Elle dépose un baiser sur ma joue et je la regarde s’éloigner. Instinctivement, je suis sur mes gardes. Je ne joue peut-être plus, mais je crains l’issue de ce match invisible sur le point de se jouer entre l'homme qu'elle rejoint et moi.

Un simple chignon découvrant sa nuque, une robe sobre et discrète, toujours à l’écoute des autres et résolument fidèle, Claudia demeure pour moi le modèle de l’épouse parfaite. Elle m’a happé alors que je me laissais entraîner dans le tourbillon des séductions faciles, multiples et sans lendemain. J’adorais attirer l’attention de la gente féminine, percevoir le trouble que je provoquais, les bégaiements, les joues roses, les sourires, le croisement incessant de leurs jambes… Je consommais sans modération en me noyant volontairement dans les plaisirs des rencontres que je contrôlais entièrement... J’affinais mes connaissances dans les subtilités du langage corporel... J'étais maître de la situation... Je me sentais puissant... J’étais un prédateur.

Mais le mariage a eu raison de ma fougue en m'offrant le bonheur de me réveiller chaque jour aux côtés de cette sublime jeune femme. Aucune tentative de séduction, ni d'approche chaloupée soulignant des courbes avantageuses. Pas de comportement déplacé, ni de vie dissolue. Elle m’est immédiatement apparue magnifique et, avouons-le, presque irréelle de modestie. Et mon choix s’est imposé de lui-même. Elle m’a même donné des enfants.

Je l’observe plaisanter avec un ami. Elle le regarde du coin des yeux, la tête légèrement penchée sur le côté, comme s’il était le plus charismatique des hommes de cette planète. Peut-être est-elle attirée par son humour ? Après tout, je ne suis pas parfait. Elle m'a littéralement capturé, alors que je dévorais une à une mes proies faciles. Succombera-t-elle un jour au charme d’un bel Apollon sorti tout droit d’un magazine ? Par quel moyen accorder ma confiance à celui dont je connais l’ancrage actuel dans le célibat qui fut mien ?

Dans un éclat de rire cristallin et spontané, Claudia s’illumine alors davantage, une main posée sur le bras de cet homme. J’ai soudain peur qu’elle finisse par me repousser, chaque jour un peu plus, au profit de celui qui admire son œuvre. Il ne cache pas son intérêt et je commence à bouillir. Par fierté, je n’en montre rien, mais ma vigilance s’accroit. Qui est-il pour agir ainsi en toute impunité ? Cessera-t-elle bientôt de lui sourire avec cette béatitude qui conforte son égo ? Suis-je en train de m’égarer dans ce ressentiment qui accompagne la peur de perdre ? Nous nous sommes unis. Pour la vie ? Ou jusqu’à ce qu’un autre vienne la secourir dans sa tour d’ivoire pour lui procurer à nouveau les grands frissons des débuts ? Comment m’y retrouver dans ce face à face que je ne domine pas ? Qui sait si, un jour, elle lui cèdera ? Je connaîtrais alors le sort imposé à toutes mes conquêtes passées… Non, Claudia ne m’a jamais floué ; je l’aurais deviné aisément… Quoique…

La nervosité s’emparant de tout mon corps, et très vite de mon esprit de compétition, je décide de m’approcher de mon rival et, ainsi, marquer mon territoire en me joignant à leur conversation visiblement hilarante. Ma main posée dans le creux du dos de ma femme, je plante littéralement mes yeux dans ceux de mon adversaire désigné, souriant de toutes mes dents. Je viens d’entrer sur le terrain… Sans attendre, Claudia en profite pour aller se servir un autre verre…