Chapitre 3
~ Point de vue Nicole ~
Deux mois sont maintenant passés depuis cette affreuse journée. Cette journée que tout le monde voudrait faire disparaître à tout jamais.
Heureusement Alex s'en est parfaitement remis, mis à part le fait qu'il se sent mal d'avoir dû tuer son père pour stopper tout ça. Après en avoir discuté avec Marie, elle l’a dirigé vers le psychologue de l'hôpital. Il arrive à faire un énorme travail sur lui-même et il parvient à présent à faire la part des choses. Il en est à l'heure actuelle, à deux séances d'une heure par semaine.
John, quant à lui, est en très bonne santé. Son sevrage s'est parfaitement bien déroulé. Il n'a plus aucun effet secondaire, et a repris le boulot après avoir passé la visite médicale de contrôle. Étant donné qu'il n'y a plus de commissaire dans ce commissariat, c'est à John que revient ce poste le temps que la hiérarchie prenne une décision. En une journée, il accomplit le travail de deux personnes et en rentrant à la maison le soir, même s'il ne veut pas le montrer, il est fatigué.
Stéph, lui, est toujours dans son monde imaginaire, même s'il aurait dû se réveiller. Ses constantes sont très bonnes et il émet tout de même des signes de vie. On peut voir ses paupières bouger, même si elles sont closes. Même après avoir vu son père dans cet état, Natasha ne m'en veut toujours pas. Elle ne cesse de me répéter qu'elle comprend parfaitement la situation et qu'elle aurait fait la même chose pour sauver l'homme qu'elle aime.
Quant à moi, j'ai entamé mon cinquième mois de grossesse et j'ai l'impression de ressembler à un éléphant. Ma poitrine a tellement grossi que j'ai été obligée de prendre de nouveaux soutien-gorge avec deux tailles au-dessus et j’ai dû réinvestir dans la garde-robe. John a rigolé tout au long du trajet pour aller à l'hôpital, afin de passer la cinquième échographie. C’est sa première et il flippe un petit peu, à vrai dire.
Nous venons à peine de nous installer dans la salle d'attente quand le docteur Ford nous appelle.
— Ah bonjour. Vous devez être Monsieur Matthews, le papa, dit le docteur, en voyant John entrer dans la pièce avec moi.
— Oui.
— Vous ressemblez beaucoup à votre sœur.
— Merci, lui répond John, un peu gêné.
Je m’installe sur la table et relève mon t-shirt qui ressemble à un pull.
— Alors, comment ça se passe pour vous ? me demande le docteur Ford.
— Moralement ça va. Physiquement, je me languis l'accouchement.
— Ça vous gêne tant que ça ?
— Ce n'est pas vraiment de la gêne. C'est juste que je me sens lourde, mon corps change, je dors beaucoup et je mange n'importe quoi. En ce moment c'est cornichon et caramel...
— Je ne suis pas sûr que le mélange soit très bon.
— Je peux vous assurer que c'est ignoble comme mélange, lui dit John.
— Vous avez testé ?
— Malheureusement.
— Mais bon, si ça vous convient. Je ne vais pas vous empêcher de manger, me dit le docteur.
Il prend la sonde, met le gel sur mon énorme ventre et commence l'examen.
— Est-ce que vous les sentez bouger ?
— Oh oui. Ils sont très actifs. Dites-moi, ça leur arrive de dormir ?
— En règle générale, ils dorment entre seize et vingt heures sur vingt-quatre. Ils commencent à avoir des phases de sommeil profond et de sommeil léger. Durant ces phases de sommeil léger, une seule tape sur votre abdomen peut les faire sursauter. Lorsqu'ils sont en activité, caressez doucement votre ventre et ils se calmeront un peu avec de la chance. Est-ce que vous voulez connaître le sexe de vos bébés ?
— On peut déjà le savoir ? demande John.
— C'est visible à l'échographie dès la vingtième semaine.
Avec John, nous nous regardons.
— Allez-y.
Le docteur déplace la sonde du côté du bébé se situant à gauche.
— Fille, garçon ou les deux ? nous demande le docteur.
— On aimerait beaucoup avoir les deux mais on prendra ce que le destin nous offre, lui répond John.
— Très bonne réflexion. Le bébé numéro un est une petite fille.
Il nous montre sur la machine.
— Regardez, le vagin est en train de se former.
Il nous laisse quelques secondes pour regarder puis déplace la sonde à droite pour le second bébé.
— Alors, le second est un petit garçon mais je ne pourrais vous le confirmer qu'à partir de la vingt-huitième semaine, pour le septième mois.
John ne cesse de sourire en regardant la machine.
— Est-ce que vous souhaitez en savoir plus sur votre évolution de grossesse ?
— Oh que oui.
— Ce qui est bon à savoir, c'est qu'à cette période de votre grossesse, vos bébés sont maintenant bien installés et vous ne craignez plus de faire une fausse couche.
Le sourire vient s'installer sur nos visages.
— C'est peut-être une question bête mais ... commençais-je.
— Il n'y a aucune question bête.
— Est-ce que je peux commencer les exercices de respiration ? Ce n'est pas trop tôt ?
— Ce n'est jamais trop tôt. Je vous conseille de commencer ces exercices sans tarder parce que c'est assez rare d'arriver à terme pour une grossesse gémellaire.
— A certains moments de la journée, j'ai les jambes lourdes ...
— Alors, pour ça mettez les jambes en position haute afin que le sang de retour ne stagne pas dans les veines et ne les dilate pas de plus en plus. Allongez-vous sur le sol près d'un mur et levez les jambes en les appuyant sur celui-ci. La nuit, essayez de dormir les jambes les plus relevées possible. Et couchez-vous sur le côté gauche pour dégager les gros vaisseaux de la compression exercée sur eux par l'utérus, explique le docteur Ford.
— Et pour les varices ? questionnais-je.
— Il faut éviter beaucoup de choses, comme de rester debout très longtemps, la compression au niveau des jambes par les chaussettes. Pas de bains chauds, de soleil, de chauffage par le sol, d'épilation à la cire …
— Attendez, ça ne va pas être possible. Je ne veux pas ressembler à un ours.
— Il y a d'autres moyens que la cire. Ne me dites pas non, j'ai une sœur et je sais très bien qu'il y en a d'autres.
Moi qui comptait me rebeller pour avoir gain de cause, il vient de me clouer le bec.
— Ensuite, il faut que vous marchiez afin de tonifier vos muscles qui agissent sur le système veineux et aident le sang à remonter. Et en cas de varices importantes, votre médecin pourra vous prescrire des bas à varices qui sont remboursés par la sécurité sociale et qui vont compenser le manque de tonus veineux et vont empêcher les dilatations de s'accentuer.
— OK.
— J'oubliais. Pour votre regain d'appétit. Vous brûlez quotidiennement cinq cents à six cents calories de plus pour vos propres besoins. Mangez en fonction de votre faim, qui est bien sûr plus importante depuis que vous êtes enceinte, mais n'en profitez pas pour vous laisser aller à la gourmandise.
John me regarde en rigolant.
— II est inutile de contrôler votre poids plus d'une fois par semaine mais si vous ne pouvez résister au désir impérieux de nourriture, pesez-vous tous les deux jours : votre balance se chargera de vous rappeler à l'ordre, prévient le docteur Ford.
— Ne vous inquiétez pas pour ça. Elle le sent de suite, si elle a trop tiré sur la corde.
Je regarde John en plissant les yeux.
— J'ai encore une question. La semaine prochaine, j'ai une intervention dans un établissement universitaire et je ... commençais-je.
— Vous pouvez prendre la voiture à condition de ne pas conduire et d'avoir un trajet simple pour éviter les contractions et les accidents.
— Elle a déjà du mal à entrer dans la voiture, alors vous l'imaginez au volant ? interroge John.
Je lui donne une petite tape sur le bras, en plissant les yeux.
— Merci, docteur.
Le docteur nous serre la main et nous sortons de l'hôpital.
— Alors ? T'en penses quoi ? demandais-je à John.
— Il est bien. Il a l'air de savoir ce qu'il fait. Et puis, il prend le temps de répondre aux questions.
— Et pour l'écho ?
— J'aurais aimé être là pour les quatre premières, mais ça m'a quand fait quelque chose. J'ai comme une boule dans l'estomac.
— Tu étais tellement mignon avec tes yeux qui brillaient.
— Je ne vois pas de quoi tu veux parler.
— Oh, je suis sûr que si.
— Tu veux que je te ramène à la maison ou tu viens faire les visites avec moi ?
— Je viens avec toi. Je veux toutes les voir.
— Pas de problème. On arrive à la première adresse.
— C'est celle-là, la première villa ? interrogeais-je.
— Apparemment. L'agent immobilier est déjà là.
Il gare la voiture juste après l'entrée de la villa et il m'aide à sortir de la voiture, puis nous allons à la rencontre de l'agent immobilier.
— Excusez-nous pour le retard. dit John, en lui serrant la main.
— Ne vous inquiétez pas, je viens d'arriver également.
Il nous serre la main et nous commençons la visite.
— Cette maison a un charme assez traditionnel et un plan qui peut évoquer les demeures classiques, dit l’agent immobilier.
Il nous laisse passer la porte d'entrée en premier puis entre à son tour.
— Comme vous pouvez le voir, le plan du rez-de-chaussée s'inscrit dans un carré assez simple pour le salon qui fait 19,15 m2.
Il nous laisse le temps pour examiner la pièce pendant quelques minutes, puis nous emmène dans les autres pièces du rez-de-chaussée.
— Ensuite, nous avons une très belle pièce de 26,68 m2 pour le séjour. C'est la plus grande pièce de la villa. Le séjour se trouve dans le prolongement direct de la cuisine, nous dit-il, en nous faisant visiter la salle à manger.
— En effet, c’est une grande pièce, dis-je.
Après, il nous fait visiter la cuisine. Il nous fait rentrer par la porte qui est dans le hall.
— Cette cuisine est très lumineuse, comme vous pouvez le voir. Elle possède de nombreux plans de travail ainsi qu'une plaque électrique avec une sécurité enfant et un îlot central où vous pouvez prendre le repas. De superficie, elle est de 8,39 m2. Il y a également une ouverture qui donne vue sur la salle à manger. Vous avez un emplacement pour mettre un lave-vaisselle ainsi que pour la machine à laver et si vous le souhaitez, vous pouvez installer un sèche-linge.
Cette cuisine est assez grande, fonctionnelle, comme les autres pièces d'ailleurs. Mais avant de prendre une décision, il faut voir le reste.
Après l'avoir visualisée de fond en comble, nous revenons dans le hall.
Nous sommes impressionnés par le potentiel de cette maison. Elle est tellement parfaite à nos yeux, qu’on se demande si son prix va être dans notre budget.
— Maintenant qu’on a fait le tour, qu'en pensez-vous ? interroge l’agent immobilier.
— Pour ma part, elle me plaît plus que la première que l'on a visitée la semaine dernière. Elle est plus spacieuse et nous offre plus de choses. Nous aimons les grands espaces, dis-je.
— Et vous, monsieur Matthews ?
— Je suis du même avis. Je préfère celle-ci. Mais je mets une réserve sur le prix de vente. Vous êtes sûr qu’elle rentre dans nos moyens ?
— Cette maison est en vente depuis quelques jours seulement. Les propriétaires actuels ont faits tous les aménagements que vous avez pu constater. Son prix est de 180 000 euros. Je sais, c'est un peu cher, mais elle vaut le coup.
— Vous êtes sûr que vous ne vous êtes pas trompé dans le prix ? interrogeais-je, surprise.
— Absolument certain.
— Il y a quand même une grosse différence entre celle-ci et celle que nous avons visitée la semaine dernière, lance John.
— Soit. Vous pouvez y réfléchir car c'est une somme importante ou vous pouvez faire une offre. C'est vous qui voyez.
— C’est possible de demander un deuxième avis ? questionnais-je.
— Oui vous pouvez. Vous souhaitez repasser quand ?
— Là maintenant. On a juste à passer un coup de fil.
— Allez-y.
Je prends mon téléphone, appelle mon père pendant que John fait la même chose avec sa mère.
Ils arrivent une demi-heure après.
— Merci d’être venus aussi vite. Alors voilà, on vient de visiter cette maison, on est tombé sous son charme mais on voudrait être sûrs de notre choix, alors … commençais-je.
— Vous voulez qu’on vous dise ce qu’on en pense ? demande ma mère.
— On voudrait un second avis oui, répond John.
— On peut faire ça. dit mon père.
— Quelle est son prix ? interroge la mère de John.
— Son prix n’est pas comparable à son potentiel intérieur maman, c’est juste énorme cette maison.
Ils entrent tous les trois dans la villa. Nous faisons les présentations avec l’agent immobilier.
Pendant que John fait le tour avec mes parents et sa mère, je patiente assise sur les escaliers.
La contre-visite dure une bonne heure et demie.
— Pour le prix, vous pouvez monter jusqu’à combien ? demande la mère de John.
— Ils nous ont autorisés jusqu' à 200 000 euros.
Mes parents et la mère de John se regardent pendant qu’ils discutent avec l’agent immobilier.
— Si vous n’avez pas encore signé, c’est que vous êtes fous, nous dit ma mère.
— C’est bon pour vous ? leur demandais-je.
— Ce type de maison vous n’en trouverez pas d’autres, surtout à ce prix-là. Si nous avions été à votre place, on n’aurait pas attendu d’avoir un autre avis avant de signer, me répond mon père.
John se tourne vers l’agent immobilier.
— Nous allons faire une offre au prix de vente. Vous avez de quoi écrire ?
Pendant que l’agent prend de quoi faire une proposition d’achat, nous remercions nos parents et ils partent.
John rédige la proposition d’achat au prix demandé par les actuels propriétaires et remet le papier à l’agent immobilier.
— Je transmets votre offre aux propriétaires dès que je rentre à l’agence et je vous appelle au plus vite.
Il nous serre la main et nous partons chacun de notre côté.
John m’aide à entrer dans la voiture.
— Très sincèrement, j’espère qu’elle ne nous passera pas sous le nez. J’étais comme un gosse devant le Père Noël, avouais-je.
— La même chose pour moi. Je m’y voyais déjà dans cette maison. On va croiser les doigts.
Il se gare devant le commissariat et nous sortons de la voiture.
Après m'avoir embrassée, il va dans son bureau car il a encore beaucoup de travail. Quant à moi, j'appelle Alex, Greg et Matt dans mon bureau afin de faire le point sur la conférence.
— Comme vous le savez, nous avons une conférence en début de semaine dans une université. Cela va durer trois jours, pendant lesquels il vous faudra expliquer à ces étudiants, votre métier, ce que vous y faites et ce que vous y attendez.
— Et qu'est-ce qu'on devra dire sur ça, exactement ? demande Matt.
— Pourquoi vous avez passé ce concours ? Qu'est-ce qui vous a motivé ?
— Servir notre pays et protéger les citoyens, dit Greg.
— Dans ce cas, pourquoi tu n'as pas été dans l'armée ? Tu sers ton pays tout en venant en aide aux autres. Il faut que tu trouves les bons mots.
— On fait ça maintenant ou tu as prévu autre chose ? questionne Matt.
— Vous êtes là pour ça.
Durant l'heure qui suit, ils écrivent leurs motivations et exposent leurs discours.
— Dans l'ensemble, ce n’est pas trop mal. Maintenant, vous allez devoir parler de l'organisation de la police nationale, des équipements, des concours, etc. ...
— Et on va parler de ça pendant trois jours ? demande Matt.
— Oui.
— Et toi, tu vas faire quoi ? me demande Greg.
— J'apporte mon expérience du terrain, vous seconder pour les questions auxquelles vous ne pouvez pas répondre et je vous encadre.
— Et comment ça se passe généralement ?
— Plutôt bien. Bon, si vous n'avez plus de questions, on va pouvoir se remettre au travail, dis-je.
Tout le monde se lève et ils rejoignent leur bureau pour y travailler. Alex n'a pas l'air d'aller bien et quand il se lève pour aller aux toilettes, je décide de le suivre. Une fois la porte fermée, j'entends de l'eau couler du robinet dans le lavabo puis des pleurs.
J'entre-ouvre la porte et regarde à l'intérieur. Alex se tient au lavabo et des larmes coulent sur ses joues.
Au son de l'ouverture de la porte, il tourne la tête vers le bruit et il sèche ses larmes.
— Excuse-moi, dit-il.
— Tu as le droit de pleurer.
A peine je termine ma phrase, que je vois d'autres larmes couler.
— Qu'est-ce qui se passe ? lui demandais-je.
— Je n'arrive pas à refaire surface.
— Je peux t'aider ?
— Pourquoi tu m'aiderais ?
— Parce que tu es mon ami et qu'ici, on fait tous parti de la même famille. Jamais je n'ai laissé tomber un ami ou un membre de ma famille. Allez viens, lui dis-je, en le prenant dans mes bras.
Je lui fais un bisou sur la joue et le serre contre moi.
A cet instant, John pousse la porte des WC et entre.
— Ça ne va pas ? demande-t-il.
— Si, ça va aller. C'est juste un petit coup de mou. On va prendre le reste de l'après-midi. Il faut … qu'on fasse quelque chose, lui répondis-je.
— Ok allez-y.
— Merci. Allez, viens.
J'attrape Alex par le bras et le fais sortir du commissariat.
Il n'a pas fait le deuil de la mort de son père. Même s'il sait qu'il a fait son boulot, il se sent responsable.
Je prends donc la voiture et nous amène tant bien que mal, dans un endroit qui, je l'espère, déclenchera quelque chose en lui
Je me gare et le fais sortir de la voiture.
~ Point de vue Alex ~
En sortant de la voiture, je vois qu’elle nous a emmenés au cimetière. C’est le dernier endroit au monde où je veux être et elle, elle m’y emmène.
— Pourquoi tu m'as emmené ici ? demandais-je.
— Pour que tu saches où tu en es.
— Et tu crois que me mettre la tombe de mon père sous le nez, ça va m’aider ?
Je ne veux pas rester ici, ça fait trop mal.
— Ce que je sais c’est que si tu t'en vas maintenant, ça voudra dire que ton père a encore gagné, me répond-elle.
Tout à coup, je m'arrête et regarde derrière moi. Je sais qu’elle a raison mais je ne sais pas si je suis prêt à l’affronter encore une fois.
— Montre-lui que tu es plus fort que lui, moralement et en tant qu'homme. Reviens l'affronter une dernière fois.
— Et je suis censé m'y prendre comment ?
— Tu te mets devant sa tombe et tu repenses à tous les moments que tu as partagés avec lui. Les bons comme les mauvais. Et je voudrais que tu te dises que si tu n'avais pas tiré, tu serais exactement à la place de ton père parce que lui, il n'aurait pas hésité un seul instant pour sauver sa propre vie. Tu prends le temps qu'il te faut. Si tu veux crier, crie si tu veux pleurer, pleure … tu fais comme tu le sens, me dit-elle.
~ Point de vue Nicole ~
Je me retourne et marche jusqu'à pouvoir m'asseoir à côté d'un arbre.
Alex se retrouve seul, face à lui-même. Il doit affronter ses démons. Il n'y a qu'en les affrontant qu'il se sentira mieux. Il faut vaincre le mal par le mal.
Mais quelques heures plus tard, il n'a toujours pas bougé d'un poil et cela m’inquiète. Je vais pour me relever mais une voix me parle.
— Laisse-le.
Je tourne la tête et vois que c'est John.
— Comment tu as su ?
— Il n'y a que comme ça que j'ai réussi à m'en sortir, me répond-il.
— C'est lui qui t'a aidé ?
— Ma mère. Et pourtant, elle avait l'air de s'en foutre. Je te parle de mon père, pas de moi.
— Tu as mis combien de temps ?
— Je suis resté là quatre jours entiers. Je vais te ramener à la maison.
— Je lui ai promis que je l'aiderai.
— Tu sais, avant on était comme deux frères. A cause de cette histoire, on s'est déchiré et j'ai fini par lui taper dessus. Alors, si quelqu'un doit l'aider, c'est moi.
— Je reste là, lui dis-je.
Il pose un panier par terre et va rejoindre Alex, en s'asseyant à ses côtés. Je ne les entends pas discuter et je n'arrive pas non plus à lire sur leurs lèvres mais je lui fais confiance.
J'ouvre alors le panier et vois avec plaisir qu'il a apporté à manger. Il n'a pas oublié la boîte de cornichons et le caramel.
Vous vous imaginez bien que pendant l'heure qui suit, j'ai mangé les trois quarts du panier à moi toute seule.
Quand ils arrivent vers moi, je referme le panier ni vu ni connu.
— Ça va mieux ? questionnais-je à Alex.
— Pour l'instant. Merci.
— Pourquoi tu as vidé le panier ? me demande John.
— J'ai super faim et tu sais que quand j'ai faim, je mange.
— Nicole, il y avait à manger pour trois, là-dedans.
— Tu aurais dû prévoir plus, étant donné que je mange pour trois.
Il se met à rire et ils m'aident à soulever mon énorme carcasse.
— On fait quoi maintenant ? demandais-je.
— Bah, toi je ne sais pas mais Alex et moi, on va aller se changer les idées.
— Tu oserais me laisser toute seule ?
— Oui … mais juste pour ce soir.
— Qu'est-ce que je vais faire ?
— Ça fait longtemps que tu voulais faire une soirée entre filles, alors profite de l'opportunité.
— Et tu crois vraiment qu'ils vont me laisser entrer dans mon état actuel ?
— Tu n'auras qu'à … comment dit-on déjà … ah oui … user de tes charmes, me répond-t-il.
— Attends, pour qui tu me fais passer ?
— Pour ce que tu es, ma chérie, me répond John, en fermant la porte de la voiture.
Il vient de me clouer le bec en l'espace d'une seconde et je ne sais pas quoi lui répondre. Il me dépose à la maison et ils partent aussitôt tous les deux. J’ai l’impression d’avoir été éjectée de la voiture comme un vieux kleenex.
Je monte les quelques marches, me repose quelques minutes et prends le téléphone. J’espère qu’une des filles sera disponible ce soir, même si c’est à la dernière minute. J'appelle Marie mais elle doit être de garde car elle ne me répond pas. Je tente alors ma chance avec Erika et chance pour moi, elle décroche. Je lui demande si elle peut venir à la maison pour la soirée et elle accepte.
— Je suis désolée de t'avoir prévenu au dernier moment, lui dis-je.
— Ça ne fait rien. J'avais besoin de changer d'air. Ton homme n'est pas là ?
— Non. Il m'a lâchement abandonné.
— Et il est parti où ?
— Il est sorti avec Alex, je ne sais où. À mon avis, ils sont allés boire un verre et ils iront en boîte pour finir la soirée.
— Il fait ça souvent ? demande Erika.
— De temps en temps.
— Et tu n'as pas peur de ...
— Je lui fais confiance et puis, tant qu'il respecte les règles, ça ne dérange pas.
— Vous vous êtes fait des règles ? questionne-t-elle, surprise.
— Oui.
— Ce sont quels genres de règles ?
— Pas de mensonges, de trahisons, de juger. Des choses comme ça.
— Et c'est toi qui les a instaurées ?
— Au départ, c'était mon idée puis il en a rajouté quelques-unes.
— Et pour le mariage, alors. Vous avez fixé une date ?
— Ce sera le 14 Février.
— En dehors du fait que c'est la saint Valentin, ça représente quelque chose d’autre ?
Je souris au souvenir de cette date.
— Oui. Mon père nous a trouvés dans le même lit le lendemain matin. Si tu avais vu sa tête quand il nous a surpris.
— Je l’imagine très bien … Vous en êtes où pour les préparatifs ?
— On a déjà fait un tiers du boulot, je dirais. On a défini le style, le budget, le nombre d'invités. On est allé voir plusieurs traiteurs, regardé les faire-part. On a appelé la mairie pour la date, l'heure et j'ai commencé à choisir ma robe.
— Tu as une photo de la robe ? me questionne-t-elle.
Je lui sors une photo de la robe que j'ai choisie.
— Elle est vachement jolie, assez volumineuse à l'arrière. Elle est dos nu ?
— Oui. Tu l'aimes bien ? lui demandais-je.
— J'adore ta robe. Tu l'as faite sur mesure ?
— Bien obligé. Au fait, je voulais te demander quelque chose.
— Demande.
— Est-ce que tu accepterais d'être une de mes demoiselles d'honneurs ? demandais-je.
— Bien sûr que oui. Ça fait longtemps que j'attendais ça.
— Merci.
— Qui d'autres tu as prévu ?
— Marie, c'est la petite sœur de John et Natasha, c'est ma filleule, répondis-je.
— Parfait.
— Ça sera plus simple pour t'organiser une petite fête à toi, en plus de celle qui est prévue pour les jumeaux.
— En parlant des enfants, j'ai pensé à Shana et à Evan pour apporter les alliances. Tu crois que ça lui plaira ?
— Oh que oui.
— Elle met quoi en taille ?
— Du six ans. me répond-t-elle.
— Elle aime quoi comme couleur ?
— Bah, c'est une fille alors le rose. Tu verrais sa chambre, c'est une horreur. Mais c'est ton mariage, alors c'est toi qui choisit.
— J'hésitais entre le blanc cassé et le rose. Mais si elle aime le rose, on lui prendra une belle robe rose.
— Et pour le petit garçon, vous avez prévu quoi ? me demande-t-elle.
— Un petit costume beige avec une cravate.
— C'est joli. Et ton homme, il a déjà choisi son costume ?
— Je pense que oui, mais je ne sais absolument pas à quoi il ressemble.
— Tu n'as pas regardé ?
— Bah étant donné qu'il ne doit pas voir ma robe avant le mariage, il m'a demandé d'attendre le jour J pour voir sa tenue et je lui ai promis. Une promesse est une promesse, lui dis-je.
— Tu sais au moins s'il est blanc ou noir ? Non ?
— Même pas.
— Tu n'as même pas été tentée d'aller voir ? questionne-t-elle.
— Si mais je ne sais pas où est-ce qu'il l'a rangé. Il est bien plus malin que ce que tu ne crois. Il a dû le cacher dans son bureau pour être sûr que je ne triche pas.
— Et pour la musique et tout ça ?
— Bah, on avait pensé à demander à David de s'en occuper parce que c'est son domaine. Mais on ne veut pas qu'il se sente obligé de dire oui, lui répondis-je.
— Tu rigoles ? Il en serait plus que ravi.
— C'est vrai ?
— Bien sûr que oui.
Tout à coup, je me sens comme si on m'enlevait un énorme poids. Je vois le nuage partir dans les airs.
— Et pour les faire-part, on en a choisi deux mais on n'arrive pas à se décider, ajoutais-je.
— Fais-moi voir ça. Je vais te donner mon avis.
Je les lui passe et elle les examine avec attention.
Le premier est de couleur neutre avec une photo de l'homme qui passe la bague à la main de sa femme.
Le second est partagé en deux couleur : le rose pâle et le bleu pâle avec au centre, une photo des mariés se tenant la main.
— En toute honnêteté, je préfère le premier. Quand on le regarde, on a l'impression d'avoir un échange entre deux personnes.
— C'est ce que John m'a dit.
— Raison de plus pour prendre celui-là.
— Tu crois ?
— Tu m'as toujours fait confiance, alors prends le premier.
— D'accord. Et tu as des idées pour la petite fête ou …
— Ah ça, il faut que j'en parle aux privilégiées d'abord et ensuite, tu auras ta surprise. Mais si tu aimes toujours ce que tu aimais avant, ça devrait aller pour nous, me dit-elle, en souriant.
Bon, je n’aurais pas d’autres infos ce soir. J’aurais essayé.
Elle reste encore quelques heures avec moi, à nous souvenir de nos bêtises d'adolescentes en riant de plus en plus.
Elle part vers une heure du matin, après avoir bu un café noir bien serré.
— Dis-moi, de temps en temps, on se fait des petites soirées avec Marie. Ça te dirait de venir avec nous ?
— Vous faites quoi, pendant ces soirées ? interroge-t-elle.
— Ça varie entre les boîtes de nuit et clubs de strip-tease.
— Je peux constater que tu es toujours dans le coup. Ton programme m'intéresse.
— Ça veut dire oui ? lui demandais-je.
— Évidemment que oui.
Elle me dit au revoir et part. Ca m’a fait du bien de m’évader un peu. John n'est toujours pas rentré, je vais aller me coucher. La fatigue me prend et je m'endors aussitôt.
Vers cinq heures et quart du matin, je sens John se lever du lit. Je l’entends aller dans la cuisine pour manger un morceau puis sortir de la maison. Il doit aller faire son jogging matinal. Quel courage, personnellement j’aurai lâché l’affaire pour aujourd’hui vu l’heure à laquelle il est rentré. Je vais essayer de me rendormir un peu avant qu’il ne revienne mais ce n’est pas gagné.
Il rentre une bonne heure et demie plus tard, son t-shirt couvert de transpiration. Il le retire et le met dans le panier à linge sale dans la salle de bain. Il prend une bonne douche bien méritée et sort de la salle de bain en serviette.
Je le vois s'asseoir au bord du lit et il tente de me réveiller en douceur.
— Il faut se réveiller, belle au bois dormant.
— T'es rentré à quelle heure ? lui demandais-je.
— Je n'ai pas vraiment regardé l'heure mais il était très tard.
— Et tu es quand même aller courir ?
— Et oui, me dit-il, avant de m'embrasser.
— Pourquoi tu es encore mouillé ?
— Je sors de la douche.
— Oh, tu abuses.
Je n’ai même pas le temps de finir ma phrase qu’il secoue sa tête comme un chien mouillé qui se secoue.
— Garde ton eau avec toi.
— Allez, lève-toi marmotte.
Il se relève et fais le tour de la chambre puis remarque que je n’ai pas bougé d’un pouce. Il retire alors la serviette qu'il a autour de la taille et me la lance à travers la chambre.
— Elle vient d'où cette serviette ?
— De mon tour de taille. Si tu veux, j'en ai encore à te proposer.
— C’est bon, je me lève.
— Le petit déjeuner est sur la table.
Je sors du lit, serviette à la main et la lui relance. Il la rattrape tout en rigolant. Cinq minutes plus tard, il sort de la chambre, habillé et sec. Je finis mon petit déjeuner, file à la salle de bain puis m'habille avec l'aide de John.
Nous partons pour le commissariat. Fin’ plutôt pour siéger dans un bureau toute la journée.
— Toc Toc.
— Salut. Tu es bien souriant, dis-je à John, en souriant à mon tour.
— L’agent immobilier m’a appelé.
Je lâche mon stylo qui tombe sur le bureau avec un bruit sourd.
— Qu’est-ce qu’il a dit ? La maison est à nous ?
Son visage change d’expression. Il s’est fermé. Il entre dans mon bureau et s’assoit sur la chaise face à moi.
— Il a commencé par dire qu’il était vraiment désolé …
— Oh non, c’est mauvais signe. Où est-ce qu’on va retrouver une villa comme celle-là ?
— Attends, est-ce que j’ai dit ça ? Je n’ai pas terminé ma phrase.
— Oui pardon, vas-y.
— Donc il a dit qu’il était vraiment désolé d’avoir tardé à nous rappeler … Il nous invite à le rejoindre ce soir pour signer les papiers de vente avec le notaire.
Mes pensées ne font qu’un tour.
— Ca veut dire que la maison est à nous ? demandais-je.
John se lève de sa chaise, fait le tour de mon bureau et se met à genoux.
— A dix-sept heures, nous serons officiellement propriétaire de cette maison. me dit-il.
— Aaaaaaaaaaaaaaah, oh mon dieu j’y crois pas. Tu te rends compte ?
Plusieurs têtes apparaissent dans l’encadrement de ma porte de bureau. Et à la vision de notre regard, elles retournent travailler.
— Je me rends compte surtout que si on n’était pas tombé sur cette maison de rêve, on aurait été obligé d’aller habiter chez ma mère dès le week-end prochain.
— On a un très bon ange gardien qui a su nous porter secours. Le week-end prochain, on est chez nous, dis-je, en me tortillant comme une enfant impatiente.
Je continue à rêvasser le reste de l’après-midi jusqu’à ce que John vienne me chercher.
Lorsque John me donne le stylo pour signer, ma conscience me ramène à la réalité. Je souris et j’ajoute ma signature à celle de John. Nous sommes propriétaires.
— Et voilà, cette villa est la vôtre. Profitez-en bien, nous dit l'agent, après avoir signé tous les papiers.
— Nous vous remercions infiniment, Monsieur Wilder, lui dit John.
— C'est moi qui vous remercie, Monsieur Matthews, Madame Bernard. Je vous souhaite bon courage pour la suite.
Il nous serre la main et nous laisse partir, les clefs en main.
En sortant de l'agence, nous sommes tous les deux très heureux. Nous avons enfin trouvé une maison à nous.
— Attends j’ai une idée. On va prendre une photo et on l’envoie à nos parents, à ton frère et à Marie, propose John.
— Très bonne idée.
Il sort son téléphone portable de la poche de son pantalon pendant que je prends les clefs de mon sac.
Je pose ma tête contre celle de John, la main gauche juste en dessous de nos visages et John prend la photo.
Il m’embrasse et envoie la photo avec un petit message.
Nous sommes très heureux de vous annoncer que nous sommes officiellement devenus propriétaires.
Les réponses ne se font pas priées. Tout le monde est très content. Marie et mon frère se languissent de voir la maison.
— Eh bah voilà, on va passer un week-end dans les cartons du bonheur, me dit John en souriant.
Une nouvelle page se tourne pour nous. La vie continue.
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