réponse à "une femme étranglée"

de Image de profil de muriel Maubecmuriel Maubec

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Image de couverture de réponse à "une femme étranglée"

(Un bout d'intrigue avec les personnages de Western, Bonanza)

Pendant ce temps, sur la piste, à quelques miles de Ponderosa.

Henry Dexter et Joe Cartwright arrivent en vue du ranch. Matin frais dans le ciel du Nevada. Personne sur la piste, évidemment. Pas un bruit, deux oiseaux de proie qui tournoient dans l'immensité bleu-gris de la plaine caillouteuse et désertée. Pas un souffle de vent, et toujours la poussière qui se soulève sous les sabots ferrés des chevaux.
Henry et Joe parcourent les derniers yards qui le séparent de l'imposante structure de bois. Ils mettent tous deux pieds à terre, Henry grimace quand sa jambe heurte la selle. Sa blessure a été bien soignée, ça va guérir, mais la douleur est vive. La veille il a été obligé de se tirer une balle dans le pied, parce qu’un crotale avait attaqué sa botte. Par chance le cuir l’avait protégé mais la balle avait fait des dégâts.
« Joe, j'ai un pressentiment, regardez, la porte est ouverte.
Ni une ni deux, Joe dégaine, à l’affût.
« Je vais passer par le côté. »
Henry n'est pas armé. Il boitille, mais parvient à se mettre à l'abri près de l'abri à bois, de l'autre côté du ranch.
Joe tente le tout pour le tout. Il tire un coup de feu. Au moins savoir à qui ils ont à faire et si la maison est vide. Son tir fait exploser les carreaux de la fenêtre, Joe attend, pas de riposte. Il fait signe à Henry de s'avancer.
Henry sort de sa cachette et se dirige vers sa maison. Il monte lentement les marches de bois qui craque sous ses bottines. De sa main, il pousse la porte peinte à la chaux.
« Mère ? »
Pas de réponse. Une réelle inquiétude s'empare de lui maintenant. Il explore chaque pièce : la salle de séjour, la cuisine, le sellier , tout est impeccablement rangé. Sa chambre également et la pièce qui suit, pas encore terminée, qu'il destine à devenir la nursery. Rien n'a été déplacé. C'est très étrange. Et sa mère qui ne répond pas. Pour sûr il a dû se passer quelque chose. Il ressort de sa chambre. Dans sa poitrine, son cœur fait des bonds à n'en plus finir. La seule chambre qu'il n'a pas explorée, c'est celle de sa mère. Il ferme les yeux, essaie de chasser les images sombres qui déjà s'y amoncellent. En fils bien élevé, il frappe à la porte, espérant encore que la voix dure et tranchante de sa mère lui répondra. Non, faux espoir, seul le silence. Henry pose la main sur la poignée en laiton et porcelaine fleurie. Retenant son souffle, il avance le pied et pousse la porte. La pièce est plongée dans une semi-obscurité; un des volets est fermé; l'autre entrebâillé, dans un mouvement suspendu, interrompu. Le lit n'est pas défait. La lampe posée sur la table de nuit s'est éteinte; réserve d'huile épuisée. Petite mèche noircie.

***
Il l’aperçoit, une forme noire au sol, il s'avance, le cœur battant à tout rompre dans la poitrine. Terrifié par ce qu'il croit reconnaître. Il se fige, porte la main à sa bouche, mais pas un son ne sort. C’est bien sa mère qui est allongée par terre, oui, il n’y a pas de doute. Il se baisse, pose la main sur son cou, s’arrête un instant sur la marque bleue foncée sur la peau, il recherche une pulsation. Rien, il lui prend la main. La main retombe sur le corps sans vie. Il lui soulève la tête, délicatement. C'est poisseux, il retire sa main. Il y a du sang dessus. Sa mère, étranglée, a une vilaine blessure derrière la tête. C'est fini, il n'y a plus rien à faire. Il ne sait pas quoi faire. Il s’assoit sur le lit et se prend la tête à deux mains. Il a les jambes qui tremblent, prises d'un tremblement incontrôlable. Il a le cœur au bord des lèvres, il porte ses mains à sa bouche. Il a envie de vomir. Il faut qu'il aille se laver les mains.

il se relève, saisi d'horreur, d'effroi. Il porte ses mains à son front, se retourne, bute dans le lit et sort de la chambre. Il s'accroche au montant de la porte, tellement il est chancelant, il a le souffle court. Il traverse le couloir, descend les escaliers. Brrr patatras. Le voilà qui débaroule dans les marches. Il se relève et repart. Il ne voit pas Joe qui vient vers lui.

« Hé Henry, qu'est-ce....

Henry heurte Joe de plein fouet, les yeux ailleurs.

« Qu'est-ce qu'il y a ? »

Henry ne répond pas. Il se retourne et tend la main vers les escaliers; vers l'étage. Il tend sa main droite, sa main tachée de sang.
« Mais Henry, votre main ! »

Henry ne dit rien, il se laisse glisser le long du mur. Joe, armé, se précipite à l'étage. La porte ouverte attire son attention, Joe se glisse dans le couloir, arrivé à hauteur de la porte entrouverte, il s'arrête et prend une profonde respiration. Il hésite à entrer, se demandant ce qu'il va trouver.
Il voit.

***
« Henry, venez, on part, il faut prévenir le shériff ! »
Henry répond machinalement, son cerveau fonctionne au ralenti. Ses instincts d'homme de loi tardent à refaire surface. Il est avocat, il connaît les procédures : enquête, circonstances, ça lui parle. Et pourtant le voilà incapable de fournir cet effort violent, pour se redonner une composition et sortir de son abattement. Où trouver l'énergie que nécessite l'action ? Comment se mouvoir quand on vient de basculer dans l'horreur la plus ignoble, la plus immonde. Il a le sang de sa mère sur lui, sur les mains....
***
Comment est-il monté à cheval ? Comment a t-il parcouru les miles qui les séparent de Virginia City, il n'en sait strictement rien. Lorsqu'il pénètre dans le bureau de Roy Coffee avec Joe à ses côtés, il a retrouvé un semblant de calme. Un semblant seulement, car il est au bord de s'effondrer. Il y a cette nausée qui lui remonte incessamment aux lèvres; cette vague d'horreur qui menace de le submerger.
« Oh bonjour Joe, monsieur Dexter; qu'est-ce qui vous am… ? »

Joe abrège les salutations. En quelques phrases brèves et sèches, Joe fait comprendre à Roy qu'il doit le suivre.

« On t'expliquera en route.... »

*** dans le ranch des Dexter

Regroupement silencieux autour du corps de la victime. Regards consternés; maladresse des hommes autour de ce corps de femme livide. Henry plongé dans une profonde détresse regarde Roy soulever le corps et le poser sur le lit, sur lequel son adjoint à pris soin de déposer une couverture. Tâche de sang sur le plancher; Henry détourne les yeux. Rien, personne ne sait rien de la macabre scène qui s'est déroulée ici. Le froid de l'horreur transperce le pauvre homme de loi. Cloué sur place, oui, cloué sur place en contemplant le sang séché sur le plancher et le corps froid de sa mère. A peine l'a t-il touchée pour recouvrir sa bottine; ne pas laisser apparaître la cheville ou... Pourquoi ? Décence inavouée, geste tendre envers celle qui n'avait jamais été aimante. Cette fin horrible vient-elle effacer la douleur des années sans amour ? Même une sans cœur ne mérite pas une telle fin. Et c'est ce qui taraude son esprit; tandis que Roy interroge des yeux l'espace de ce huis-clos assourdissant de malaise et de questions en suspens.

« Monsieur Dexter, votre mère était seule à la maison ? »

- Oui, euh oui, j'ai passé la nuit à Ponderosa chez les Cartwright. J'ai quitté le ranch vers 21h00. »
Joe acquiesce.

« Et ça , qu'est-ce que c'est ? »

Roy tient dans sa main un bout de papier.

« Je l'ai trouvé dans la main de votre mère. Elle le serrait dans son poing. Un bout de papier déchiré; avec juste écrit dessus : chambre 9, grand hôtel, Virginia City.

« Ma mère ne m'a pas dit qu'elle avait loué une chambre; elle venait de s'installer dans cette pièce, chez nous; Nous sommes allés dîner au Grand Hôtel, mais elle ne m'a pas dit qu'elle dormait en ville.

***plus tard

Hank Peterson, le fossoyeur, arrive au ranch des Dexter. Il vient chercher le corps de Mme Dexter. Henry assiste à la levée du corps. Il n'arrive pas à poser la main sur celle qui n'est plus. Sentiments figés, comme éteints en lui. Insensibilité, protection ? Elle n'a pas su aimer. Il est atterré par l'horreur du geste, par le danger débarqué dans sa vie. Quelqu'un a étranglé sa mère et l’a projetée au sol avec force. Qui ? Qui peut faire une chose pareille à une vieille dame ? Et puis pourquoi ? Rien n'a disparu dans la pièce. Bijoux sur la table; bourse bien en évidence sur le lit; broche précieuse épinglée sur la cape de velours. On n'assomme pas quelqu'un sans un motif crapuleux; ne rien lui prendre, à part la vie; cela dépasse l'entendement ; surtout dans ces contrées où la richesse attire les convoitises.

Le plancher craque sous le poids des personnes qui entrent. Les Cartwright prévenus par Joe pénètrent dans la pièce; mine contrite et chapeau à la main. Le père aux tempes grise, Benjamin Cartwright, suivi de ses deux fils, Adam et Hoss. Ils sont accompagnés de Joan, l’épouse de Henry. Ben s’approche de Joe et lui demande, d’un regard, s’il va bien. Joe hoche la tête en silence. Il racontera, plus tard.

Sans un mot ils avancent. Joan, pâle, dans sa longue jupe gris-bleutée et son chemisier blanc fermé par huit gros boutons de nacre. Ben qui a passé une veste sur sa chemise de lin couleur crème. Et Joan ose le geste que Henry n'espérait plus. Elle pose sa main gantée sur l'épaule de son époux. Henry frissonne, ce geste l'apaise. Elle incarne à ce moment la bonté et la tendresse. Comment ne pas évoquer la maternité, elle est là auprès de lui; elle le console; elle vient soigner une vilaine blessure. Elle ne parle pas mais le langage de ses yeux est sans équivoque; limpide, il signifie je suis là, je suis avec toi, je suis là pour toi. Ben s'avance aussi, ne pouvant détacher son regard de ce petit bout de femme; qui au delà de sa propre peine, offre du réconfort à celui qui lui a fait mal. Elle est la femme à qui on a menti. Elle voit différemment, elle réinvente l'amour, en en faisant l'amour tendresse, l'amour compagnie, l'amour soutien. Elle ne veut plus rien savoir, ne veut plus penser à ce papier. Pardonné, aurait-elle pardonné ? Ben n'en sait rien. Il ne peut pas en savoir plus. Elle est là dans un geste tendre; comme une parenthèse dans un chapitre pénible. Comme une respiration différente dans ce moment d'égarement où se perdent les souffles de deux vies unies.

***même jour, en fin d'après-midi.
Virginia City, derrière la maison chapelle, réservée au culte, un espace ombragé par des pins dans lequel reposent tous ceux qui ont cessé de vivre.
Hoss et Joe, pelle à la main, terminent de creuser une fosse pour le cercueil de la défunte. Ils ont pris soin d'ôter leur veste; qu'ils ont laissé dans le chariot...
Henry arrive. Redingote noire, pantalon rayé, chemise claire à fines rayures blanches et grises, gilet gris cintré sur lequel pend une chaîne en argent, la chaîne d'une montre rentrée dans la petite poche sur la droite du vêtement. Ses yeux sont gonflés, cernés, un peu vide aussi. Vestiges des nuits sans sommeil et de l'alcool des derniers jours. Les larmes ? Pas vraiment, Henry n'en a pas versé : ni sur son mariage détruit, ni sur la dépouille de sa mère. Elles sont sans doute toutes là, sous ses paupières; vont-elles s'écouler ?

Derniers coups de pelle, poussière qui s'envole au dessus du monticule sous lequel repose Mme Dexter. Joan qui dépose des fleurs; bouquet de marguerites, chaque pétale comme une larme blanche sur un cœur en or. Et Henry qui s'avance; avec dans ses mains un panneau de bois sur lequel sont gravés ces simples mots :

Ici repose Eugénie Sue Dexter, décédée le 23mars 1857.

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épilogue

On apprendra plus tard, lors du procès, que Mme Dexter avait été la complice d’un affreux bandit. Celui-là, expert en faux, avait établi un faux certificat de mariage, annonçant que son fils était déjà marié, avant d’épouser la jeune Joan. Ce qui avait ruiné le dit mariage. Mais il y avait une autre fausseté. Mme Dexter avait été victime d’un assassinat et d’une usurpation d’identité. Henry n’avait point été choqué, car il avait quitté sa mère bien longtemps auparavant et il avait été abusé. Henry sera poignardé quelques jours plus tard et le coupable, Marchildon, sera pendu pour triple homicide, c’est lui qui avait tué la vraie mère d’Henry, l’usurpatrice et Henry.

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En réponse au défi

Une femme morte étranglée

Lancé par fleur rose

Bonjour à tous, je vous propose un nouveau défi. Imaginez une scène où une femme est étranglée pourquoi méritait-elle un tel destin ? Maintenant, c'est à vous de raconter !

Bonne chance !

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