Prologue - Partie 2

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Des bourdonnements. Beaucoup de bourdonnements. Des bruits sourds dont on ne décelait l’origine. Puis, plus rien. Capy avait entrouvert un œil mais ne pouvait déterminer ce qu’il avait en face de lui. « Une queue de chat ? ». Elle avait disparu de sa vision avant qu’il ne puisse confirmer. Ses yeux se fermaient et se rouvraient. Combien de fois avait-il recommencé ? Combien de fois avait-il tenté de bouger ? Enfin finit-il par ouvrir les yeux pour de bon. Ses doigts se mouvaient eux aussi. Des bruits incertains provenaient d’à côté de l’enfant. Il se réveilla en sursaut lorsqu’il sentit quelque chose l'effleurer. Analysant la silhouette face à lui, il se rendit compte qu’elle lui était familière. C’était la cheffe qui lui avait servi son dernier repas. Endormie au sol, la tête tombant sur le lit, elle ronflait par moment, sans trop se prononcer. Ne voulant la réveiller, Capy se décala lentement vers l’autre côté du lit. Autour de lui se dévoilait une immense chambre. Une espèce de large cube orné de bibliothèques des deux côtés. Deux murs, presque entièrement remplis de livres. L’imposant lit dans lequel Capy était assis trônait au milieu, contre le mur arrière. En face, une double porte faisant au moins trois fois sa taille, y était alignée. Si à droite, la pièce était vide, uniquement remplie par la bibliothèque murale. À gauche était présent un bureau, placé dans le coin de la pièce. La chaise de ce bureau paraissait ridiculement petite dans cette immense pièce. Elle était tout de même très large pour des êtres de tailles moyennes. Capy, fasciné par son nouvel environnement, n’avait pas remarqué le réveil de sa colocataire. Elle le fixait avec de grands yeux larmoyants.
« Enfin tu te réveilles ! sanglota-t-elle
— Tu devrais déjà commencer par ton prénom, tu ne penses pas..?
— Jordy ! Je m’appelle Jordy ! Ça fait cinq semaines que tu ne t’es pas réveillé… J’ai failli perdre espoir…
— Comme tu peux le voir, j’ai l’air encore vivant.
— J’avais bien compris idiot. Je vais te chercher à manger, et je ramènerai Montaku. »
Elle sécha ses larmes en se relevant et partit en direction du bureau. Récupérant ainsi un plateau rempli de multiples fruits, qu’elle alla poser sur le lit. Elle s’éclipsa ensuite de la chambre. « Beaucoup de fruits. Qu’est-ce que c’est que celui-là ? C’est difforme et ça n’a pas l’air très bon… » Il renifla cet étrange fruit, ce qui eut pour effet de le dégoûter instantanément. Les portes s’ouvrirent au même moment. L’ours qu’il avait rencontré avant son coma le fixa, perplexe. La seconde ourse était aussi présente. Elle mirait quant à elle, la réaction de son congénère.
« Goûte, plutôt que de dévisager ce pauvre fruit.
— Tu ne vas tout de même pas le forcer à manger un kiop dès son réveil ? Questionna l’ourse qui paraissait tout aussi dégoutée que Capy. Tu veux qu’il repasse de l’autre côté ?! paniqua-t-elle.
— Du calme, ce n’est pas un simple kiop qui va le tuer. Il en a déjà mangé ! Hein Jordy ? s’introduit un troisième ours. »
Il était inémotif. Ne laissant paraître s’il était sérieux ou non.
« Oui il en a déjà mangé. Mais il était cuit et cuisiné ! Il faut avouer qu’à l’état d’origine, le kiop n’est pas très agréable au palais… »
L’enfant ne savait pas ce qu’il devait faire face à toutes ces personnes. Il fit alors le tour du groupe des yeux.
« Qui s’en occupe ? Demanda le troisième ours.
— Je suis celle qu’il connaît le plus..? hésita Jordy. Donc, tu me connais, et tu as déjà rencontré Montaku, dit-elle en désignant le premier ours. Tu as aussi rencontré Matania, cette dernière leva la main. Et voici finalement Mitognia. »
Tous fixèrent Capy comme s’ils l’analysaient. Ils cherchaient clairement à connaitre ses réactions face à ce nouvel environnement. L’enfant n’avait pas bougé, il écoutait et regardait lui aussi tour à tour chacun de ses interlocuteurs.
« Ces ours sont de la famille Loser-Jack. Je doute que tu en aies déjà entendu parler, on en rediscutera plus tard si tu veux. J’ai peur de te surcharger d’informations. »
Matania, d’un air déçu, se retira. Ses deux frères la suivirent. Jordy hésita à suivre le mouvement mais fut retenu par Capy.
« A… Attends ! Ça fait trop d’un coup, tu as raison.
— C’est ce que je craignais, soupira-t-elle.
— Tu veux bien me tenir compagnie pour le moment ?
— Si tu le demandes » Jordy se retourna avant de s’incliner en relevant une robe inexistante.
Capy demanda à cette dernière, se rapprochant, de lui apporter un de ses carnets. Se rendant compte de sa situation, il s’inquiéta. Où étaient passées ses affaires ?
« Oh, ne t’inquiète pas. Tes habits ont été lavés, et le reste de vos affaires ont été rangées. Ta sœur se porte bien, mais je ne l’ai pas fait venir car elle est tombée d’épuisement peu avant ton réveil. Elle s’est d’ailleurs très bien adaptée à sa vie ici !
— Elle s’est beaucoup inquiétée ?
— Tu n’imagines pas à quel point… soupira-t-elle.
— Cinq semaines que je suis couché ?
— C’est ça…
— Bien… Mange avec moi, tu as l’air épuisée depuis la dernière fois. J’irai dormir encore quelques heures avant que tu ne m’expliques ce que je devrais savoir.
— Tes désirs sont des ordres ! dit-elle en esquissant enfin un sourire.
— Des ordres ?
— À titre officieux, considère-moi comme ta servante.
— D’accord… hésita-t-il.
— Tais-toi et reprends des forces. »
L’enfant ne savait quoi dire. Dans le flou de la situation, il ne se permit qu’un mot : « Merci. »

—!—

Des chuchotements répétés se firent entendre.
« Capy…! Capy…! Eh oh ! Je sais que tu m’entends ! Réveille toi ! »
Ce dernier se réveilla en sursaut et retrouva sa sœur accroupie contre le lit.
« Enfin ! Ça fait une demi-heure que je t'appelle !
— Ennebelle ! Ça ne fait même pas un quart d’heure. Et tu aurais dû le laisser se reposer ! Il en a besoin, gronda Jordy.
— Il n’a fait que dormir ! se plaignit l'aînée.
— Tu apprendras que le corps et l’esprit ne se rétablissent pas dans de telles conditions.
— Vous avez fini vos chamailleries ? questionna Capy.
— Bon réveil, ajouta Jordy en souriant. J’ai profité de ta sieste pour noter des choses dans mon carnet. Je te laisserai le lire quand tu seras libre.
— Il a dormi toute la nuit ! rala Ennebelle.
— Une sieste hein ? répondit Capy en laissant un regard à la cheffe.
— Je ne voulais pas te réveiller en pleine nuit.
— D’accord… Passons ! Ennebelle, tu devrais songer à te laver, tu pues.
— Mais ! Ce ne sont pas des manières ! s’offusqua sa sœur.
— Par pitié, fais ce que je te dis, implora-t-il en joignant ses mains.
— On se revoit après » se contraignit-elle. La porte se referma après son passage.
« Il ne reste que nous deux… Aide moi à me lever.
— Tout de suite ! »
Elle se hâta près du lit et tendit ses mains. Capy les prit et elle l’aida à se lever. Peinant à marcher seul, Jordy dut le maintenir, ce qui lui fit se sentir utile.
« Je ne vais tout de même pas t’épauler devant tout le monde ? gloussa-t-elle.
— J’en ai besoin pour le moment. Et je devrais aussi aller me laver vu l’odeur…
— Je confirme !
— Je ne suis pas sûr de vouloir entendre ça, mais merci, répondit-il par courtoisie.
— Je t’accompagne jusqu’aux bains et reviendrai à ta sortie, qu’en dis-tu ?
— Ça me convient.
— Allons donc aux bains, nous nous reverrons après. »
Accompagné, Capy entra dans les bains. Il fut frappé d’une vague de chaleur à l’ouverture de la porte. La pièce était tout aussi gigantesque que la chambre dans laquelle il logeait dorénavant. Toutes les pièces de cette habitation étaient immenses, était-ce le manoir de géants ? Avant de plonger dans l’eau, l’enfant se déshabilla et prit la direction du bassin. Une fois au bord, il se laissa chuter. L’eau y était chaude, un chauffage parfait dont il n’avait pu qu’entendre parler. Le temps de se laver, il pensa : « Comment ont-ils construit cette cité ? Sa pierre blanche reflète la lumière, de quoi piquer les yeux. Heureusement qu’ils bloquent les rayons du soleil à l’aide des toiles. Je suis dans une vraie maison d’ailleurs ? Je me demande à qui elle appartient…» Il sortit ensuite du bassin et se secoua afin de sécher sa queue qu’il avait fait émerger en entrant. Après avoir monté les marches jusqu’aux portes-serviettes, il se servit d’un large linge qu’il enroula autour de lui. La serviette le recouvrait plusieurs fois entièrement et pesait son poids. Sortant ainsi vêtu dans le couloir, il ne savait plus d’où il venait. Il était perdu. Capy fut rassuré et esquissa un sourire lorsqu’il vit Jordy accourir dans sa direction.
« Meilleure odeur ! dit-elle en s’inclinant pour sentir Capy encore submergé par sa serviette.
— Une bonne chose de faite ! il hésita, je crains de me perdre si je reste seul dans ce labyrinthe.
— Même en connaissant les lieux, un bon nombre de pièces me sont encore inconnues !
— Dirigeons-nous donc vers notre QG !
— Notre QG ? questionna la demoiselle.
— Ma chambre Jordy. Ma chambre est notre QG.
— Oh… Tu as au moins pris tes marques là-bas ! Je t’y emmène de ce pas. »
Avant d’entrer dans la chambre, Capy entendit des bruits provenant de l’autre bout du couloir. Il fit émerger ses oreilles canines qui s’inclinèrent.
« Trente ans d’écart, ce n’est pas tant que ça. Ils vivront… »
N’ayant compris de quoi ils parlaient, l’enfant se laissa entraîner par la porte, qui se ferma.
« Je m’habille et on pourra parler.
— J’ai bien ton ancienne tenue mais je crains qu’elle ne soit pas très adaptée…
— Comment ?
— Tu ne vas pas porter une tenue d’hiver à l’intérieur tout de même ?
— Si c’est impoli, soit. De qui sommes-nous les invités ?
— C’est le manoir des Loser-Jack voyons !
— On est chez les ours ?
— Vulgairement, oui.
— Tu n’aurais pas une tenue qui m’irait ? s'inquiéta-t-il, ne voulant rester sous sa serviette.
— Je n’y avais pas songé. Attends-moi, je reviens avec des affaires de rechange ! »
Jordy se dépêcha. Revenant peu de temps après, elle découvrit une masse au sol. Capy n’avait pas bougé et s’était même enroulé une nouvelle fois sous son immense serviette.
« Un vieux t-shirt, un pantalon raccourci et une ceinture. Ça devrait t’aller. Veux-tu bien sortir de ton cocon ? » désespéra Jordy.
La queue du louveteau, qui n’avait pas encore disparu, se mit à remuer au bord de la serviette.
« Je te pose tout ça sur le lit. Je serai revenu d’ici un quart d’heure alors daigne t’habiller !
— D’accord, répondit-il d’une petite voix. J’y penserai. »
L’enfant sortit la tête de la serviette lorsqu’il entendit la porte claquer. La tête puis le corps. Ses oreilles et sa queue ne se rangeaient toujours pas, était-il excité par la nouvelle vie qui s’était amenée à lui ? Après avoir inspecté les habits soigneusement pliés sur son lit, il les enfila et tourna sur lui-même en faisant attention si ses nouveaux vêtements tombaient. La ceinture de cuir qu’il y ajouta fixa l’ensemble. Il avait dorénavant une espèce de tunique en laine et un pantalon qui lui tombait parfaitement aux chevilles. Cela lui convenait.

Encore seul, Capy décida de se diriger vers le bureau. Montant alors sur la chaise, il vit un carnet sur l’élégant meuble, ce n’était pas un des siens. Il l’ouvrit : Jordy Kelfandre – était noté comme propriétaire sur la première page. Tournant alors quelques pages, ce qui ressemblait moins à un carnet qu’à un journal intime se dévoilait à ses yeux. Ne voulant découvrir de secret involontairement, Capy retourna le carnet afin de commencer par l’arrière. Des notes accompagnées de grotesques dessins se partageaient plusieurs pages. Réalisant alors que chacune des ébauches, qui composaient les pages, représentaient les excentriques personnages qu’il avait récemment rencontrés.
(NDA : écriture manuscrite)
« Jordy Kelfandre : Comme tu as pu le constater je suis cuisto. Je sers aussi de médecin et tu peux bien entendu me considérer comme ta servante. ps : ta sœur m’apprécie peu.

Kuad’s Max-Jack : Il est vrai que les renards sont des êtres fourbes, Kuad’s ne déroge pas à ce cliché… Il s’attachera vite à toi aussi, mais fais tout de même attention à ses agissements. Mis à part ça, ce renard est le chef de cette cité, il détient personnellement l’auberge dans laquelle il vous a amenés. (C’est un cousin éloigné des ours)

Montaku Loser-Jack : Le premier ours que tu as rencontré avant ton coma, malgré les apparences, il est adorable ! Le boulot familial ne facilite pas leur joie…

Matania Loser-Jack : Jumelle de Montaku, elle est tout aussi adorable qu'elle n'y paraît. Honnêtement, tu pourras la considérer comme une mère elle aussi…

Mitognia Loser-Jack : Aîné de la fratrie. N’aie crainte de lui, il t’apprendra sûrement beaucoup. Inexpressif et renfermé sur lui-même, tu le comprendras avec les années ne t’inquiète pas.

ps : Ce manoir à des ménagères. Tu les croiseras rarement, ou même jamais. Ne t’inquiète donc pas du nettoyage, il sera réalisé. Si tu tiens à ce que quelque chose ne soit pas astiqué, laisse une note le spécifiant, elles en tiendront compte pour sûr ! »

Les pages suivantes furent remplies de traits. Il reconnut soudain leur usage : « c’est un plan du manoir… »
On y trouvait sa chambre, le chemin qu’il avait emprunté, les bains, les salles alentour. Tout était détaillé, laissant Capy émerveillé, ne pouvant imaginer l’immensité de ce logement quant à la taille des pièces toutes aussi grandes les unes des autres.

À peine avait-il survolé le plan que la porte s’ouvrit de quelques centimètres.
« Le repas sera prêt dans quelques minutes, alors viens s’il te plaît. »
L’enfant n’eut le temps de répondre, son interlocutrice avait déjà disparu et la porte s’était refermée. Il reposa avec soin le carnet et courut dans le couloir, apercevant alors le dos de Matania avant qu’elle ne disparaisse au tournant. Souhaitant la rattraper, il courut aussi vite qu'il put, puis sauta en avant avant de se transformer. Boum !
Capy heurta le sol et roula sur plusieurs mètres. Pour la première fois, il n’avait pas pu se changer en loup.
« Mon corps est encore sous le choc ? » songea-t-il. Il essaya une nouvelle fois. Même résultat. Il avait tout de même réussi à sortir et faire disparaître sa queue et ses oreilles ! Perturbé par les soudains événements, il continua sa route, encore sonné par les chutes.
Passant les intersections une à une, Capy arriva devant une haute et large entrée. Une salle commune au moins trois fois plus grande que sa nouvelle chambre se découvrit alors. Une longue table de bois s’allongeait au centre de la pièce, le plus étonnant fut la simplicité de cette table et des vulgaires bancs qui l’accompagnaient. Tout ceci ne montrait en aucun cas la richesse du lieu.
Sa sœur, ainsi que tous leurs nouveaux compagnons, étaient présents, à l’exception de Matania. Cette dernière sortit d’une pièce, au fond, avec trois grands plats dans les bras.
« Servez-vous ! s’exclama-t-elle en les déposant sur la table.
— N’hésite pas à venir t’asseoir, déclara Mitognia à Capy.
— Je n’avais même pas remarqué sa présence ! s’étonna Montaku.
— Tu te ramollis, répliqua le premier.
— Cela ne servirait à rien de se disputer sur ce point, il a du potentiel après tout ! Je ne l’avais pas senti non plus ! » ricanna le renard, l’air intrigué et le regard brillant.
Jordy tapota la place adjacente en maintenant le regard avec l’enfant. Ce dernier venu sans hésiter, une place entre sa sœur et sa nouvelle acolyte, quel pouvait être le problème ?
La première partie du repas se passa dans un espace apaisant : plaisanterie, chamailleries enfantines, bonne nourriture... Une chaleureuse ambiance familiale.

Tous ayant alors fini le plat de résistance, Ennebelle ne s’empêcha de questionner ses hôtes.
« On m’avait promis de répondre lorsque tout le monde serait présent ! C’est maintenant le cas.
Comment gagnez-vous votre vie ?
— Comment on obtient de l’argent ? hésita Matania.
— Exact, quel est votre petit business !
— Ça dépend déjà de la renommée de la personne, répondit Mitognia sans détour.
De ses aptitudes, de sa taille, d’un peu tous les facteurs la décrivant…
— Plus sérieusement, on fait disparaître certaines personnes aux bons vouloirs d’autres… On peut dire ça comme ça ? tenta d’expliquer Montaku en regardant sa sœur.
— C’est approprié de dire ça oui… affirma l’ourse gênée.
— Ai-je bien compris ? » questionna Capy.
Le renard demanda l’accord d’un regard vers Matania, qui ne semblait guère vouloir dire à hautes voix leurs méfaits devant ces enfants.
« Ils tuent des gens. Ce sont des tueurs à gage. On nous paie pour faire disparaître les gens, c’est plus clair maintenant ? déclara Kuad’s sans scrupule.
— Honnêtement… pas étonnant, répondirent les jumeaux en presque harmonie.
— Un problème de réglé, tu vois ? » conclut le renard, fixant l’ourse.
Elle semblait perdre ses moyens, le calme des enfants la dérangeait presque.
« Pourquoi êtes-vous si calme ? questionna-t-elle en retrouvant son sang-froid.
— Activité sûrement peu recommandée, mais on est né sur Haruna, alors qu’est-ce qui n’est pas moins normal que d’être entouré de tueurs ?
— Vous m’avez annoncé que notre mère était morte il y a seulement deux jours personnellement… Ce n’est pas grand chose à côté. »
Un silence s’installant, Matania décida de débarrasser.
« Comment ça se fait que tous la connaissait ? » questionna Ennebelle.

Continuant sur leur lancée, les quatre personnes restantes se mirent à parler en même temps, ce qui eut pour effet de créer un pur charabia aux oreilles de l’enfant.
Chacun lança un regard aux autres, créant un silence, puis ils reprirent un à un.
« Elle m’a sauvé bien avant que je ne pose les pieds sur Haruna. Nous étions encore au sud-ouest de Sacfe ! répondit Jordy, l’air enthousiaste.
— Sacfe ? La plaine ? demanda Capy.
— Exact, je suis arrivé sur Haruna par bateau il y a quinze ans !
— D’accord, acquiesça-t-il.
— J’en ai d’autres souvenirs lorsqu’on sait qu’elle a détruit la cité à plusieurs reprises… s’exaspéra Kuad’s.
Cela dit, elle m’a toujours remboursé jusqu’au dernier sou ! Ça se fait rare…
— Elle a effectué des contrats avec nous, dit Montaku, levant la patte, enfin… principalement avec lui, continua-t-il en désignant son frère.
— Elle a failli nous tuer aussi, dit sèchement ce dernier.
— On a essayé l’inverse ! s’exclama Matania, de retour à sa place.
— Brièvement, elle a aidé beaucoup de gens, a participé à la vie de cette cité, l'a détruite, paie toutes ses dettes… C’est pour ça que la plupart des gens la connaissent ici. »
Un blanc se fit, laissant chacun se remémorer ses souvenirs d’antan.
« J’ai aussi des questions si vous le permettez, demanda Kuad’s, intrigué.
— Hein ? Pardon, oui ? s’interrogea Capy, sortit de son papillonnage.
— Où avez-vous vécu, cachés jusqu’à maintenant ?
— À Mitgri ! s’exclama Ennebelle.
— Mitgri ?
— C’est notre maison. Plutôt petite face à l’immensité de cette pièce ceci dit…
— Quel genre de pièce se trouve dans une telle maison ? s’intrigua l’excentrique goupil.
— Deux espèces de blocs, sans aucune ouverture extérieure. Un premier entièrement en glace enchantée, et un second recouvert intérieurement de planches de bois. Cette dernière nous servait de bureau et de bibliothèque, on y accédait via la mezzanine de la pièce principale, dans laquelle on avait de quoi accrocher proies et autres denrées. Nous avions une station d’alchimie aussi ! Quelques rangements…»
Kuad’s s’esclaffa, avec son rire si singulier.

« Elle n’avait pas changé ! C’est fou ! Toujours aussi bien organisé et minimaliste, peu importe le lieu.
Si vous n’aviez pas remarqué, les enceintes de la cité sont faites de cette même glace ! On en dirait presque du marbre avec les lueurs permanentes, mais c’est bel et bien de la glace maudite.
— Intéressant, mais comment obtient-on un tel élément ? demanda aussitôt Ennebelle.
— Ça, c’est un des grands secrets de ta mère. Aucune piste sur le fonctionnement d’un quelconque rituel permettant d’en obtenir.
— Vous êtes maudits aussi ?
— En tant que « propriétaire » oui, on peut se permettre des modifications à la surface, répondit Kuad’s intrigué.
— Attendez ! Nous sommes maudits ? coupa Capy.
— Tu ne savais pas ? Lorsqu’on a gravé Mitgri, nous y étions autorisés, ça revient à dire que la matière et ses propriétaires sont maudits ensembles. C’est une sorte de pacte permettant de modifier l’élément, il revient à sa forme d’origine sinon, dit sa sœur.
— Donc la cité ne peut plus être détruite ?
— Exact ! Sinon elle serait tombée depuis bien longtemps je pense, ricanna l’excentrique goupil.
— Je vois… Vous pouvez continuer.
Oh si ! Pendant que nous sommes dans des discussions pleines de sens, je n’arrive plus à me transformer, finit Capy en soupirant.
— Tu as essayé plusieurs fois ?! s’affola sa sœur.
— J’ai tout essayé dans le couloir. Je peux tout de même sortir ma queue, mes oreilles, mes crocs, mais pas me transformer intégralement.
— Montaku, veux-tu bien me rappeler comment les garous fonctionnent s’il te plaît ? Je n’en côtoie plus assez pour m’en souvenir, » questionna Kuad’s.
Montaku regarda les jumeaux, ils mirèrent l’ours en retour qui commença alors à parler.
« Vous m’arrêtez si je me trompe. »
Capy et Ennebelle hochèrent la tête.
« On peut classer les garous avec quatre stades de transformation — une première à forme humaine — une seconde où certains émergent aux choix leur queue, leurs oreilles ou encore leurs crocs ou museau — une…
— Le museau peut être classé en demi-stade, c’est un plus que certains ont, coupa Capy.
— Je vois. Le troisième stade est une forme animale ayant une ressemblance avec les hommes-bêtes — et pour finir un quatrième stade étant une forme purement animale, pour vous : des loups.
— Tu résumes bien la chose, conclut Ennebelle.
— Actuellement, je bloque après la seconde. Impossible d’atteindre la dernière, souffla Capy.
— Je vais chercher, dit Kuad’s, je te laisse une semaine pour te remettre et réessayer autant de fois que nécessaire. Si tu bloques toujours d’ici là, on avisera. »
Le renard semblait persuadé d’une chose, mais n’en dit pas plus.

Le repas avait duré plusieurs heures dû aux longues explications. Tous étaient ensuite retournés à leurs occupations. Ne restait alors plus que Jordy, Capy, et Ennebelle, toujours assis sur le banc.
« Tu comptes faire quoi ? demanda Capy à sa sœur
— Je vais repartir au labo, ils ont un énorme espace juste pour les expériences. Tu devrais venir voir un de ces jours.
— J’y penserai. »
Jordy s’était endormie contre la table, attirant les regards des jumeaux.
« Je m’occupe d’elle, tu peux y aller. Fais attention avec tes concoctions !
— Et toi, fais attention avec elle, » répondit Ennebelle en partant sans même dénier les regarder.
« Elle est un peu jalouse, il faut l’avouer, » gloussa Capy, qui s’installa contre Jordy, avant de s’endormir à son tour.

—!—

Le réveil dans son lit fut agité. Ne s’était-il pas endormi à table ? Capy se sentit observé et regarda dans la direction supposée. Jordy était assise, la couette sur les genoux et sa tête posée dessus, rouge de honte, elle fixait Capy.
« Tu peux rester là, fit l’enfant avant de se rendormir.
— Ils… m’ont laissé… avec lui… »
La jeune femme se rallongea au bord du lit, tentant de s’endormir elle aussi. Deux petites mains vinrent s'agripper à elle, la laissant aussi éveillée qu’en plein jour.

—!—

Capy se réveilla à nouveau, dans les bras de sa servante, qui s’était enfin endormie. Il se déplaça lentement pour descendre du lit et se dirigea ensuite vers les bains en quittant sa chambre. Après trois mauvais choix, il ouvrit enfin la bonne porte. Il réitéra ensuite les actions de la veille jusqu’à se laisser tomber dans le bassin. Capy se concentrait sur tous les éléments qu’il avait découverts les jours précédents, et testait son apnée dans le bassin. Retenant sa respiration jusqu’à ne plus pouvoir, il ressortait parfois la tête de l’eau pour la reprendre.

La sortant une fois de plus, il y découvrit les deux ours qui s’étaient introduits dans les bains peu de temps avant. Ces derniers furent épouvantés à la vue de l’enfant.
« Ce gosse me fait peur ! On ne ressent pas sa présence, fit Montaku en posant la patte sur son cœur.
— Salut… hésita Capy, comment ça vous ne ressentez pas ma présence ?
— On ressent la présence des gens dans un périmètre. L’habitude et l’entraînement permettent de la camoufler de multiples manières. On peut aussi percevoir l’aura de certaines personnes, expliqua Mitognia.
— Ça à l’air compliqué, s’intrigua Capy.
— On t’entrainera si tu veux ! répliqua Montaku.
— Elle va nous tuer si on fait ça, coupa son frère.
— Matania ? demanda l’enfant.
— Tu comprends vite. On ne peut pas vous faire faire de bêtise sans son accord, on risque des représailles si vous vous faites mal. Je propose donc que nous attendions quelques années, si elle accepte, et si tu le veux aussi bien entendu, on pourra t’entraîner ! Tous sauf la magie, c’est pas notre domaine ! »
Les garçons continuèrent de parler durant un moment.

Capy, sorti lui aussi des bains, était encore recouvert de sa serviette en fait taillée pour les ours : « Ça explique leur si grande taille. »
Arrivé dans sa chambre, il se rhabilla, lu quelques livres présents dans la bibliothèque, assimila les nouvelles choses qu’il avait apprises...

—!—

La semaine était rapidement passée, les enfants s’étaient adaptés à leur nouveau quotidien. Brièvement tout se déroulait à merveille, exception faite de l’incapacité de Capy à se transformer : « C’est aujourd’hui qu’il doit m’annoncer ses plans », pensa l’enfant.
Kuad’s avait attendu que tous aies fini de déjeuner, il déclara alors à Capy :
« Bien, à nous ! On va discuter de certaines choses d’abord.
— Je ne peux plus me transformer qu’au deuxième stade.
— Tu peux tout de même faire émerger tes oreilles, queue, crocs, griffes ?
— C’est bien ça.
— Tu m’accordes ta confiance si je te propose d’effectuer un rituel ? hésita le renard.
— Ai-je vraiment le choix ? répondit l’enfant désespéré.
— Évidemment que tu as le choix !
— Le rituel consiste en quoi ?
— Il a été créé pour déceler la présence de malédiction chez les condamnés, histoire de savoir s’ils étaient sous emprise ou non.
— Tu penses que je suis maudit ? désespéra Capy, qui pleurait d’un œil malgré son sourire crispé.
— Ce n’est qu’une supposition ! Mais je préfère vérifier.
— Je dois m’attendre à des douleurs ?
— Possiblement de légères oui. Tu auras aussi la marque de ta malédiction si c’est le cas.
— Qu’a-t-on besoin pour commencer ?
— Matania doit toujours être dans la cuisine, reste à l’entrée et demande lui du sang de ver pour un rituel, elle comprendra. Reviens ici avec le bocal et j’arriverai avec le reste. »
Le renard se faufila dans le couloir comme à son habitude. Capy, lui, se dirigea vers la porte de la cuisine, il avait toujours vu l’ourse en ressortir avec de grands plats de nourritures. Malgré ses interrogations sur l’envers de cette porte, il ne l’a franchi pas et ne l’ouvrit que de quelques centimètres afin d’appeler la maîtresse des lieux.
« Matania ? Pourrais-tu me donner un bocal de sang de ver ? Kuad’s en a besoin pour un rituel.
— J’arrive après avoir nettoyé ça ! »
L’enfant referma la porte et attendit. Il se laissa glisser contre le mur afin de s’asseoir au sol.

Une dizaine de minutes s’étaient passées lorsqu’il s’aperçut que deux bocaux en verre hermétiquement fermés étaient placés à sa gauche. « Quand me les a-t-elle apportés ? » Se levant alors pour récupérer les récipients, il vit Kuad’s revenir les bras chargés d’une bassine remplies de pierres aux couleurs multiples, de pinceaux de différentes tailles, d’une toile, ainsi que d’un livre. Il déposa le tout sur la table. Capy, assis sur le banc, regardait l’excentrique goupil préparer ses manigances. Il déroula la toile sur le sol. Elle était brodée de neuf cercles au total. Dans chacuns, il plaça une pierre — jaune, orange, verte, bleue, blanche, rouge — puis une violette. Le renard trempa ensuite un pinceau dans un des bocaux de sang de ver et repassa sur les broderies. Il repassa l’intégralité sans relevé le pinceau : « Sacrée dextérité ». Ouvrant alors le livre qu’il avait amené, il regarda enfin l’enfant et s'arrêta sur une page sans daigner la regarder. Il jeta une pièce d’or dans le cercle central et chuchota : « Crespa… »
Le renard fit signe à Capy de se placer en ce centre. Ce qu’il exécuta sans détour.
« Nenta lafracta liete mentuis » lu Kuad’s à voix basse. Il claqua des doigts au-dessus du cristal orange. Ce dernier s’enflamma d’un brasier violet, qui vira au verdâtre.
Rien ne se passa l’instant d’après. Violemment les attributs canins de Capy sortirent de force. Des flammèches apparurent dans le bas du dos de l’enfant, qui s’effondra à genoux sous la douleur — on aurait dit qu’il était écrasé par une pression externe.
Plusieurs minutes passèrent avant que les flammèches ne disparaissent. L’enfant s'écroula, inconscient.
« Il n’a pas crié… Pas une seule fois il n’a lâché, ne serait-ce qu'un son !
Qu’est-ce que c’est que ce monstre… chuchota-t-il. »

Quelques heures s’étaient écoulées entre le rituel et son réveil. Capy avait les griffes plantées sous la table à laquelle les autres l’avait assis. En ouvrant les yeux, il aperçut le renard — il était assis sur la table, les pattes tombantes sur le banc, il feuilletait le livre qu’il avait utilisé précédemment.
À la gauche de l’enfant était installé Jordy, elle aussi assise sur la table. Elle était avachi, une main sur celle de Capy, l’autre bras calant sa tête, regardant vers l’enfant.
« Ça va ? hésita-t-elle.
— Pas tellement… répondit-il en décrochant ses griffes de la table.
— Ce gosse est fou, ajouta sérieusement Kuad’s.
— Qu’est-ce que j’ai fait ? désespéré l’enfant.
— Pourquoi t’as pas encore gueulé !?
— Les gens crient de pareilles douleurs ?
— Te rends-tu seulement compte de ce que tu as vécu ? demanda Jordy.
— J’ai bien senti la douleur, merci, ironisa Capy.
— Je n’en doute pas…
— C’est peut-être encore violent pour le moment mais peut-on regarder l’état de ton dos ? questionna le renard nonchalamment.
— Au point où nous en sommes, ai-je vraiment le choix ?
— Tu auras toujours le choix ici, répliqua Kuad’s.
— Vas-y, regarde. »
Jordy glissa doucement de la table et s'accroupit dans le dos de l’enfant. Elle souleva la tunique de ce dernier avec douceur. Capy était cependant brûlé, il planta à nouveau ses griffes dans la table, de plus en plus profondément tandis que l’habit se soulevait.
« Il a bien la marque. Ça devrait disparaître dans les jours qui suivent, fit Kuad’s nonchalamment.
— Une marque ? questionna le porteur.
— La marque des maudits, oui. Elle apparaît durant le rituel si tu l’es et disparaît dans la semaine.
Si je peux me permettre, la tienne a un joli motif !
— Elles sont toutes différentes ?
— Aussi différentes que leurs porteurs.
Maintenant, plus qu’à se reposer !
— J’y compte bien.
— Veux-tu de l’aide ? questionna Jordy.
— Volontiers.
— On se voit plus tard, fit Kuad’s en partant.
— C’est bête, mais j’ai vraiment une belle marque ?
— Pour en avoir vu quelques-unes, c’est vrai que la tienne est intéressante ! répondit-elle, enjouée par la question.
— Dit comme ça, je ne sais quoi en penser…
— Tu verras par toi-même dans les reflets !
— Commençons déjà par se coucher dans un lieu adapté.
L’enfant, appuyé sur sa servante, s’aventura dans les longs couloirs de ce manoir, jusqu’à avoir rejoint la chambre du garçon. Il s’écroula sur son lit à peine arrivé devant.

—!—

(NDA : La partie 2 et 3 n'ayant pas eu de double correction, je m'excuse des fautes bêtes pouvant être encore présentent. Mais je tenais enfin à publier tout cela !)

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