Carmen était assise à la terrasse du café des Embruns, elle attendait sa sœur Léonie de deux ans sa cadette.

Mais comme à son habitude, celle-ci était en retard.

Carmen avait promis à Charly son mari de faire des efforts mais c’était plus fort qu’elle, dès que Léonie apparaissait, les vieilles rancunes refaisaient surface et leurs discussions tournaient invariablement au vinaigre.

Une rivalité qui datait de la nuit des temps, depuis que Léonie avait séduit Mario qu’elle avait fini par épouser.

Carmen avait débuté des études de médecine arrêtées brutalement par le décès de leur mère dans un tragique accident de voiture. C’était une femme de caractère, une battante, qui gérait sa carrière de commissaire de police et sa vie de famille avec efficacité.

Grâce à sa volonté et sa ténacité elle s’était imposée dans un milieu d’hommes et avait rapidement gravi les échelons. Le poste qu’elle occupait n’était pas du tout celui dont elle avait rêvé pendant ses études mais l’ambiance de travail était agréable et c’est là qu’elle avait rencontré Charly son mari et le père de ses deux enfants.

Léonie avait beaucoup mieux réussi sa vie, elle avait épousé Mario, l’ex petit ami de Carmen qui était PDG d’un grand groupe pharmaceutique.

Ils n’avaient pas d’enfants mais passaient leur vie à voyager et à faire la fête.

Carmen émergea brutalement de ses pensées pour observer l’arrivée de Léonie sortant de sa luxueuse voiture avec chauffeur. Elle portait un tailleur chic, élégant et très certainement hors de prix comme elle ne manquerait pas de le faire remarquer au cours de la conversation.

Elle avait le téléphone greffé à l’oreille et continuait de parler tout en marchant.

Elle prit place en face de sa sœur en hochant la tête pour la saluer.

Carmen détestait de plus en plus son comportement exubérant et sa façon guindée de lui parler. Elle eut envie de la gifler puis d’attraper son téléphone et de le fracasser sur le sol.

Elle n’avait plus du tout envie de parler mais la bienséance lui dictait de se calmer et de maîtriser sa colère.

- Tu es en retard reprocha-t-elle à Léonie quand celle-ci eut enfin coupé la communication.

- Bon anniversaire, éluda-t-elle avec effronterie en lui tendant un petit objet enveloppé dans un affreux papier rouge.

- C’était hier mon anniversaire ! mais comme on dit, c’est l’intention qui compte !

- Désolée… mais… ouvre, j’espère que te plaira.

Carmen déchira le papier pour découvrir un magnifique téléphone portable, le modèle qu’elle avait admiré la semaine précédente en vitrine, et voilà que Léonie la vaniteuse venait de lui en faire cadeau.

Elle marmonna un vague remerciement et rangea rapidement le portable dans son sac afin de ne pas montrer à sa sœur que le présent lui faisait vraiment plaisir.

- Nous partons pour un mois en Australie avec Mario…

- Super ! tu m’enverras des photos de kangourous.

Léonie grimaça un sourire en réponse à la réplique acide de sa sœur. Encore une maladresse qui venait d’envenimer la conversation. Elle n’aurait pas dû parler de Mario, mais le mal était fait, elle changea rapidement de sujet pour ne pas embarrasser Carmen.

- J’ai rentré mon numéro de portable dans les contacts du téléphone que je t’ai offert, si tu veux m’appeler…

- Oh ! tu sais, pour tomber sur la messagerie, je ne saurais pas trop quoi dire !

- C’est toi qui vois... je t’offre un verre ?

- J’ai passé tellement de temps sur cette terrasse à t’attendre que j’ai déjà pris un chocolat chaud. Alors à l’année prochaine !

Carmen se leva et quitta le café des Embruns, elle voulait bien faire des efforts mais il y avait des limites à ne pas dépasser.

Léonie la regarda s’éloigner, une larme silencieuse glissa le long de son visage, elle venait encore de tout gâcher. Pourtant elle avait choisi ce cadeau avec le plus grand soin, souhaitant de toute son âme qu’il plaise à Carmen mais ses prières étaient restées vaines.