jouait tantôt avec ses lacets de baskets, tantôt avec le bracelet qu’il portait au poignet droit. Arthur, installé à côté de son amie, lui tendait un verre d’eau.
Sanoé le lui prit des mains, mais ne le but pas. Elle le remercia tout de même d’un sourire. Un sourire doux. Plein de gratitude. Arthur se demanda si elle était si reconnaissante pour un simple verre d’eau ou pour ce qu’il s’était passé dans l’escalier du troisième étage. Il s’en voulait un peu de penser ça, mais il était fier d’avoir pu aider Sanoé. D’avoir été utile. Même si la jeune femme avait été à deux doigts de passer de vie à trépas. Et ce n'est pas ce grand lascar de Noah qui avait soutenu la Réceptive.
- Je n’avais pas compris tout de suite. Je suis vraiment trop bête, déclara Sanoé en s’affalant contre le dossier du canapé. Il n’y a pas de fantôme dans l’immeuble. Ou en tout cas, plus depuis longtemps.
- Je comprends toujours rien… dit Noah, perplexe.
Sanoé se redressa, les coudes sur les genoux, et expliqua :
- Les lieux ont une mémoire. Et comme les êtres humains, ils peuvent être traumatisés par ce qu’ils ont vécu : les guerres, les maladies, les assassinats… Il arrive que, lors d’un événement violent, un bâtiment garde en mémoire le choc et le rejoue sans cesse. Comme un CD rayé, bloqué sur deux notes de musique.
- Donc l’immeuble revit l'instant de la chute du petit garçon, mais… sans le petit garçon ? hasarda Arthur, les yeux clos pour mieux assimiler l’information.
- En gros, oui. C’est ce que certains appellent une boucle temporelle. Trente années écoulées et toujours le même vendredi. Encore et encore. Ce n’est pas dangereux pour les habitants, mais les mauvaises ondes peuvent devenir dérangeantes à la longue. C’est sans doute pour ça que vous n’aimez pas parler de cette affaire dans les couloirs, fit-elle remarquer à Noah. Ça vous met mal à l'aise.
Un éclair passa dans les yeux de Noah. Mais oui ! Voilà pourquoi la première fois qu’on lui avait raconté cette histoire, il s'était senti lourd et nauséeux. Qu’il rechignait à en parler à ses amis quand ils lui rendaient visite, mais qu’il pouvait tout leur dire sans problème à la fac.
- Mais alors, s’il n’y a pas de fantôme, qu’est-ce que vous allez faire ? questionna Noah.
- Libérer le lieu et briser la boucle. Rien de bien difficile en somme, un simple nettoyage. Tu n’entendras plus personne dévaler les marches. Ou alors si tu entends, c'est que quelqu’un est vraiment tombé et là précipite-toi pour aller l’aider, plaisanta Sanoé en se relevant.
Elle rendit à Noah sa veste et empoigna la hanse de sa sacoche.
- On va en avoir pour une dizaine de minutes puis on va te laisser. Il commence à se faire tard, il vaut mieux qu’on attrape un train rapidement.
Noah l’écoutait parler. Il eut ensuite un soubresaut et s’en alla chercher son portefeuille.
- Je te dois combien ? dit-il en jetant un œil à ses deux billets froissés.
Sanoé para l'avance du blond d’un revers de la main.
- Rien du tout. Ce n’est pas notre métier. C’est plus…, elle hésita et lança un regard vers Arthur.
Il ne comprit pas où voulait en venir la jeune femme. Sans un mot, il haussa les épaules.
- Disons que c’est un passe-temps. On ne facture pas nos services. C’est ce qui nous différencie des charlatans.
Alors qu’ils commençaient à partir, Noah stoppa Sanoé.
- Je dois quand même vous remercier d’une façon ou d’une autre, indiqua-t-il d’un sourire ravageur. Venez à ma fête demain soir. Il y aura Rima et pleins d’autres potes de ma fac. Et… Ça me ferait plaisir que tu viennes, intima-t-il à la jeune femme.
Il avait commencé sa phrase par le « vous » et était rapidement passé au « tu ». Oui, oui. Noah avait beau parler plus bas, Arthur l’avait parfaitement entendu. Super. Ça montrait à quel point sa présence était appréciée. Tant pis, de toute manière, il était persuadé que Sanoé allait décliner l’invitation. Ce mec était bien trop lourd, trop tactile, trop collant, trop... Juste trop.
- Carrément ! s’exclama la rousse. À demain alors, renchérit-elle en donnant une tape sur l’épaule du grand blond, sous le regard effaré d’Arthur.
Enfin, ils quittaient l’appartement de Noah ! Un peu plus, et ils auraient fini par camper dedans. Alors qu’Arthur descendait l’escalier avec hâte, Sanoé s’assit sur une des marches et ferma les yeux.
- Qu’est-ce que tu fais ? Tu te sens encore mal ?
Elle entrouvrit un œil vers lui, le sourcil levé.
- Je termine notre mission. Je l’ai dit tout à l’heure. Il faut purifier le lieu. Maintenant ne parle plus, il faut que je me concentre.
Du point de vue d’Arthur, elle ne faisait rien. Elle restait assise. C’est tout. Il remarqua qu’elle tenait dans la paume de sa main un caillou. Pas une améthyste, ni une pierre de lune et encore moins un œil du tigre. Arthur avait fait ses devoirs et retenu quelques noms de pierre. Non, c’était un caillou gris, tout ce qu’il y a de plus banal.
Au bout de quelques minutes, Sanoé rouvrit les paupières et déclara :
- C’est bon ! On peut rentrer. J’ai une de ses dalles…
Alors qu’ils sortaient du hall d’entrée, Arthur demanda à Sanoé si elle avait vraiment l’intention d’aller à la fête de Noah.
- Bien sûr, ça pourrait être drôle, en plus il y aura Rima. Mais surtout, on va pouvoir faire notre pub et ça, c'est le plus important ! Pourquoi ? Ça te tente pas ?
Il haussa les épaules mollement, les mains dans les poches. Ses longs cheveux cachaient sa moue boudeuse.
- Moi les gens… encore plus ceux que je ne connais pas… Disons que c’est pas trop mon truc.
- Ok ! Je te raconterai alors, promit Sanoé.
La non-présence d’Arthur à cette fête ne semblait pas plus la chagriner. D’ordinaire, il aurait été ravi qu’on ne lui force pas la main. Combien de fois, il avait assisté à des soirées mortellement angoissantes à cause d’amis trop lourds. Pourtant, ce soir-là, c'était différent. Il aurait aimé qu’elle insiste plus. Qu’elle lui dise que sans lui, ce ne serait pas pareil.
Le téléphone de Sanoé se mit à vibrer frénétiquement. Le nom “Ami de Rima” apparut sur l’écran.
- Oui, Noah ?
Arthur ne percevait que des murmures provenant du smartphone. Sanoé se retourna vers l’immeuble, plongé dans l’obscurité. Une silhouette sombre faisait signe d’une fenêtre du troisième étage.
- Ok, demain à 20 h. Pas de problème. À plus !
Une fois l’appel terminé, la silhouette disparut derrière un rideau.
- Tu sais quoi ? Une fête de temps en temps, ça ne peut pas me tuer ! s’exclama Arthur.
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