21. Un château pas très hanté
Au début, il n'arrivait pas à y croire. Pourtant, c'était la pure vérité. Sanoé faisait partie d’un clan. Si on comparait, elle ferait partie de la noblesse française. Elle n’avait rien d’une riche héritière. Son appartement parisien n’avait rien de luxueux, contrairement à celui de Rima. Elle achetait ses vêtements dans les plus petites friperies de la capitale. Et mangeait essentiellement des nouilles instantanées bon marché.
Le soir de leur arrivée, avant d’aller se coucher, tous les deux avaient discuté dans la chambre de la jeune femme. Enfin, « chambre » était un bien petit mot. La pièce possédait effectivement un lit d’une épaisseur impressionnante, couvert de couvertures, d’édredons et de plaids à longs poils. À croire qu’il jouait à la princesse au petit pois dans cette famille. Il y avait également une commode en ébène sombre, une coiffeuse du même bois, une armoire, un coffre et un miroir de taille humaine. Le mobilier était joliment travaillé sans être ostentatoire, conservant le style brut typiquement écossais et la prestance d’une famille de haute renommée.
Le plus surprenant, c'était le petit salon aménagé dans la chambre. Une petite table ronde, dont les pieds en trompe-l'œil imitaient des racines de chêne, était entourée de trois sofas en velours rouge sombre. Des guéridons surélevaient des chandeliers et des lampes en argent lustré. Pour finir, une cheminée en pierres rehaussait le côté ancien et rustique de la pièce. Sur le manteau, un large tableau représentant un vieil homme en uniforme les regardait sévèrement. Sa moustache rousse, parsemée de fil blanc, tout comme ses cheveux et le blason qu’il arborait à ses côtés, prouvait son appartenance à la lignée des Cockborne. Arthur siffla d’admiration en entrant dans la chambre.
La chambre qu’occupait Arthur, voisine de celle de Sanoé, était similaire. Voire identique. Étrange. De par leur agencement et le choix du mobilier, les deux pièces servaient probablement de chambres d’invités. Sanoé n’avait-elle pas sa propre chambre ? Dans son château… Enfin dans sa maison.
Une fois tous les deux confortablement installés dans les sofas, Arthur se permit de la questionner.
- Ce château, il appartient vraiment à ta famille ?
- Yep, depuis plusieurs générations, répondit Sanoé.
Elle était bizarre depuis leur arrivée. Enfin plus bizarre que d’habitude. La lueur chaude des lampes creusait chaque partie de son visage fatiguée. Elle jouait avec une de ses nombreuses bagues, la faisant tourner autour de son doigt encore et encore. Elle était pensive. Et muette. Choses qui n'arrivaient jamais à Sanoé. Arthur ne savait pas comment réagir face au comportement de son amie. Il opta pour la méthode Sanoé. Si l’autre ne parle pas, parler pour lui.
- En tout cas, ta maison est impressionnante, dit-il en contemplant les moulures au plafond. Et moi qui pensais que Rima était riche. Comment dois-je m'adresser à toi à présent ? Votre Majesté ? Votre altesse ? Milady ?
Sanoé pouffa de rire.
- Je suis plutôt fille de chef de clan, mais va pour Milady, répliqua-t-elle un sourire étirant ses lèvres fines.
Elle n’avait pas totalement perdu de sa répartie, ni de son mordant qui avait le chic de faire rougir Arthur. Heureusement que les lumières étaient tamisées.
- Et donc ta famille, c'est un peu comme Braveheart ?
- C’est pas aussi cool et puis y a personne d’aussi beau que Mel Gibson dans ma famille, mais en gros oui, on peut dire ça. Le clan est petit et assez ancien, il paraît qu’on était français au début, récita Sanoé en haussant les épaules.
- On dit que beaucoup de châteaux en Écosse sont hantés, mais ta maison a l'air assez saine… fit remarquer Arthur.
Il s’attendait à voir de nombreux esprits habiter le lieu, peut-être même une dame blanche ou un homme sans tête. Pas qu’il était déçu de ne pas en voir, il était juste surpris.
Non. En réalité, il était assez déçu.
Sanoé souffla du nez, contractant la mâchoire. Son regard devint noir, un orage violent passa dans ses yeux.
- Tu ne pouvais pas choisir meilleur mot, cracha Sanoé.
Devant la mine étonnée d'Arthur, elle se radoucit.
- Désolée. Mais non, en effet, il n’y a pas de fantômes. Quand je vivais ici, je les aidais à passer. Enfin, à part ma grand-mère, mais la connaissant, elle n’aura besoin de personne.
Arthur changea de sujet pour détendre l’atmosphère.
- J’espère qu’on aura le temps de se balader. Depuis le temps que je rêvais d’aller en Écosse !
- L'enterrement est demain matin, on ira se promener l’après-midi et le lendemain, on fera un tour à Édimbourg avant de reprendre l’avion. Je te montrerai une librairie qui ferait baver ton frère.
Ils continuèrent de parler ainsi jusque tard dans la nuit. Sanoé s’était un peu détendu et Arthur était content de pouvoir échanger avec sa partenaire, comme avant. Ça lui avait manqué, plus qu’il ne voudrait l’admettre.
De temps en temps, Arthur pianotait sur son téléphone puis revenait à la conversation. De nature curieuse, Sanoé lui demanda qui était son correspondant insomniaque.
- C’est Ophélie, expliqua Arthur, un rire dans la voix.
Il se redressa soudainement. Sa gorge se serra. Ses oreilles chauffèrent. Pourquoi se sentait-il si gêné de parler d’Ophélie à Sanoé ? Ce n’était pas comme s'il avait fait quelque chose de mal. Elle avait toujours été sympa avec lui. Puis, ils avaient fait ce devoir ensemble et ils s’étaient rapprochés. Ophélie était de bon conseil et avait été présente quand Sanoé et lui s’évitaient. C’était une très bonne amie. Comme Sanoé en était une. L’infidélité entre amis, ça existe ?
- C’est une amie de la fac. Elle m’avait demandé de lui envoyer des photos. Alors… je lui envoie des photos.
- Logique, déclara Sanoé. Si ça avait été Thomas, tu lui aurais passé le bonsoir de ma part. Pour ton amie, si tu veux, j'ai plein de photos que tu pourrais lui montrer de l'île de Skye. Si elle aime les paysages sauvages, elle va adorer, continua-t-elle en bâillant.
Arthur ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, mais pas à cette réaction, c’est sûr. Il s'était mis la pression tout seul.
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