Rowald déglutit bruyamment.

- Eh bien... Murmura-t-il.

- UN NAIN ! S'esclaffa le fantôme. Un nain ! Je croyais cette maudite race effacée de la surface de la terre !

Le petit homme rougit violemment et ses mains se resserrèrent davantage sur le manche de son arme. Il n'avait aucune chance et il le savait. Le chevalier faisait six fois sa taille, et trop crispé depuis son entrée dans le château, il ne pouvait plus bouger un seul de ses doigts. Dès le premier coup, sa hache lui serait, sans peine, arrachée des mains.

Un second rire vint s'ajouter au premier, puis un autre et un autre, ils furent bientôt une vingtaine de fantômes grimaçant à l'entourer.

Rowald avait du mal à rester en place. Ses jambes ne demandaient qu’à se mettre en mouvement pour fuir le plus vite possible cet endroit. Une lueur d’espoir se fit jour en lui. Peut-être n’avaient-ils plus prise sur le monde matériel ? Décorporalisés, ils ne pourraient pas le blesser. Physiquement. Mais s’ils prenaient possession de son corps à lui ? Et s’ils le rendaient fou ? Ou le faisaient mourir de peur ? Toutes ces pensées se bousculaient dans sa tête.

- Alors petite imitation d'homme ! Tu es venu nous défier ? Tu croyais que, nous morts, tu ne risquais plus rien ? Détrompe-toi ! Je m'en vais de ce pas te prouver le contraire !

Une sueur froide et irritante coula le long du dos du jeune aventurier. Sa gorge desséchée ne laissait filtrer que des borborygmes. Le premier fantôme leva une main pour réclamer le silence et, ironique au possible, lança :

- Attendez !

Ses compagnons sourirent.

- Sa Majesté le Nain va parler ! Si toutefois elle est capable d'aligner deux mots de suite ! Il parait que cette race ne peut faire deux choses en même temps ! Comme parler et penser !

La colère empourpra le visage de Rowald et empli son esprit. La cultivant il la laissa enfler en lui, grandir, occuper chaque parcelle de son corps, de son âme, l'accroissant au maximum afin que sa rage devienne une arme terrible.

Un concert général de rires avait accueilli les dernières paroles de l'ancien chevalier. Chaque éclat blessait cruellement le nain, mais venait s'ajouter à son courroux.

D'un geste, le revenant fit cesser tout bruit. Il écarta son épée et après une demi-révérence, posa un genou à terre en écartant les bras. Même ainsi, alors que le nain était sur les marches qui descendaient dans la salle, l’être éthéré était plus grand que lui.

- Va ! Dit-il. Frappe le premier !

Avec une lueur railleuse dans l'oeil, il ajouta :

- Afin que tu puisses frapper au moins une fois avant de mourir !

Rowald serra les dents et levant bien haut sa hache, voulu se précipiter en poussant son cri de guerre mais fut stoppé net dans son élan.

-ASSEZ !

Les mots qui avaient retenti semblaient avoir arrêté le temps. Le jeune nain pétrifié, la bouche ouverte, restait arme dressée au-dessus de sa tête, ses traits déformés par la fureur.

- LAISSEZ ! J'AI PERDU ASSEZ DE TEMPS !

La voix emplissait la salle.

Un râlement plus qu'une voix, semblable au bruissement des feuilles sèches frottant les unes contre les autres. Un râlement brûlant qui mettait mal à l'aise telle une tempête de sable irrite les yeux.

Ses mots n'avaient pas vraiment de sens mais instantanément les chevaliers dont les faces s’étaient grimées d’épouvante et de fureur réintégrèrent leurs cercueils et il ne resta plus dans la salle qu'une vague impression de froid.

Le silence qui pesa alors était saisissant et Rowald déglutit en baissant lentement son arme.

Quelqu’un veillait sur lui. A n’en pas douter. Qui ? La sorcière ?
Une désagréable sensation lui picota la nuque. Le poids d’un regard. D’une présence.
Se secouant, il décida de reprendre vite son chemin et d’en terminer au plus tôt avec ce maudit marché.

Après s’être laissé glisser le long des quelques marches, il traversa la salle, non sans jeter de petits coups d'œil inquiets vers les hauts murs qu'étaient les cercueils de ces êtres maudits. Puis il grimpa péniblement la nouvelle volée de marche. Lorsqu’enfin il y parvint, le nouveau couloir qu’il avait vu du bout de la pièce s'offrit à lui aussi grand que le premier, mais beaucoup plus majestueux.

Les murs recouverts de fresques aux couleurs sombres n'attirèrent pas son regard.

Désormais, de grosses gouttes de sueur grasse lui coulaient le long du front et des yeux, se perdant dans sa barbe noire, lui procuraient de désagréables fourmillements. Il avait chaud. Sa respiration était courte et laborieuse. L’air était saturé de relents de moisi et de quelque chose d’indéfinissable. Lourd. Pesant. Corrompu.

Un bruissement se fit entendre dans son dos. Il se figea. N’osant se retourner. Resserrant encore ses poings sur le manche de sa hache. Il se mordit la lèvre tout en se morigénant et se remit en marche. Attiré.

Il passa donc le regard droit, fixé en un point que lui seul voyait. Le pas pressé, la respiration haletante, c'est à peine s'il ne courrait pas car quelque chose au fond de son âme lui disait que le temps était précieux, qu'il fallait se hâter et il obéissait.

Une centaine de mètres plus loin, il s'arrêta, le couloir continuait mais ce n'était plus le bon chemin.

Se dirigeant vers le mur de droite, Rowald effleura la pierre de ses doigts engourdis. Puis relevant la tête il trouva ce qu’il cherchait et maugréa, grogna et pesta contre lui-même et sa petite taille. A hauteur de géant, une pierre en forme de croix semblait incrustée dans la roche.

Sortant son grappin et sa corde, il avisa, largement au-dessus, une fente qui lui semblait être une prise solide, et lança sont crochet.

Le nain vérifia plusieurs fois la solidité de l’ancrage en tirant sur la corde, puis grimpa à la force des poignets afin de pousser la pierre sculptée qui sortait du mur.

Un grincement terrible se produisit et le frottement de pierre contre pierre se fit insoutenable. L'édifice entier trembla et le jeune nain, relevant le nez vit la partie du mur sur lequel il se trouvait se détacher du reste du couloir et commencer à pivoter pour le condamner. La fente dans laquelle il avait fixé son grappin se resserrait et ayant vu les crocs d'acier sur le point de se désintégrer, Rowald se laissa glisser le plus rapidement possible avant qu’ils ne soient broyés. A deux mètres du sol, le métal céda, il chuta et la corde lui tomba dessus.
Les mains rougies par le frottement de la corde et le bas du dos douloureux, il reprit sa corde, son sac et sa hache et laissa ses yeux s’habituer à la pénombre de la salle qui se révélait à lui.

Avec un soupir, il fit un premier pas, puis un second.

Il se sentait attiré et avait du mal à résister. C’était comme une main impérieuse sur son épaule qui le poussait en avant. Quand il eut fait un troisième pas, le mur se referma avec un grincement sinistre et il sursauta.