Chapitre 19

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Plusieurs personnes apparurent, dont Ivan, Djicam du Neuvième Royaume, Domaris, l’épouse du Souverain, et des soldats de la Garde du Phénix, inquiets que la Durckma soit blessée, ou pire, et mortifiés à l’idée d’avoir raté le combat. Des serviteurs à moitié terrifiés apportèrent des lampes pour éclairer les lieux sur un ordre de Domaris.

Le petit salon parut immédiatement bondé. Le Djicam renvoya les gardes dans le couloir une fois qu’ils se furent assurés de la sécurité des lieux.

Domaris s’élança vers la jeune femme.

–Satia ? Tu n’as rien ?

–Ça va, je ne suis pas blessée, répondit-elle, heureuse de voir qu’elle pouvait de nouveau parler.

–Ma pauvre enfant, tu dois être frigorifiée avec tous ces courants d’air. Viens par ici, dit-elle en allant fouiller ses armoires à la recherche d’une robe de chambre.

Satia ne se fit pas prier. Sous l’émotion, elle n’avait pas pensé à sa tenue, une simple chemise de nuit qui ne couvrait pas grand-chose d’elle. Et maintenant que le soulagement avait remplacé la peur… Satia doutait que les tremblements de son corps soient dus au froid, elle apprécia pourtant la délicatesse de Domaris. En quatre ans, les deux femmes avaient tissé des liens étroits, et Satia lui était reconnaissance de ses conseils avisés ainsi que de sa présence quasi maternelle. Si l’épouse du Souverain choyait la fille qu’elle n’avait jamais eue, Satia découvrait à son contact combien une présence féminine lui avait manquée.

–Tu étais sur place.

Satia tourna la tête. Comme on pouvait s’y attendre, le Djicam Ivan interrogeait son subordonné.

–Exact, répondit Lucas. J’ai aperçu des individus suspects au-dessus des toits. Je suis alors intervenu. Matthias était avec moi.

Le Djicam s’avança dans la pièce et s’agenouilla près d’un cadavre.

–Celui-ci est bien mort, constata-t-il, en enlevant la dague restée fichée dans le corps. Pourquoi y avoir laissé ton arme ?

–Elle ne m’appartient pas, rétorqua Lucas.

–C’est la mienne, intervint Satia face à l’étonnement du Djicam. Mon père m’en a fait cadeau.

–Un cadeau précieux. Les lames en Ilik restent rares, lorsqu’elles ne sont pas portées par des Mecers. La voici, Altesse.

Sans un mot, Satia prit la dague. Hier translucide, la lame avait maintenant une couleur rouge… Étrange propriété de l’Ilik, qui gardait la mémoire du sang versé.

Domaris prit la parole.

–Satia, nous devrions partir. Laissons-les travailler. Viens te reposer dans mes appartements.

–Je préfèrerais rester, Domaris. Je veux savoir. Et je ne pourrais fermer l’œil, de toute façon.

Domaris soupira. La jeune fille était entêtée, et elle ne la ferait pas changer d’avis facilement. Autant se ranger à ses côtés pour le moment.

Un Émissaire apparut dans l’embrasure de la fenêtre restée ouverte.

–Nous avons fouillé les jardins, Djicam. Aucune trace du corps. Quelques traces de sang. Il est blessé, mais s’est enfui. Nous avons bouclé le périmètre, et nous avons retrouvé l’arme qui l’a touché. (Il montra une dague). Est-ce la tienne ? demanda-t-il à Lucas, qui acquiesça et vint reprendre son bien.

Le Djicam de Massilia s’était agenouillé pour examiner le corps. Il écarta la manche, dévoilant un tatouage noir sur l’intérieur du poignet.

–C’est bien ce que je craignais… Des Massiliens renégats, dit le Djicam Ivan, soucieux. Les Faucons Noirs, hors de leur planète natale. C’est rare.

Son regard bleu-acier se posa sur Satia.

–Vous avez eu de la chance, Altesse. Les Faucons Noirs sont la plus redoutable des guildes d’assassins. Quelqu’un veut votre mort.

Satia frissonna, et ce n’était pas à cause de l’air frais.

–Êtes-vous certain qu’ils venaient pour moi ? articula-t-elle avec peine.

–Ils n’ont attaqué que vos appartements, dédaignant devant ceux du Souverain. Si le Messager Lucas n’était pas passé par-là, vous ne seriez certainement plus de ce monde.

Satia se demanda si Lucas se trouvait vraiment là par hasard. Après tout, il était toujours là au bon moment, au bon endroit, et juste quand elle en avait besoin. Était-ce un des avantages d’être son Estérel ?

Elle aurait voulu retourner se blottir sous les draps épais, mais elle était la Durckma : elle ne pouvait agir comme la jeune fille terrifiée qu’elle était. À son tour de reprendre le contrôle des évènements.

Satia s’écarta de Domaris, rajusta comme elle put la robe de chambre informe, et s’attacha à donner l’illusion qu’elle maitrisait parfaitement la situation avant de faire quelques pas vers Lucas – loin d’être dupe de ce manège.

–Messager Lucas, vous m’avez sauvé la vie et je vous en remercie. Vous avez droit à ma gratitude éternelle.

Et avec un sourire, elle lui offrit sa main. L’étonnement traversa les yeux bleu-acier et Satia exulta : elle avait réussi à le surprendre ! Puis il mit un genou à terre, et, saisissant sa main, la porta à ses lèvres, l’effleurant de son souffle.

– Mon épée et ma vie sont à votre service, Durckma.

L’antique serment de fidélité des Massiliens. L’épouse du Djicam acquiesça silencieusement. Cette petite savait se comporter comme une future Souveraine.

Satia se tourna vers Ivan, décidée à continuer sur sa lancée pour masquer son trouble. Cette étrange distance protocolaire entre eux était perturbante.

–Djicam, je veux apprendre à me défendre.

Surpris, ce dernier chercha du regard l'avis de Domaris, tout aussi perplexe. Après quelques secondes de réflexion, il finit par répondre :

–Des hommes sont censés vous protéger, Durckma. C'est la fonction de la Garde du Phénix.

–Je reconnais parfaitement sa valeur, Djicam. Cependant les soldats ne sont pas toujours là. Ne pourriez-vous pas détacher l'un de vos hommes afin qu'il m'instruise dans ce domaine ? insista-t-elle.

–Il n'est pas convenable qu'un homme vous instruise dans le maniement des armes ! intervint rageusement Damien, le fils du Souverain.

Lui aussi avait donc cédé à la curiosité ? Inconsciemment, elle rajusta sa robe de chambre.

–Parce qu'il serait plus convenable que je me fasse tuer ? répliqua Satia d'un ton sec.

Le protectionnisme du jeune homme avait tendance à l'agacer ces derniers temps. Il persistait à tenter de revenir dans ses bonnes grâces, sans se rendre compte qu’elle ne le souhaitait pas. Pourquoi s'obstinait-il à vouloir régenter sa vie ? Elle n’accepterait plus qu’on décide à sa place.

Le jeune homme s’empourpra, conscient qu’il venait de perdre un point.

–Pourquoi pas une Guerrière de Perle ? proposa Lucas.

Damien lui jeta un regard noir, mais le Djicam acquiesça, tout comme Domaris.

–Rodrig d’Atlantis sera ravi de cette opportunité. Ce compromis vous convient-il, Durckma ?

Satia hocha la tête.

–Oui. Je vous laisse vous occuper des détails.

Sur l’insistance de Domaris, la jeune femme finit par accepter de quitter ses appartements. La Durckma passerait le reste de la nuit dans les quartiers des invités ; Domaris aurait préféré l’accueillir mais s’était ravisée. Si la sécurité de la Fédération était en jeu, comme elle le supposait au vu du sérieux du Djicam Ivan, il valait mieux prendre toutes les précautions.

Vêtues de deux capes légères et escortées par plusieurs soldats de la Garde du Phénix, les deux femmes descendirent les longs escaliers de la grande Tour et se dirigèrent vers les logements mis à disposition des invités.

Satia frissonnait, et la fraicheur de la nuit n’en était pas la seule cause. La même scène repassait en boucle dans son esprit. Elle resserra sa cape autour d’elle en un futile effort pour se réconforter. Que n’aurait-elle pas donné pour que son père soit là à ses côtés…

Une domestique s’inclina et lui ouvrit la porte.

–Tout a été préparé pour votre confort, Durckma, dit-elle. Personne ne viendra vous déranger ici.

–Merci, répondit bravement la jeune femme en forçant un sourire.

–Nous reparlerons de tout ça demain, dit Domaris. Le personnel du Palais va s’activer toute la nuit, et tes appartements seront comme neufs à ton réveil.

Satia remercia Domaris, et referma la porte derrière elle. Le petit salon qui tenait également lieu d’antichambre ne comprenait qu’une petite table et deux fauteuils ; la chambre, même si de dimension modeste, paraissait confortable. Plus important, des lampes étaient allumées un peu partout, repoussant les ombres de la nuit.

Le silence était total.

Deux larmes roulèrent sur ses joues, qu’elle essuya d’un geste rageur. Satia s’assit sur le rebord du lit et enserra ses genoux. Elle avait si froid, tout à coup. Malgré la cape dont elle n’avait pu se défaire, malgré une température tout à fait normale pour un mois d’été.

Ce soir, pour la première fois, elle avait tué un homme.

Certes, c’était un assassin.

Certes, elle n’avait fait que se défendre.

Certes, elle avait frappé au hasard.

Satia tentait désespérément de se convaincre qu’elle n’avait pas eu d’autre choix.

En vain.

*****

Tandis que les domestiques s’appliquaient à effacer toute trace du massacre, le Djicam Ivan terminait d’examiner les cadavres des trois Faucons Noirs dispersés dans la pièce.

–Enlevez-moi ces corps et portez-les à la caserne, qu'ils soient identifiés, ordonna-t-il enfin à trois jeunes Envoyés qui s'empressèrent d'exécuter les ordres.

–Djicam, nous avons un prisonnier, dit un Messager qui arrivait en courant après un rapide salut.

–Un autre Faucon Noir, Aioros ? s’étonna le Djicam. Amenez-le-moi.

Deux Émissaires entrèrent, encadrant le prisonnier. Sa peau et ses ailes étaient aussi noires que l'ébène, contrastant avec ses yeux d’un vert limpide. Plutôt petit, il paraissait tout juste sorti de l’adolescence.

–Il semble bien jeune pour un Faucon Noir, remarqua le Djicam, sceptique.

–Un treizième n’est pas dans leurs habitudes, avoua le Messager Aioros, tout aussi perplexe.

–J’étais leur captif ! intervint le prisonnier avec véhémence. Je n'ai rien à voir avec eux !

L’un des Émissaires lui intima le silence. Oser prendre la parole sans permission ? Tout Massilien savait pourtant qu’il y avait des convenances à respecter en la matière.

–Est-il marqué ? demanda Ivan.

–Non. Peut-être un apprenti ? suggéra le Messager Aioros.

–Sur une mission aussi délicate ? Ce serait surprenant, à tout le moins, murmura le Djicam.

S’avisant que sa présence n’était plus nécessaire, Lucas réfléchit au meilleur moyen de prendre poliment congé. La suite des évènements serait certainement confiée à la garde du Phénix, après tout.

Sauve Itzal.

Pardon ?!

Sauve l'Aile Noire.

Pourquoi ? interrogea Lucas.

Il est innocent.

Dis-leur alors, dit-il, perplexe.

Ce n’est pas aussi simple, Lucas. Trop de charges sont contre lui. Trouve un moyen.

–Attendez ! intervint Lucas comme les Émissaires s'apprêter à emmener le prisonnier.

Le Djicam et le Messager Aioros se tournèrent vers lui.

–Qu'y a-t-il, Messager Lucas ? demanda Ivan.

Intimidé par leur air sévère, Lucas songea que Lika lui demandait toujours l’impossible. Une seule solution lui apparaissait, et elle ne serait pas loin de bouleverser tous ses principes.

–Itzal est mon Envoyé, dit-il dans un souffle.

Il jeta un coup d'œil du côté du prisonnier, mais ce dernier eut le bon ton de ne pas broncher.

Le Djicam haussa un sourcil. Un Massilien ne pouvait pas mentir. Pour qu’il prononce ces paroles, il devait donc être convaincu de leur véracité. Un bel exploit, même pour un Messager.

–Tiens donc. Et depuis quand ? interrogea Ivan en croisant les bras.

Confronté à son supérieur, Lucas s'efforça de garder un air confiant et convaincant, avant de choisir ses mots avec soin.

–C’est tout récent, Djicam.

Si Ivan ne se trompait pas, la décision venait même d’être prise à l’instant.

Qu’en penses-tu, Fang ?

Les apparences sont contre lui… mais aucune preuve tangible ne l’accuse. Il pourrait être au mauvais endroit au mauvais moment.

Beaucoup de suppositions, dans un sens comme dans l’autre.

Rien n’est jamais certain, Ivan, dans la vie d’un Mecer. Tu le sais bien. Et n’oublie pas le principal : comment Lucas pouvait-il connaitre son prénom ?

Le Djicam échangea un regard avec le Messager Aioros, puis considéra le jeune homme aux ailes noires dont le sort venait d’être scellé.

–Bien. Qu'il se montre digne des Mecers. Je compte sur toi, Lucas.

Je me demande dans quoi tu m’as encore engagé, Lika, soupira le Messager.

Un rire amusé fit écho à ses pensées.

La vie serait moins drôle sans son lot d’imprévus, non ?

–Viens, Itzal, nous rentrons. Djicam, Messager… avec votre permission, salua formellement Lucas.

Le Djicam du Neuvième Royaume lui répondit d’un léger signe de tête, et après avoir imité le salut de son ainé, Itzal s’empressa de le suivre. S’en tirer à si bon compte était une chance. Il était encore en vie, pour le moment c’était tout ce qui comptait.

Restait à voir dans quoi il se retrouvait embarquer.

*****

Les deux Mecers survolaient les rues silencieuses de la capitale. La ville ne présentait aucune trace de l’agitation qui avait secoué le Palais quelques heures auparavant. De temps à autre, le premier vérifiait que le second le suivait, et continuait sa progression avec le vent frais de la nuit.

Un peu plus tard, ils se posèrent en douceur dans l’espace alloué à cet effet dans la caserne, au sud-est de Valyar.

–Je …en fait…merci, commença le plus jeune.

–Tu n'as pas à me remercier, Itzal.

–Mais…vous…vous m'avez sauvé la vie !

Lucas posa son regard impassible sur lui.

–Les Émissaires ne t'auraient pas tué. Et pour être exact, c’est mon Compagnon qui a pris la décision.

Itzal se décomposa à ces paroles, aussi le Messager poursuivit :

–Comme tu le sais, un Massilien ne ment pas : n’aie crainte, tu deviendras un Mecer.

–Vraiment ? Je veux dire, c'est pas une blague.

L'ombre d'un sourire flotta sur les lèvres de Lucas.

–Je vais te présenter à quelques amis.

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