Chapitre 34

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Meren, Troisième Monde…

Neuf visages masqués de velours noir. Neuf figures d'animaux. Neuf représentants des Neuf Mondes. Neuf hommes et femmes décidés à mettre un terme au règne de Dvorking.

L'homme dont le visage était caché par une figure de loup noir se leva pour prendre la parole. Il était habillé tout en noir et une ample cape, elle aussi en velours noir, dissimulait son corps. Des gants noirs en soie complétaient l'ensemble.

–Dvorking est sur le point de lancer son attaque, commença-t-il en regardant tour à tour les autres masques.

Il s'arrêta un instant sur le masque d'ours.

–Il a maintenant toutes les cartes en main, continua-t-il. Et surtout, il connaît notre existence.

Un brouhaha s'éleva aussitôt dans la pièce. Située en sous-sol, elle était tendue de noir. Ils œuvraient dans l’ombre et nul détail ne devait les trahir. Seuls quelques chandeliers diffusaient une faible lumière.

Le masque de loup frappa dans ses mains pour rétablir l'ordre.

–Silence !

Le calme revint dans l'assemblée.

–Comme prévu, nous allons donc agir. Notre ami masque d'ours a réussi récemment à entrer dans le cercle restreint des conseillers de Dvorking.

L'homme dont le visage était caché par le masque d'ours se leva.

–Malheureusement, tout n'est pas si simple…Dvorking sait qu'il existe un traître. Il a lancé le chef des Maagoï sur l'affaire.

–Éric…le Massilien renégat…murmura la femme au masque de biche.

–Exact, acquiesça masque d'ours.

–N'existe-t-il aucun moyen de le corrompre ?

–Tous les agents qui ont été envoyés vers lui ont été tués, déclara masque de loup.

–Je ne parlais ni d'argent ni de promesses de pouvoir…dit la voix suave du masque de biche.

–Une femme ? dit le masque de lynx d'un ton dédaigneux. L'homme est rusé et prudent. Il les tue toutes de ses mains après les avoir prises.

–Il a l'entière confiance de Dvorking, rajouta le masque d'ours. Cela, je puis en jurer sur ma vie.

–Alors, il reste le point faible de l’Empereur, continua le masque de loup. Car Dvorking ne fait confiance à personne.

–Laissez-moi m'occuper de ce problème, demanda la femme au masque de biche. Je trouverai un moyen de le rallier à nous, ou de le discréditer aux yeux de Dvorking.

Le masque de loup hésita.

–Il serait peut-être plus judicieux de faire profil bas quelques temps…mais le temps presse. Soit. Passons aux votes. Qui est d’accord avec le plan du masque de biche ?

Neuf mains se levèrent à l'unisson.

–Bien. Qu'Orssanc nous protège. Le signal sera répété pour la prochaine réunion.

*****

Sagitta, Douzième Royaume, Palais de Valyar…

En se réveillant ce matin-là, Satia découvrit un énorme bouquet de fleurs sur la table basse de son petit salon.

–Qui a apporté ces fleurs ? demanda-t-elle à Monie comme celle-ci lui apportait son plateau du petit déjeuner.

Elle se saisit du bol de chocolat brûlant et en but une gorgée, savourant la chaleur qui se répandait dans son corps.

–Je ne sais pas, Altesse, un valet est venu le livrer tôt ce matin, avec une carte.

Satia prit le temps de terminer ses croissants, encore tièdes, qui venaient juste de sortir du four.

Les fleurs étaient exquises. Le mélange savamment ordonné des formes et des couleurs était agréable à la vue comme à l'odorat.

Elle prit une autre gorgée du breuvage brûlant et se saisit de la carte qui accompagnait les fleurs.

" En m'excusant d'avoir été la cause de tous vos désagréments. Je me suis conduis comme un imbécile. Puissiez-vous me pardonner un jour. "

C'était signé très sobrement "Damien". Une lettre qui l'étonna, car jamais auparavant elle n'avait vu Damien s'excuser, que ce soit face à une servante ou un pair.

Depuis que le Souverain était souffrant, il avait beaucoup changé, et tout le monde au Palais n'en disait plus que du bien. La santé de Dionéris inquiétait chaque jour un peu plus la jeune femme. Ce "mauvais rhume" durait depuis bien trop longtemps, d'après elle. De ce fait, elle était amenée à prendre de nouvelles responsabilités. Elle espérait que les guérisseurs venus expressément de Soctoris le remettent sur pieds rapidement.

Elle demanda à Monie de disposer les fleurs dans un vase, et Elysie vint l'habiller pour la journée. Aujourd'hui, elle recevrait plusieurs Seyhids en entrevue privée. Comme s'ils s'imaginaient obtenir quelque chose d'elle ! Domaris et Dionéris l'avaient bien formée. Elle n’était plus une débutante, et petit à petit ils admettraient que c'était elle qui était appelée à diriger la Fédération lorsque Dionéris se retirerait.

Dans quelques jours, elle fêterait ses vingt-deux ans, et serait au cœur de la grande fête organisée en son honneur au Palais. Elle soupira tout en laissant Elysie coiffer ses cheveux. Il était certain que nombres de ses visiteurs du jour viendraient lui demander de leur réserver une danse.

Elle allait devoir mettre en avant tous ses talents de diplomatie pour ne froisser personne.

*****

Sagitta, Douzième Royaume, Valyar, Caserne des Mecers.

Lucas boucla son ceinturon, ajusta son uniforme blanc après un coup d’œil dans le miroir, et enfila ses bottes.

–Tu es prêt ?

–Oui…oui, j'arrive… grommela Itzal.

Les deux Mecers quittèrent la chambre qu’ils partageaient avec Matthias au sein de la caserne. La veille, l’Émissaire était parti pour Massilia. Eraïm savait quand ils auraient l’occasion de se croiser de nouveau.

Le jeune Envoyé était songeur, une attitude inhabituelle.

–Laria t’a parlé ? s’enquit le Messager.

–Oui, marmonna Itzal. J’ai accepté de la voir demain soir.

–As-tu conscience de ce qu’implique cette proposition ?

–Je n’y ai pas vraiment réfléchi… Puis elle avait l’air si décidé…

–Je te conseille d’étudier la question, alors, ou tu risques d’être surpris de ce que tu découvriras.

Itzal considéra son ainé, perplexe. Depuis quand Lucas parlait-il de manière si cryptique ? Avait-il décelé un piège dans cette proposition anodine ?

Laria était Atlante. Que savait-il sur le peuple aquatique du Deuxième Royaume ? Rien de plus que les généralités apprises à l’école. Les écailles, la respiration sous l’eau…

Qu’y avait-il de dangereux à rencontrer la Guerrière de Perles ? Lucas l’aurait certainement prévenu s’il avait été en danger de mort, non ?

À moins qu’il ne vienne de le faire ?

Plongé dans ses pensées, il s’aperçut à peine qu’ils entraient sur le terrain d’entrainement. De nombreux Mecers étaient déjà présents. Ils saluèrent Lucas qui les rejoignit.

Itzal alla retrouver les Envoyés présents. Ils étaient une dizaine ; certains s’affrontaient en duel tandis que d’autres discutaient en gardant un œil sur leurs supérieurs qui s’échauffaient non loin de là.

Un jeune Envoyé de son âge lui sauta littéralement dessus. Ses ailes étaient un mélange de gris clair et de beige.

–Salut je m'appelle Mior ! C'est toi l'Envoyé de ce Messager ? C'est quoi ton nom ?

–Itzal, répondit ce dernier, impressionné par tant d’enthousiasme.

–Je suis content de connaître quelqu'un du même Rang que moi ! s'écria-t-il, ravi.

–Moi aussi, murmura Itzal.

–Tu es aussi là pour observer ? C'est chouette, on va pouvoir s'aider ! Mon Messager est le vieux débris aux ailes grises, là-bas dans le coin.

Remarquant l'air interdit d’Itzal, il ajouta à voix basse :

–Heu, tu ne lui diras pas, hein ?

*****

Déjà deux adversaires au tapis. Lucas était vraiment très fort, décida Itzal. Son nouvel ami Mior semblait partager son avis.

–Eh ben, il assure ton Messager ! fit-il, impressionné.

–Ouaip, ça c'est sûr, se rengorgea Itzal comme s'il s'agissait de son exploit. Et encore, il était blessé il y a peu…

À peine essoufflé, Lucas était heureux de constater que son aile droite allait beaucoup mieux. La Soctorisienne Aryana lui avait cependant demandé de patienter encore quelques jours avant de tenter le moindre vol. Les Mecers apprenaient la Patience dès leur première Barrette, mais Lucas n'avait qu'une seule envie, s'envoler de nouveau dans les cieux.

Retrouver la mobilité de son aile, et son équilibre, était déjà un premier pas.

Cet entraînement se déroulait à la façon des compétitions organisées sur Massilia. Un champion relevait tous les défis qu'on lui proposait, jusqu'à être battu, auquel cas le gagnant devenait le nouveau champion.

Attendant un nouvel adversaire, il vit les Mecers saluer un nouvel arrivant. Rien ne le distinguait des autres Messagers sinon le cerceau d'argent qui enserrait ses cheveux noirs striés de gris. Le jeune homme n'eut aucun mal à reconnaître le Djicam en personne. Il salua lorsque ce dernier s'avança vers lui.

–Mon offre tient toujours, déclara Ivan. Je viens voir où tu en es de tes progrès. Je serais ton adversaire.

Les deux hommes se mirent en garde, et il sembla aussitôt à Itzal que l'air se chargeait d'une tension qui n’existait pas lors des derniers duels. Les Émissaires s'étaient arrêtés de combattre, et un cercle se forma autour des deux hommes. Plumes blanches d'un côté ; ailes blanches aux marbrures chocolat de l'autre.

Après un instant d’observation, Lucas attaqua le premier. Un coup direct, rapide, bien porté, aisément dévié par la lame d'Ivan. Comme s'il se fut agi d'un signal, les deux hommes enchaînèrent alors attaques et parades, dans une chorégraphie éblouissante.

Bouche bée, Itzal se rendit compte qu'il assistait à une véritable démonstration de virtuosité. Jamais il n’avait vu Lucas autant poussé dans ses retranchements, et il commença à douter que le Messager remporte ce duel.

Les deux hommes s'immobilisèrent soudain, rompant l'engagement.

Le Djicam mit une main en visière devant ses yeux, regardant vers l'Est, vers une menace encore invisible.

–Des Strators, dit-il lentement.

Un vent de panique souffla parmi les Mecers, chose qu’Itzal n'aurait jamais crue possible. Il ne savait pas ce qu'était un Strator, mais il aurait donné cher pour être au courant. Mior l'attrapa par le bras, un éclair d'inquiétude traversant ses yeux bleus.

–Nous ne sommes pas de taille. Mettons-nous à l’abri.

Les Envoyés se replièrent vers le bâtiment tandis que quatre silhouettes apparaissaient dans le ciel sans nuages de Valyar, formes humaines auxquelles avaient été greffés des ailes de drai'kanter.

Le cliquetis de l’acier résonna comme une vingtaine de lames quittaient leurs fourreaux. Les Émissaires et Messagers s’apprêtaient à bondir dans les airs quand le Djicam les interrompit d’un geste.

Les Strators en approche devenaient plus visibles. Grands, vêtus de noir, ils arboraient les flammes rouges d'Orssanc sur leur poitrine. Les Strators, adorateurs de la Toute Puissante Orssanc, disciples de l'Arkom Samuël et combattants d'élite. Le don de télépathie qu'ils avaient reçu d'Orssanc leur permettait de se jouer de n'importe quel combattant. Des guerriers réputés invulnérables.

Ils n’avaient pas été vus sur le sol de la Fédération depuis presque dix ans.

Leur présence était une surprise et leur cible, évidente.

Fang, dis-leur de s’éloigner. Ce combat n’est pas le leur.

Ils protestent. Leur désir de vous protéger est plus fort.

Leur sacrifice ne me servira à rien. Qu'ils s'écartent.

–Es-tu prêt ? demanda-t-il à Lucas.

Le jeune homme raffermit sa prise sur la garde de son épée et acquiesça.

–Laissez-moi les retenir le temps de vous rendre en lieu sûr.

Le Djicam soupira tout en se préparant au combat.

–Y aurait-il eu un espoir que je t'aurais fait moi-même cette proposition, mon fils. Mais ils viennent pour nous. Et pour personne d'autre.

*****

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