17. Concurrencer des homards en rêve

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Arthur se réveilla avec un affreux mal de crâne. Son corps tout entier était ankylosé. Sa bouche pâteuse. Son estomac retourné. Il lui fallut plusieurs minutes pour émerger et comprendre qu’il était allongé sur un clic-clac, emmitouflé dans une dizaine de manteaux.

En sortant du bureau, il constata que le reste de l’appartement était dans un état pitoyable. Des bouteilles jonchaient le sol. Des miettes de gâteaux et de chips trainaient dans chaque recoin. Une flaque de guacamole, en tout cas c'est ce qu'espérait Arthur, tachait le tapis du salon. Noah, sur le ventre et torse nu, ronflait comme un ours sur le canapé. Ses amis lui avaient dessiné des ailes de diable sur le dos et une queue en pique lui sortait de son jean. En se rapprochant, Arthur constata que son visage était maculé de dessin. Des points noirs, une paire de lunettes, une moustache… Et le pire, c’est que même gribouillé de la tête aux pieds, avec une gueule de bois, il restait beau gosse.

Un ronflement plus fort que les autres réveilla Noah en sursaut. Il se releva, gratta son visage et prit enfin conscience de la présence d’Arthur en face de lui.

  • Oh, salut Antony, dit-il, la voix encore endormie.
  • Salut Noah, mais moi c'est toujours Arthur, rectifia pour la seconde fois Arthur, avec lassitude.
  • C’était chaud hier soir… héhé.

Le blond était complètement HS. Il se rallongea et posa un bras sur ses yeux pour occulter la lumière du jour qui pénétrait la pièce.

  • Il s’est passé quoi entre Sanoé et toi ? continua-t-il ensommeillé.
  • Comment ça ?
  • Fais pas l’innocent, coquin, ricana-t-il. Vous vous êtes enfermés dans le bureau et après elle est ressortie rouge comme une pivoine. Non comme une tomate. Non… je sais plus.

Sa respiration se fit plus profonde et il ne tarda pas à se remettre à ronfler.

Arthur le secoua pour le réveiller et entendre la suite. Qu'est-ce qui s'était passé ? Tous ses souvenirs étaient troubles. Il se souvenait d'avoir discuté avec Rima. Et il n’était pas d’accord avec elle. Mais à quel sujet ? Il se souvenait d’une loutre ou d’avoir parlé de loutre. Il se souvenait du coup de boule. Ça, c'était mémorable. Jusque-là, tout va bien. Il avait mangé du gâteau et…

  • Elle est où maintenant Sanoé ?
  • J’sais pas moi. Elle est partie juste après ça.

-§-

  • Rima ! C’est la merde, je te dis !

Après la soirée, Sanoé avait élu domicile chez sa meilleure amie. Elles n’avaient pas beaucoup dormi. Surtout Sanoé. Enfaite, Sanoé n’avait pas du tout dormi, à en croire les cernes bleutés sous ses yeux. Alors qu’elle se faisait un sang d’encre, Rima, de son côté, sirotait un jus d’orange pressé sur sa chaise de gaming.

  • C’est pas dramatique. C’est lui qui t’a embrassé. C’est lui qui est fautif. Il a dépassé les limites des Guides du Monde de l’Invisible. Il faut le virer. Et voilà ! Problème résolu.

Sanoé se prit la tête dans les mains.

  • Et moi, je l’ai repoussé, continua-t-elle sans écouter son amie. Mais c’était comme profiter de lui alors qu’il n'était pas dans son état normal. Et même, on est partenaire. On ne peut pas faire ça. Et puis, y a… Raaah ! s’énerva-t-elle en enfouissant sa tête dans l’oreiller le plus proche.
  • Respire ma belle, conseilla Rima en lui tendant son verre de jus d’orange. Je n’aime pas faire ça, mais je te l’avais bien dit ! J’avais remarqué depuis le début ses airs de cocker amoureux.

Sanoé se cacha derrière le verre.

  • Je sais… Je crois que le mieux, c’est qu’on prenne un peu de distance. Si on a des prochaines affaires, j’irai sur le terrain en solo.

-§-

Arthur venait de repartir de chez Noah. Il n’avait rien pu apprendre de plus de la part du blond comateux.

Il somnolait, bercé par le mouvement du train. Ses paupières luttaient pour ne pas tomber. Il bâillait. Non, il ne devait pas s’endormir,… pas…se…

Il était de retour dans le bureau de l’appartement de Noah. Il y avait Sanoé, assise sur le canapé. Et il était là, lui aussi. Pas tout frais le garçon.

Ils parlaient tous les deux, mais Arthur ne comprenait pas. C'étaient des murmures, brouillés, comme un vieil auto-radio. Le Arthur du souvenir se pencha vers Sanoé. Il lui caressait le front.

Mentalement, Arthur se frappa. Arrête, qu’est-ce que tu fais ?

Mais l’autre Arthur ne s’arrêta pas. Et l’instant d’après, il embrassait Sanoé.

Le souffle d’Arthur se coupa au moment où son double posait ses lèvres sur celles de Sanoé. Il se demanda s'il pouvait rougir dans son propre rêve, parce que sinon il devait concurrencer les plus chatoyants des homards.

Impossible de se réveiller, malgré tous ses efforts. Il ne pouvait fermer les yeux puisqu’il dormait déjà. Il ne pouvait échapper à ce souvenir. Il ne pouvait qu’être spectateur de sa honte.

D’abord surprise, Sanoé se laissa aller au baiser. Mais, prenant sans doute conscience de la situation, elle le repoussa des deux bras. Le grésillement se fit moins fort et alors Arthur put entendre ce qu’elle lui disait.

  • Non. On ne doit pas.

Effectivement. Ils ne devaient pas. Et pourtant ils l’avaient fait. Mais qu’est-ce qui lui était passé par la tête ?

Son rêve s’altéra. La scène « de la honte », comme l’appellerait à présent Arthur, disparut derrière un épais brouillard opaque. Bientôt, l’obscurité régnait en maître. Il n’y avait rien. Une infinité de rien. L’ambiance pesante rappelait à Arthur les vieux films d’horreur en noir et blanc. D’un autre côté, il préférait de loin ça plutôt que ce à quoi il venait d’assister.

Deux points lumineux percèrent la brume. Ils avancèrent lentement vers lui. Arthur ne se sentait pas à l’aise. Les poils de ses bras et de sa nuque se dressèrent. Son pouls accélérait. Sa gorge s’asséchait. C’était de la peur. Il était effrayé. La façon dont cette chose se mouvait lui faisait penser à un animal en pleine chasse. Et c’était lui la proie.

Il voulait s’enfuir. Il devait s’enfuir. Pourtant, ses jambes restaient figées. Non, ce qu’il devait faire, c’était se réveiller. Il dormait. Il était dans le train, en sécurité. Si seulement quelqu’un pouvait le réveiller. S'il était resté avec Sanoé…

La chose sembla comprendre la peur d’Arthur. Elle s’arrêta à un mètre de lui. Et continua de le fixer de ses orbites ardentes. La brume commença à se rassembler autour de la créature, se compactant autour d’elle, lui donnant une forme presque physique.

À présent, Arthur était face à une louve. Pas un loup, une louve. Il ne savait pas comment il le savait. Mais il le savait.

Sa taille et son aura le surplombaient mentalement et physiquement. La brume composant son corps, teintait son pelage mouvant d’un gris intense, presque bleuté. Il émanait de cet imposant animal une puissance et une sagesse ancestrale. Et étrangement, il n’était pas effrayé. Il sentait qu’elle ne lui ferait aucun mal. Au contraire, il avait l’impression qu’elle était là pour le protéger, pour le mettre en garde.

Arthur se réveilla en sursaut. Il était encore dans le train. Tous les autres passagers avaient quitté le wagon. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, faisant vriller ses oreilles. Il respirait bruyamment, comme lorsque l’on se réveille d’un cauchemar.

La voix d’une femme retentit dans les haut-parleurs, grésillante et robotique.

  • Terminus du train.

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