Chapitre 64
Palais de Valyar, Sagitta, Douzième Royaume.
Le Djicam Aioros retint un soupir et essaya de se concentrer sur le débat en cours, à savoir un obscur point de détail d’une loi commerciale, bien loin de son domaine de compétence : pour ou contre la disparition des quotas sur le bois des forêts de Vénéré ? Il n’avait aucune idée des conséquences commerciales qui pourraient advenir…
Quelques places plus loin, son ami Altaïr discutait âprement avec la Djicam du Sixième Royaume, Sylvie sey Telman. Lui était bien plus directement concerné, mais pourquoi réunir l’entièreté de l’Assemblée pour une affaire qui n’était importante que pour le Troisième Royaume ?
Vénéré est certes une immense forêt, mais inonder le marché n’est pas la meilleure des solutions… Écraser la concurrence des autres Royaumes génèrerait un fort ressentiment envers eux.
Le faucon nain n’avait pas tort ; Aioros fut encore une fois étonné par la clairvoyance et la connaissance de son Compagnon.
Mais tu vas avoir d’autres problèmes pour t’occuper bientôt, fit-il mystérieusement avant de s’effacer de son esprit.
Le Messager fut aussitôt sur ses gardes. Quels problèmes ?
–AIOROS !
Les conversations se turent et les regards se tournèrent vers lui. La voix avait beau être étouffée par la porte qui permettait à l’Assemblée de débattre en huis-clos, le ton colérique était aisément perceptible, et il aurait reconnu la voix entre mille. Il déglutit nerveusement.
–Je vais vous laisser quelques minutes, si vous le permettez.
–Je crois que ce serait préférable, en effet, dit la Djicam Mickaëla avec une pointe d’amusement.
Aioros s’excusa auprès de ses confrères et quitta la salle pour se retrouver face à une jeune femme en furie, difficilement contenue par les deux soldats de la garde du Phénix qui avaient pour mission de veiller à ce que les membres de l’Assemblée ne soient pas dérangés.
–Je m’en occupe, dit-il aux deux soldats qui la relâchèrent aussitôt.
Celle-ci recula d’un pas et croisa les bras. Ses cheveux blonds encadraient un visage aux traits courroucés ; ses ailes, beiges striées d’une nuance plus soutenue, brassaient rageusement l’air dans son dos. Des bracelets d’argent cliquetaient à ses poignets, et sa robe couleur émeraude ne cachait pas grand-chose de sa grossesse avancée.
–Elycia ! Je ne m’attendais pas à te voir ici… dit Aioros avec un sourire.
–Ne te moque pas de moi ! fulmina-t-elle.
Elle lui agita un minuscule morceau de parchemin sous le nez.
–Sérieusement, Aioros ? Tu m’envoies un MESSAGE pour une question aussi importante ?
–Était-ce… inadéquat ? Qu’aurais-tu préféré ?
La fureur d’Elycia augmenta d’un cran.
–Un peu de ROMANTISME, par Eraïm !
Le Messager s’approcha d’elle et l’enlaça, avant de chuchoter à son oreille.
–Avoue que ma demande est plus qu’originale, et qu’aucune de tes amies ne pourra en jamais en dire autant.
La Massilienne se détendit dans son étreinte, et nicha son visage au creux de son cou. Elle respira son parfum entêtant qui lui avait tant manqué et fondit en larmes.
–Tout va bien, murmura le jeune Djicam en lui caressant les cheveux. Ça va passer.
–Ne… va… pas t’imaginer… ce n’est pas parce que… je pleure, renifla Elycia entre deux sanglots. Je suis encore en colère !
Ils restèrent enlacés un long moment, jusqu’à ce que les pleurs de la jeune femme s’apaisent. Elle se dégagea des bras du jeune homme, considéra un instant leurs doigts entrelacés, puis releva son regard vers le sien.
–J’accepte, dit-elle.
Fou de joie, Aioros l’embrassa avec passion. Elycia finit par s’écarter de lui en riant, essoufflée, et rajusta le cercle d’argent dans les cheveux noirs.
–Eraïm, Aioros, quel spectacle donnes-tu là ! se moqua-t-elle. Tu es Djicam maintenant, un peu de tenue !
–Ta présence me fait perdre l’esprit, sourit Aioros. Es-tu venue seule ?
–Ils ont tenu à m’accompagner, marmonna-t-elle.
Aioros réalisa que cinq massiliens se tenaient en retrait, bras croisés, l’air sombre. Il déglutit. Ne pas les avoir remarqués était un grave manquement à la courtoisie la plus élémentaire.
–Suruel do Ninzo, toutes mes excuses, s’empressa de déclarer Aioros en approchant les saluer.
Son vis-à-vis le considéra un instant avant de sourire.
–Il n’y a pas lieu de s’excuser. Ma sœur est heureuse, c’est l’essentiel pour moi. J’ai longtemps cru qu’elle ne serait qu’un outil pour toi, un moyen facile d’apaiser le Clan des Montagnes du Sud. Mais ta réaction ne laisse aucun doute sur tes sentiments.
Suruel do Ninzo s’inclina formellement.
–Le Clan des Montagnes du Sud te reconnait comme Djicam, Aioros sey Garden. Mon épée et mon sang sont à ton service.
–Merci, Suruel. Une page se tourne pour Massilia, et je veux croire que nous tirerons les leçons du passé pour construire notre futur.
–La Barrière ?
Aioros s’assombrit.
–Aussi. Venez, nous devons parler.
Les Massiliens se retrouvèrent autour d’une tasse de thé dans les appartements du Djicam. Suruel et ses hommes s’étaient inclinés brièvement devant le cercueil de son père, toujours présent dans son salon, et Aioros en apprécia la symbolique autant que la présence de sa fiancée.
Quand le chef du Clan des Montagnes du Sud, Zerus do Ninzo, avait été assassiné deux semaines plus tôt, son père l’avait envoyé sur place apaiser les tensions. Ivan savait pour Elycia et lui, Aioros en était certain. Ils n’en avaient jamais parlé qu’à mots couverts ; la rancune était tenace entre Zerus et Ivan, après plus de dix ans d’inimitié et aucun n’aurait fait un pas vers l’autre. Question d’honneur.
Après quelques sourires et discussions légères sur les circonstances de leur rencontre, Aioros redevint sérieux.
–Elycia doit être mise sous protection.
–Je suis apte à me défendre, intervint la jeune femme en fronçant les sourcils, une main déjà posée sur la dague à sa ceinture.
–En ce moment tu es vulnérable, et je suis une cible, objecta Aioros.
Suruel croisa les bras.
–Le Clan des Montagnes du Sud était le dernier opposant de la Seycam. Je suis bien placé pour le savoir. Qui t’en veut à ce point ?
–Mon père a certes été assassiné par des Faucons Noirs, mais le donneur d’ordre est un Djicam, révéla Aioros.
Suruel siffla.
–Qui assure ta sécurité ?
–Plusieurs Mecers s’en chargent. J’ai quatre Veilleurs avec moi.
–Très bien. Nous la protègerons personnellement, alors.
–Quand la situation de la Fédération sera stabilisée, il n’y aura plus de danger. En attendant, je préfère ne pas prendre le moindre risque.
Aioros ne pointait pas l’évidence ; il aurait préféré savoir Elycia protégée par des Mecers, mais refuser cet honneur à son Clan serait compromettre toutes ses avancées.
–N’hésite pas à t’adresser à la garnison massilienne si tu as besoin de quoi que ce soit, conclut Aioros.
*****
Marché aux esclaves, Anwa, Deuxième Monde.
Le Seigneur Evan, maitre du Huitième Monde, déambulait parmi les allées, flanqué du chef de sa garde personnelle, Ishty, et de son esclave Massilien, en quête des futurs esclaves que son épouse lui avait demandés. L’odeur nauséabonde des corps mal lavés était partout ; comment les marchands d’esclave arrivaient à survivre dans ce marasme ? Sans parler de la cacophonie ambiante… Entre les insultes et les cris de douleur, il devenait difficile de se faire entendre.
Dans trois jours, sur la grande estrade au centre du marché, aurait lieu une vente aux enchères exceptionnelle : les huit anciennes Iko de l’Empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force, mises au rebut pour soupçons de trahison.
Ireth lui avait fait promettre d’en ramener une, et tous ses arguments avaient été balayés un à un. Son épouse se moquait de leur réputation, elle voulait juste qu’une ex-concubine impériale lui lave le dos. Evan soupira. La plupart du temps, il gérait facilement ses caprices, mais là, au lendemain d’une Purge, il craignait de se faire repérer. Quant à mettre sa femme dans la confidence, c’était inenvisageable ; Ireth ne vivait que pour l’Empire.
Il n’y couperait pas ; et Evan, malgré son aversion pour ce type d’évènement, savait aussi que la plupart, sinon tous, des Seigneurs seraient présents. Ne pas être là serait perçu comme une opposition à la décision du maitre de l’Empire.
Evan relut rapidement la liste que lui avait remise son épouse. Une blanchisseuse, et quelques esclaves de maison, encore ? Evan estimait qu’ils en possédaient déjà suffisamment. La blanchisseuse pourrait être utile, par contre. Il leva les yeux et chercha à s’orienter au milieu des tentes multicolores. Où se trouvait la partie avec les esclaves qualifiés, déjà ?
À l’autre bout du marché, bien sûr. Il pinça les lèvres. Kélix s’était encore trompé de secteur en les déposant. Il lui faudrait sévir, en rentrant.
Peut-être devrait-il songer à embaucher un nouveau maitre des esclaves pour se décharger de cette corvée. Depuis la mort prématurée de Kytor, seul Ishty était apte à l’épauler dans le choix de ses nouveaux serviteurs. Evan refusait d’en laisser la gestion à Ireth ; elle était capable de les submerger d’esclaves inutiles au regard vide. Recruter son prochain maitre des esclaves serait une priorité, décida-t-il.
Peut-être qu’en prenant un raccourci par l’une des ruelles, Evan éviterait le gros de la foule. Il détestait cette proximité imposée avec des inconnus.
La ruelle était encore plus malodorante, si cela était possible, mais quasi déserte. Sous les auvents des petites tentes, des esclaves étaient exposés, de ci de là, dans un état lamentable : une manière pour les gens du commun d’acheter une main d’œuvre à bas coût, et pour les marchands d’écouler du second choix.
–Seigneur Evan, intervint Sital. Cet esclave, là-bas. Vous devriez l’acheter.
Un homme aux ailes grisâtres, inconscient, était étendu sur une paillasse d’une propreté douteuse.
–Un ami à toi ? Je ne peux pas récupérer toute la misère de la guerre, Sital, répondit doucement Evan.
Depuis la Purge, l’esclave avait perdu l’air craintif qu’il arborait en permanence. Le traitement donné par Ishty avait été efficace et Sital était désormais capable d’initiatives, chose qu’appréciait Evan. Il devrait pourtant veiller à ne pas oublier son statut.
–Ce n’est pas un ami. Je ne l’ai aperçu qu’une ou deux fois.
Sital hésita, puis baissa d’un ton :
– Il est capable de tuer Éric.
Evan haussa les sourcils.
–Cette épave ? Vraiment ?
–Oui. Il l’a déjà blessé.
L’assurance dans son ton était palpable, pourtant Evan restait indécis. A quel point pouvait-il faire confiance à un esclave ?
–Je peux me renseigner pour vous, seigneur, intervint Ishty.
Comme toujours, le capitaine de sa garde personnelle devançait ses pensées.
–Fais donc, concéda Evan.
Ishty s’éloigna pour s’entretenir avec le marchand, examina l’homme, puis revint vers eux.
–Il est en mauvais état, annonça-t-il. Le vendeur a voulu me faire croire qu’il était inconscient à cause d’une correction pour mauvais comportement, mais l’extrémité de ses doigts était bleue.
–La shocha, pesta Evan. Nous n’aurons pas le temps de marchander si nous voulons le sauver. Combien en demande-t-il ?
–Soixante mille.
Evan siffla entre ses dents.
–Une coquette somme pour un moribond…
–Cela reste un Massilien. Le marchand a voulu me faire croire qu’il était Messager, mais il est bien trop jeune pour l’être déjà.
–Il l’est, affirma Sital. Le plus jeune d’entre nous.
Ishty et Evan échangèrent un regard. Le seigneur soupira.
–Prends-le, dit-il à son garde en lui confiant une bourse. Contacte Kélix et dis-lui de se tenir prêt, nous rentrons.
Une fois l’esclave rapatrié et soigné, il lui faudrait revenir pour la blanchisseuse. Peut-être arriverait-il à convaincre Ireth d’attendre les enchères des Iko.
Evan avait aperçu plusieurs membres des Familles, dans la foule, ainsi que quelques-uns de ses alliés dans la Coalition. Ils n’avaient pas eu de réunion depuis la Purge, menée de façon efficace par le Commandeur Éric, il devait le reconnaitre. Si nul signal n’apparaissait bientôt, il devrait prendre l’initiative de lancer le prochain rendez-vous, et Evan n’en avait nulle envie.
Restait à espérer que cet esclave se révèle aussi prometteur que le supposait Sital.
*****
S’Arian, Demeure d’Evan, Arian, Huitième Monde.
Lucas s’éveilla doucement, son regard erra sur le plafond blanc, les murs propres. L’odeur florale de la lessive flottait dans l’air. Il se redressa, ses pieds nus effleurèrent le sol. On l’avait lavé, et habillé de blanc. Il en sourit malgré lui. Quelle coïncidence.
Sa main se porta au collier qui enserrait toujours son cou. La décharge était là, encore. Il compta jusqu’à dix, le temps de ressentir davantage qu’une simple douleur, avant de relâcher sa prise. Il inspecta les environs et découvrit un plateau sur une des petites tables.
Tout en mangeant, il détailla la pièce. Un cube, percé d’une petite fenêtre qui laissait entrer la lumière du jour. Tout juste l’aube, s’il en croyait la faible lueur. Un lit simple, une table, une chaise, un nécessaire de toilette. Un baraquement d’esclave, agréablement propret après la crasse des arènes.
Son repas terminé, il se leva et ses ailes effleurèrent le plafond. Il mourait d’envie de de les dégourdir. Sa main se posa sur la poignée de la porte, et il poussa doucement. Elle s’ouvrit.
Il inspira un air pur qui lui avait été refusé depuis de trop nombreux jours.
Son regard se perdit dans le ciel bleu moutonné de nuages, sur les bosquets colorés de vert au loin, les prairies fleuries multicolores où s’activaient plusieurs esclaves, sur la haute bâtisse qui se profilait à quelques centaines de mètres. La cour pavée, les haies et bordures soigneusement entretenues ; tout indiquait que son nouveau propriétaire était d’un haut statut social.
Tout était désert autour de lui, seul le chant des oiseaux se faisait entendre. Il descendit les trois marches et arriva sur une petite terrasse. Lentement, il étira tout son corps, déploya ses ailes au maximum de leur envergure, ferma les yeux. Indéniablement, il se sentait au mieux de sa forme. S’il n’y avait eu ce maudit collier, ce jour aurait été parfait.
Il replia à demi ses ailes, ouvrit son regard sur l’horizon, se plaça en position et débuta sa série d’exercices. Il les connaissait par cœur, ils faisaient partie de son âme ; les mouvements lents et fluides préparaient le corps et détendaient l’esprit. Il avait dépassé la moitié de son enchainement lorsqu’il sentit un autre souffle se joindre au sien. Sans se laisser distraire, il continua. Sans le voir, il perçut la fluidité de l’autre dans sa respiration ; un Mecer, nul doute n’était possible. Deux autres présences apparurent, hors de son champ de vision, mais aucune ne semblait lui demander de mettre fin à l’exercice. Il arriva sur la fin de son enchainement ; prit quelques secondes pour se recentrer et se retourna.
Près de lui, un esclave Massilien ; il s’en était douté. Ils échangèrent un long regard, et Lucas ne lut que de la résignation mêlée à un étrange espoir.
Les deux silhouettes appartenaient certainement à son nouveau propriétaire, un seigneur d’un rang influent s’il en jugeait par ses habits soignés. L’homme à ses côtés avait tout d’un homme d’épée : il devait s’agir du garde du corps, et il avait bien raison d’être là.
Le seigneur s’avança vers lui ; Lucas se força à rester immobile tandis que l’esclave rejoignait son maitre, le visage indéchiffrable.
–Je suis Evan d’Arian, seigneur du Huitième Monde. Tu parais en meilleure forme, esclave. J’ai purgé ton organisme de la shocha ; un défi intéressant. Je n’avais jamais songé pouvoir sauver quelqu’un de ce poison aux portes de la mort.
Il n’aurait jamais réussi sans moi, renifla Iskor.
Et c’est moi que tu trouves arrogant ?
Le jeune Messager n’hésita qu’un instant. Le poing droit sur le cœur, il s’inclina profondément.
–Mes remerciements, seigneur. J’imagine que vous attendez quelque chose de moi en retour ?
–Sital m’a dit que tu étais capable de vaincre Éric, le commandeur des Maagoïs.
Le regard bleu-acier passa de l’esclave au seigneur.
–Il est ici ?
–Tu en es capable ? répéta Evan.
Lucas considéra le seigneur ; il appartenait à l’une des neuf grandes Familles, s’il avait bien compris. Quelles pouvaient bien être ses intentions ?
–L’honneur de ma famille me commande de prendre sa vie.
– Tu parais bien jeune pour une tâche d’une telle importance... et bien éduqué, pour un simple combattant des arènes. Quel est ton nom ?
–Lucas sey Garden, fils d’Ivan de Massilia, répondit le Messager.
Était-ce raisonnable de dévoiler ainsi ton identité ?
Il m’a sauvé la vie, rappela Lucas. Je lui dois bien ça.
Certes, convint Iskor. Reste prudent.
–Comment quelqu’un de ton rang a-t-il pu atterrir dans les arènes de Ferris ? s’étonna Evan. Enfin, pour le moment, tu es un simple esclave.
–Oui. Pour le moment.
Evan haussa un sourcil, incrédule.
–Tu espères encore réussir à t’échapper ? C’est impossible.
–Beaucoup de choses sont dites impossibles, peu le sont réellement. Vous êtes un ennemi du Commandeur ?
Son calme et son assurance dénotaient sur un visage aussi jeune. Ishty était mal à l’aise en la présence de cet esclave à moitié dressé ; il le devinait dangereux.
–Comme la plupart des membres des Familles, répondit prudemment Evan. Il a souvent une longueur d’avance sur nous, et contrarie nos plans.
–Dites-moi où le trouver et je règlerai le problème.
–Je dois y réfléchir. Sital va rester avec toi, aujourd’hui. Nous nous reverrons.
*****
Lieu inconnu.
Satia ouvrit les yeux. Le sol était dur, sans avoir la texture de la pierre. Dans le silence qui l’entourait, elle ne percevait pas la respiration de ses compagnons d’aventure. Où était-elle ?
Elle n’était plus dans la grotte, réalisa-t-elle avec horreur en s’asseyant brusquement. Mais dans une cellule. Elle était prisonnière.
Son monde s’écroula.
Elle ne se rappelait pas de bataille ; et elle était certaine que ni Aioros ni Laria ne l’auraient laissée aux mains de l’ennemi sans combattre. Quelle était cette sorcellerie ?
Satia frissonna, et resserra sa cape autour d’elle. Au moins, ils lui avaient laissé ses effets personnels. Puis ses yeux s’écarquillèrent. Son sac ! La panique s’empara d’elle. Elle fouilla frénétiquement sa cellule, mais nulle cachette n’apparaissait entre les quatre murs gris. Si jamais il était tombé entre les mains de ses ravisseurs…
La chaleur l’envahit comme l’affolement la submergeait. Elle étouffait, elle brûlait, elle avait désespérément besoin d’air. De fraicheur. Elle rejeta sa cape au loin, s’agenouilla sur le sol froid, métallique, mais la sensation d’oppression persistait, couplée à une fièvre fébrile.
Du calme. Tout va bien. Détends-toi.
Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui m’arrive ?
Je suis Séliak. Souviens-toi. L’œuf, sur Massilia.
La conversation avec Lucas lui revint en mémoire, et doucement, sa panique reflua. Pourtant, son cœur continuait de battre la chamade. C’était tellement surréaliste ! Satia avait toujours cru que seuls les Mecers se liaient avec des Compagnons. Lucas l’avait prévenue, mais elle avait nié l’évidence. Partager son esprit ? La sensation était tellement… étrange !
Beaucoup d’autres peuples ont des membres qui se lient aussi. Nous sommes peu nombreux, et exigeants ; peu sont élus, et nombreux sont effectivement des Mecers. Tu es une descendante de Félénor ; c’est un honneur d’être lié à toi.
Sais-tu où je suis ?
Pas précisément.
Satia sentit la présence chaleureuse se rembrunir.
Tu es dans l’Empire, aux mains de l’Arköm Samuel.
Un frisson d’effroi traversa son épine dorsale. Le Grand Prêtre d’Orssanc. Elle déglutit nerveusement. L’un de ses pires cauchemars venait de prendre corps.
Je voudrais pouvoir te tirer de là, mais j’en suis incapable. Son repaire est protégé contre les intrusions magiques. Je n’arrive pas encore à te situer précisément. Il est vraiment très fort.
Satia déglutit de nouveau en percevant sa frustration. Elle serait donc seule.
Non, pas seule. Je t’aiderai au maximum de mes capacités. Tiens bon.
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