16. Je me réincarnerai en loutre !

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  • Mes chasseurs de fantômes préférés ! s’écria Noah en ouvrant la porte à Sanoé, Arthur et Rima.
  • On n'est pas… laisse tomber, souffla Arthur.
  • Salut ! s’exclamèrent en cœur Sanoé et Rima.

La soirée battait déjà son plein. Musique à fond, cadavres de bouteilles sur la table et quelques ados alcoolisés sur le canapé. Ils étaient rapides. Noah récupéra les manteaux de ses invités et alla les ranger dans son bureau.

  • Compagnons du surnaturel ! Notre mot d’ordre de ce soir est : publicité. On va distribuer les flyers qu’Arthur a fait. D’ici demain matin, on aura de nouveaux clients, c’est moi qui vous le dis ! déclara Sanoé d’un ton militaire. Mais avant tout, amusez-vous !

Et en un rien de temps, elle s’était greffée à un groupe de parfait inconnu et animait la conversation. Rima, de son côté, avait rejoint des camarades de classe. Ne restait plus qu’Arthur. Debout comme un piquet, dans l’entrée.

Noah sortit du bureau et tomba sur lui. D’un naturel amical, il passa son bras sur les épaules d’Arthur et l’invita à se joindre aux autres.

  • Allez viens mon pote, on va faire un bière-pong ça va te détendre.

Il l’accompagna jusqu’à la table de la cuisine, aménager comme un terrain de jeu d’alcool. Une dizaine de verres, placés en forme de pyramide à droite. Idem à gauche. Tous remplis d’un liquide transparent, ne ressemblant en rien à de la bière.

  • Tu fais équipe avec moi Armand. On va les rétamer !
  • Moi, c'est Arthur, corrigea le jeune homme, les yeux rivés sur la table.

Bon, Noah était un con. Jusque-là, Arthur le savait. Il n'était même pas capable de retenir son prénom alors que franchement, “Arthur” ce n'était pas bien compliqué. Contrairement à “Sanoé”, que le blond avait bien assimilé par contre. Mais il était touché. Noah essayait de l’intégrer. C’était… sympa.

Arthur décida donc de faire un effort. Et puis, lancer une balle de ping-pong dans un verre ne l’obligeait pas à faire la conversation. Face à lui, deux gars aussi grands que Noah se tapaient dans les mains, les yeux brillants de compétitivité. Immenses, musclés, décontractés. Tout le contraire d’Arthur. Il faisait tâche dans le décor. Soudain, ses soirées de geek à jouer à des jeux de plateau lui manquaient affreusement.

  • On commence ! s’exclama Noah.

Il prit la balle orange, elle était si petite dans sa grande main. Il la lança à la manière des joueurs de basket-ball, le mouvement était exagérément ridicule. Le public autour de la table riait et l’encourageait. La balle fonça vers le haut de la pyramide, elle rebondit sur l’un des verres et sortit du terrain.

  • Noooooon ! cria-t-il en même temps que les spectateurs.
  • Bois, bois ! renchérirent leurs adversaires.

Noah s’empara du verre qu’il avait raté et bu d’une traite. Il leva les bras en signe de triomphe.

L’un des deux mastodontes loupa aussi son verre et le but aussi rapidement que Noah.

C’était au tour d’Arthur. Il était bien loin de ses jets de dés.

À son tour, il lança. La balle plongea directement dans un verre. Il ne réagit pas. Attendant la réaction des autres.

Ils explosèrent tous autour de lui.

  • Mec ! Tu gères de fou !
  • Trop fort !
  • Vas-y, gars ! Lamine les, ces bouffons !

La deuxième fois, il réussit encore à mettre la balle dans un verre. Cette fois-ci, il cria avec le reste du groupe.

  • Ouaiiiss !

Les parties s’enchainaient rapidement. Arthur se serait presque cru à une vraie compétition de ping-pong. Mais c’était sans doute dû à l’alcool qui lui montait à la tête. Il avait enchaîné plusieurs défaites et donc plusieurs verres. Au début, le liquide lui brûlait la gorge. Il pouvait sentir son interminable descente le long de son œsophage jusqu’à son estomac. À présent, il ne sentait que la chaleur lui monter à la tête, enivré par la vodka et l'excitation environnante.

Il ne s’était jamais senti aussi vivant. Aussi libre dans son corps et dans sa tête. Et tous les gens autour de lui étaient si gentils. Et c’est marrant, le sol ondulait sous ses pieds, dansant au rythme des basses.

Ce fut une victoire écrasante pour l’équipe Noah-Arthur. Et pour fêter ça, Arthur avait envie de faire des câlins à tout le monde !

  • Et bah, vous savez quoi ?! Les fantômes, ça existe pour de vrai et moi, je me réincarnerai en loutre ! hurla-t-il dans la cuisine avant de déguerpir dans le salon.

Sur le canapé, il trouva Rima en pleine discussion avec deux de ses amis. Il ne savait pas trop à quoi ressemblaient les deux personnes et il s’en fichait complètement. En fait, il se fichait de tout. Et ça le faisait rire.

  • Rima ! Tu m’aimes pas. Je sais pas pourquoi. Mais c’est pas grave. Parce qu'un jour, je serais une loutre !
  • Euh… ok.

Rima lança un regard d'incompréhension à ses camarades. L’un deux lui chuchota quelque chose à l’oreille. Elle râla, se leva et empoigna le bras d’Arthur. Dans un coin de la pièce, elle l’obligea à prendre un verre d’eau.

  • Écoute brindille. C’est pas toi, ta personne, que je n'aime pas. C’est plus la relation que tu as avec Sanoé. Vous êtes devenu très proche. Trop rapidement. Elle a vécu beaucoup de choses ces dernières années. Et je ne veux pas qu’elle souffre… Et toi, t’aides pas ! Dès que tu la regardes, t’as l’air transi d’amour.
  • Hey l’autre, même pas vrai ! On est partenaire ! Et même que je vois des fantômes !
  • Ouais… c’est ça… Bois ton eau et reste dans le déni si tu veux, lâcha Rima avant de laisser Arthur seul dans son coin.

Il avala tout le contenu de son verre. Ça n'avait pas de goût. Mais c’était frais. Il posa le plastique froid sur sa joue.

  • Ne me touche pas ! hurla soudain une fille.

Le cri venait du groupe sur la piste de danse. Une adolescente d’une vingtaine d'années regardait, horrifiée, un garçon du même âge. Il se rapprochait d’elle, se collait contre elle, prétextant l’envie de danser. Elle essayait tant bien que mal de le repousser. Mais la honte, le regard des autres, l’horrible sensation d’être trop enivrés pour résister, l'affaiblissaient.

Certains faisaient semblant de n’avoir rien vu. D’autres passaient leur chemin, se dirigeant vers la cuisine. Et ceux trop alcoolisés riaient béatement, ne prenant pas conscience de la situation.

Arthur comprenait que quelque chose n’allait pas. Déjà d’ordinaire, il n'était pas sûr de pouvoir aider face à un gars d’une tête et demie de plus que lui. Mais dans son état actuel, c'était impensable. Il tournait la tête dans tous les sens, essayant désespérément de trouver Noah. Le grand gaillard arriverait à calmer les ardeurs de ce chien avec une seule mandale de bûcheron. Il ne le trouvait pas et pivoter ainsi la tête lui donnait plutôt envie de vomir.

Plaquant ses deux mains autour de son visage pour essayer de calmer le tournis, il remarqua que quelqu’un s’avançait vers le chien en chaleur. Il plissa les yeux pour mieux discerner les contours de la personne. C’était Sanoé.

Elle s’arrêta derrière l’adolescent et tapota son bras. Ce dernier se retourna, prêt à dégager celui ou celle qui l’empêchait de passer un bon moment. Il n’en eut pas le temps.

Sanoé empoigna fermement ses épaules, prit de l’élan et fracassa sa tête contre celle du garçon. On entendit à peine le choc, occulté par la musique. Par contre, plus personne ne parlait dans le salon. Plus personne ne dansait. Plus personne n’osait même respirer.

L’adolescent avait été mis K-O. Accroupi, le front contre le sol, il se tenait le nez. Sanoé, victorieuse, et toujours debout malgré l’impact violent, sortit de la poche de son jean un paquet de mouchoir, qu’elle jeta à côté du blessé. Elle se retourna ensuite voir comment allait la fille.

  • Espèce de connasse ! s’emporta le garçon, le nez ensanglanté. Tu m’as pété le nez !

Fous de rage et de douleur, ses yeux humides de larmes se révulsaient sur son crâne gonflé.

Sanoé se craqua les doigts, prête pour une deuxième manche, mais Noah s’interposa. Il avait titubé de la cuisine jusqu’au salon en entendant le hurlement de l’adolescente. Le blond n'était vraiment pas frais vu le temps que cela lui avait pris de faire trois mètres.

  • Hé oh mon gars ! Tu vas arrêter de foutre en l’air ma soirée. Tu t’es fait rétamer la gueule, alors ne vient pas la ramener. Casse-toi d’ici, sinon c’est moi qui te mets la deuxième couche.

Et sur ces mots, Noah le conduisit dans l’entrée, toujours en titubant, le poussa à l’extérieur et lui claqua la porte au nez. À son nez tordu, rouge et couvert de sang.

La chanson venait de se terminer, laissant un blanc le temps que se lance la prochaine. C’est alors qu’on entendit un “Wouhou !” venir d’un coin de la pièce.

Arthur, les bras en l’air, imitant Noah il y a quelques heures de cela, applaudissait la scène.

  • C’était trop stylé ! s'exclama-t-il en explosant de rire.

Noah se joignit à son rire et bientôt la fête reprit son cours. L’adolescente remercia Sanoé pour son aide avant de foudroyer son groupe d'amis, qui eux, n’avait pas bougé le petit doigt.

Pour fêter ça, Arthur se resservit un verre d’une boisson qui trainait par là. Il fut arrêté dans son mouvement, avant même d’avoir pu tremper les lèvres.

  • Hey ! s’énerva-t-il.
  • Tu as assez bu comme ça, si tu veux mon avis, coupa Sanoé.
  • Oh ! Sanoé ! C’est toi !

Plus utile comme conversation, tu meurs.

  • Oui, c'est moi. Allez viens, on va te trouver un coin au calme pour que tu reprennes un peu tes esprits.
  • Esprits, héhé. Comme des fantômes ! Tu savais toi que les fantômes ça existaient ? Bah moi oui ! Je vois des gens qui sont morts, chuchota-t-il.
  • Tu empestes l’alcool. Mais t’as bu combien de verre ?

Il ne répondit pas, se contentant de hausser les épaules en grommelant.

  • On va carrément te faire décuver. Je ne suis pas certaine que tu nous as fait beaucoup de publicité dans ton état. Et c’est peut-être pas plus mal, plaisanta-t-elle. Et moi qui croyais que tu n'aimais pas les fêtes et les gens en général.
  • C’est pas vrai ! hurla-t-il d’un coup. J’aime tous les gens. Je t’aime toi, déclara Arthur en pointant un mec qui passait devant lui. Et toi, cette fois-ci en montrant Rima. Toi aussi, je t’aime, concéda-t-il à une fille qui ne l’écoutait pas. Par contre, toi je t’aime pas, dit-il en tapotant son doigt contre la joue de Sanoé. Parce que Rima elle dit: “Moui gnagnagna, toi de toute façon, ton transit et puis ça va trop vite”. Alors que c’est pas vrai ! Et Noah c’est pas un gros con, tu te rends compte ?!
  • Ok, tu ne sais plus ce que tu racontes. J’ai vraiment trop hâte de te raconter tout ça demain, une fois que tu seras de nouveau sobre, s’amusa-t-elle. En attendant, tu vas aller te reposer.

Elle l'emmena dans le bureau et le posa sur le clic-clac couvert de manteaux. Il était assis, donc il ne bougeait plus. Pourtant, la pièce entière tournoyait encore autour de lui. Sanoé ouvrit l’unique fenêtre de la pièce et un courant d’air frais emplit leurs poumons. C’était revigorant et glacé. Tout ce dont le jeune homme avait besoin.

  • Paie ton partenaire en affaires, ironisa Sanoé en tendant un gros morceau de gâteau à Arthur. Allez mange, c’est bon pour ce que tu as.

Il s'exécuta sans rechigner. Cuillère en plastique dans la bouche, il fermait les yeux pour mieux savourer les différents parfums du gâteau. Ou bien c'était pour s’empêcher de tout rendre sur la moquette du bureau.

Sanoé poussa le reste des manteaux à terre et s’assit à côté de lui. Fatiguée par la soirée et sa courte, mais intense bataille, elle laissa tomber sa tête contre le dossier du canapé et ferma les yeux. L’appartement, visiblement bien isolé, étouffait les bruits de la fête à travers les épais murs blancs.

  • C’est toujours pas vrai, marmonna Arthur dans sa barbe.

Il gardait le visage baissé, fixant sa part de gâteau déjà bien entamée.

  • C’est pas vrai que je t’aime pas, continua-t-il. Je t’aime pas pas.
  • Moi aussi je t’aime pas pas, partenaire.

Une ombre passa devant le visage de Sanoé. En ouvrant les yeux, Arthur lui faisait face. Il était très proche. Si proche qu’elle pouvait sentir le parfum vanille-fraise du gâteau recouvrir celui de l’alcool.

Inquiet, il passait ses doigts sur le front de la jeune femme. Elle n’avait pas osé le dire, mais elle s’était fait mal en mettant ce coup de boule à l’autre imbécile. Et les doigts d’Arthur étaient comme une caresse sur sa douleur.

  • Ton front est tout rouge, indiqua Arthur.
  • C’est rien, t’inquiète pas. D’ici demain, on ne verra plus rien.

À regret, elle prit la main d’Arthur pour l’arrêter. Il ne fallait pas. Elle ne devait pas. Rima avait raison. Sanoé n’était pas honnête avec Arthur. Et elle ne l’était pas avec elle-même.

  • Tu fais toujours ça, continua-t-il imperturbable.
  • Toujours quoi ?
  • Sauver les gens. Et ensuite mettre une limite.

Cette fois-ci, c’est lui qui lui attrapa le poignet. Il était encore plus proche. À tel point qu’elle pouvait sentir ses cheveux bruns chatouiller ses joues. Il y eut un instant de suspension. Une seconde de rien. Un moment d’infinité.

Et Arthur plaqua ses lèvres contre celles de Sanoé.

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