# 1337 Extrait de dossier - Jour 25
Jour 25
« Condamné 1337, Pablo Buzzati. Vous avez été incarcéré pour séquestration, viol, et meurtre sur la personne d'Anna Vergès, 18 ans. En raison de la gravité de votre crime, et du préjudice porté à la société toute entière, vous êtes maintenant incarcéré depuis 1067 jours.
Mais aujourd'hui, la société vous donne la possibilité de rembourser votre dette envers elle. Au nom du progrès et du bien commun, vous pouvez choisir d'offrir votre corps à la Science.
Si vous refusez de donner votre accord, le Département de Sauvegarde des Mœurs se doit de vous garder enfermé.
Les modalités quant à votre participation aux expérimentations et à votre éventuelle sortie sont les suivantes :
· Injection qui entraînera une perte constante d'agressivité et de sexualité.
· Implantation d'un marqueur à géolocalisation dans le tronc cérébral.
· Nécessité d'une vasectomie, pour que les germes de votre violence ne puissent être répandus de quelque façon que ce soit.
Avant les expérimentations, vous vous engagez à décharger le Département de la Science et du Progrès de toute responsabilité en cas de séquelles temporaires ou irréversibles, ou en cas de décès.
Les détails quant à la nature des expérimentations vous seront donnés dans deux jours standards. Votre réponse sera enregistrée à ce moment, sans possibilité de rétractation.
Vous êtes prié de considérer à sa juste valeur la proposition de réinsertion que la société vous offre. En cas de refus, comme il a été dit, l'accès à la surface vous sera définitivement interdit.
Vous pourrez retrouver les conditions de votre sortie grâce au scripteur numérique.
Fin de la transmission. »
Le robot vient de sortir du plafond. C'est la première fois qu'il parle. Pour la tablette aussi, c'est la première fois. Mais elle a quand même enregistré sa voix. Une voix artificielle, ni masculine ni féminine. Froide. Mais une voix différente de la mienne, enfin !
Je vais relire ses paroles en boucle. C’est étrange de voir d’autres paroles que les miennes gravées par le scripteur.
Ma belle Anna... Tu te rends compte de ce dont ils m’accusent ? Je le savais, que c’était un complot. Mais me mettre un crime pareil sur le dos, ces gens sont cinglés. Notre société est gangrenée jusqu’à l’os pour oser nous faire une telle chose. Non seulement ils nous séparent, mais en plus ils tentent de me briser définitivement en me faisant croire que… Non, je ne veux même pas y penser.
Ce serait toi la responsable ? Tu m’aurais fait enfermer ici ? Pour quelles raisons ? Non… Non.
Ils ont dû lire mon cauchemar. Ils sont au courant du cauchemar horrible que j’ai fait la dernière fois. Ils ont créé tout un scénario autour de ça pour me briser, pour que je renonce. Que je renonce à ma liberté, que je renonce à toi. Impossible. Je t’aimerai toujours Anna. Tant que tu es en sécurité, je serai heureux.
Si seulement tu étais là, avec moi... Tu aurais pu leur dire, toi, que l'on s'aime. Pourquoi n’as-tu jamais plaidé en ma faveur ? Tu m’as abandonné… Mais cela ne change rien à l’amour que j’ai pour toi. Je ne connais pas tes raisons, mais je t’aimerai quoiqu’il arrive.
Non, Anna ne m’aurait jamais abandonné. Nous étions tout l’un pour l’autre. Ils ont dû l’en empêcher. Mon Dieu, j’espère qu’Anna va bien. J’espère qu’ils ne lui ont fait aucun mal…
C'est une certitude désormais. Tout ça n'est qu'une machination. Leur objectif était de m'obliger à leur servir de cobaye. Il doit y avoir quelque chose qui les intéresse chez moi. Je ne sais pas ce que c'est. Mais mon organisme les intéresse. Alors ils ont monté toute cette histoire pour me faire enfermer. J'en suis sûr.
Les paroles du robot sont dans le scripteur, donc. Pour que je puisse réfléchir aux conditions, encore et encore. Le jour de mon Choix est enfin arrivé... C'est étrange. J'ai attendu ce moment, je l'ai tant attendu. Aujourd'hui aurait dû être un jour d'espoir, de libération. Et pourtant je n'arrive pas à me sentir soulagé. Pas après ce dont ils osent m’accuser. En plus de ça, mon cœur se serre à la vue des conditions qu'ils m'imposent. Mon cœur se serre de ne pas savoir à quoi m'attendre. Bande d’ordures ! Sales enfoirés de merde !
Je ne pourrai pas revenir en arrière si je dis non. Je ne pourrai pas non plus revenir en arrière si je dis oui. Je n'aurai pas d'enfant si j'accepte mais j’aurai peut-être une chance de revoir Anna. Je pourrai partir à sa recherche, savoir ce qu’il lui est arrivé… Parce que de toute façon, je n'aurai pas non plus d'enfant si je refuse. Je resterai ici, simplement, sans espoir de revoir Anna ou mes plantes. Seul. Pour toujours.
Ce n'est pas comme si j'avais toujours souhaité avoir des gamins, je commence peut-être même à me faire un peu vieux. Mais maintenant que je sais qu'ils feront tout pour que je n'ai pas de descendance, j'ai l'impression d'avoir raté quelque chose.
Que ce serait-il passé si j'avais eu des gosses avant de me faire enfermer ? Eux-aussi, on les aurait gardés sous terre jusqu'à la fin de leur jour ? Ou ils auraient servi de cobaye ? Ou on les aurait juste stérilisés ? Je ne savais pas que la violence pouvait être génétique. C'est encore une de leur machination. J'en suis certain.
Dans deux jours, je devrai donner ma réponse. Qu'est-ce qu'il se passera si je ne réponds rien du tout ? Ils n'en ont pas parlé, de ça. Je resterai ici, ou ils prendront mon silence pour un accord tacite ? Je dois faire le bon Choix. Je dois faire en sorte de regagner la surface, c'est ça le plus important. Je dois retrouver Anna et mes plantes. Peu importe le reste. J'aurai quoi m'occuper si je remonte à la surface. Ici, je vais mourir d'ennui. Je vais mourir de l'intérieur. Est-ce qu'ils feront tout pour me maintenir en vie si je reste ? Ou est-ce qu'ils me laisseront enfin mourir ?
Mais là-haut, je pourrai mourir si j'en ai envie. Ou alors je mourrai pendant les expériences. Dans tous les cas, rien ne peut être pire que de rester ici. J'en suis convaincu. Je préférerai même finir aveugle, ou sans peau, ou sans bras ni jambes plutôt que de rester ici.
Eh le robot ! Reviens ! Je n'ai pas besoin de deux jours pour réfléchir ! Je veux sortir de cette putain de cellule ! Même si je dois en crever ! Ils ont dit deux jours standards. Mais je ne peux pas savoir s'ils tiendront parole. Je vais encore devoir attendre, attendre, attendre. Est-ce que mes jours correspondront aux leurs ?
Courage, Pablo. Ça fait déjà 1067 jours que tu es là, ils ont dit. Ça fait combien d'années, 1067 jours ? Presque trois ans, je crois. Trois ans... Une éternité. Une putain d'éternité. Je ne peux pas rester là ne serait-ce qu'une semaine de plus. Ces deux jours vont être interminables. J'ai même hâte de leur servir de cobaye. Hâte que tout ça soit enfin terminé.
Je vais essayer de passer le peu de temps qu'il me reste encore ici à dormir. Ça passera plus vite, si je dors.
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