Chapitre 6 : Canwa exe wirne
L’annonce d’un autre changement
Rose revint à la réalité quand Haley s’ébroua en vue de la butte qui surplombait Greystone. Hagrid se tourna vers Rose en s’exclamant : « Elle est contente ! C’est un temps magnifique pour une promenade ! »
L’infirmière sourit. Au moins un habitant de Lockwood n’avait rien perdu de sa jovialité. Malgré sa découverte dans la forêt plusieurs semaines auparavant et l’inquiétude qui le tiraillait sur la santé de la jeune femme, le garde chasse ne s’était pas départi de son sens de l’humour, et ce, malgré les nombreuses questions qui restaient sans réponses, notamment depuis qu’Hagrid s’était rendu de nouveau sur les lieux de son sauvetage, mais était rentré bredouille. Rien, il n’y avait rien à l’endroit où il l’avait trouvé. La végétation s’était redressée, témoin silencieus et pernicieux, la forêt avait gardé pour elle, son secret.
La belle comtoise accéléra l’allure. Au bas de la butte, elle bifurqua à droite et s’engagea sur le chemin qui les menait aux portes du bourg. Les sillons tracés dans la neige, témoignaient de peu de passage, l’hiver isolant Greystone du reste du monde. Au loin, les maisons de pierres grises se dessinaient sur un ciel laiteux. Les cheminées crachaient leur volute de fumées, dispersant dans l’air, une odeur acre.
Ils dépassèrent les derniers sous bois et s’engagèrent sur le petit pont du quartier des artisans. Les enseignes forgées aux peintures pigmentées, accrochées sur les flans des commerces, annonçaient la spécialisation de chacun. Ici le forgeron, là le tisserand, le barbier ou encore le boulanger dont l’étal, derrière les vitres croisées, proposait différents pains. Les hommes se hélaient chaleureusement dans un joyeux vacarme. Les femmes, certaines flanquées de leurs enfants, tenaient le bas de leur jupe en évitant les amoncellements de terre et de neige mêlées, le long des bas côtés. A la vue d’Hagrid, certains levèrent la main pour le saluer, un geste que le garde chasse leur rendait avec un plaisir non dissimulé.
Ils remontèrent la rue et longèrent le bord des Halles, vidées des leurs commerçants l’après-midi, puis s’engagèrent sous l’arc de la porte principale du relais de Greystone. La cour avait été nettoyée avec soin. Entourée de hauts murs gris, percés en leur centre de grandes portes en bois qui donnait sur des quais de pierres. Les voitures y stationnaient puis attendaient qu’un commis vérifie leur identité pour leur délivrer les marchandises commandées. Ce jour là, le Tenant-poste, responsable du relais, avait prit soin de filtrer les arrivées comme le lui avait demandé Lord Northumberland. Il vint à la rencontre d’Hagrid et de Rose qu’il aida à descendre.
Hagrid ne l’appréciait guère. C’était un homme petit et mince, bien trop fin pour aimer la bonne chère et bien trop stricte pour goûter aux plaisirs de la vie des « petites gens ». Ses cheveux plaqués sur le crâne et ses yeux de fouine dissimulés derrière des lunettes rondes, il observait tout : « Soyez les bienvenus ! Je vous attendais. Nous avons reçu les différentes commandes du château. J’ai veillé personnellement à leur réception. »
- Nous vous remercions pour votre aimable coopération, répondit Rose avec un sourire de circonstance. Soyez certains que Lord et Lady Northumberland vous en sont reconnaissants.
Hagrid soupira en levant les yeux au ciel. Toutes ces « courbettes » l’ennuyaient. Rose se tourna vers lui en ignorant volontairement son caractère bougon : « Hagrid, auriez-vous l’amabilité de charger les colis dans notre voiture, je vous prie. »
- Oui Madame ! répliqua le garde chasse avec un sourire forcé.
Le Tenant-poste lui tendit un bon de livraison puis invita solennellement Rose à prendre une tasse de thé, qu’elle accepta, puis ils laissèrent Hagrid à sa charge.
Les colis étaient tous réunis dans différentes caisses de bois qui reposaient à même le sol, dans le couloir des réceptions. Aucunes empreintes, aucuns seaux ou marquages n’étaient différents des autres, se qui assurait au château un parfait anonymat. La marchandise si elle pouvait être encombrante, n’était pas particulièrement lourde pour une force de la nature comme Hagrid. De ce fait, il n’eut à faire que trois allées-retour avant de recouvrir sa cargaison d’une toile de jute. Cependant, l’effort lui donnait soif. L’entretien entre l’infirmière et le Tenant-poste allait certainement durée un moment. Il se rendit au bureau des réceptions pour signer le registre des remises et laissa un message à destination de Rose, l’informant qu’il allait se désaltérer au Marinkay.
Il passa la haute porte de pierre, traversa la rue et emprunta le couloir des Halles qui débouchait sur la cour des abreuvoirs, où attendaient quelques chevaux. Derrière les barrières de bois, de l’autre côté de la chaussée, se trouvait le Marinkay, un bar où tous les commerçants et artisans aimaient à se retrouver. Si différentes affaires pouvaient être traitées, on apprenait aussi beaucoup sur le pays, aussi les anciens qui ne quittaient plus leurs terres, aimaient s’y rendre et constituaient une clientèle fidèle. Comme beaucoup d’hommes, Hagrid fréquentait cet endroit depuis qu’il était en âge de pouvoir apprécié toutes les saveurs d’une belle brune, qu’elle soit d’une couleur ambrée pétillante ou encore possédant un caractère flamboyant avec des formes bien avantageuses.
Il se fraya un chemin parmi les monticules de neige sale réunis sur les côtés et rejoignit l’établissement de Nessy Bel. Du dehors, le brouhaha des hommes étaient perceptibles. Derrières les vitres, il distinguait les tables au centre de la pièce ou les clients jouaient aux cartes. Il ouvrit la porte croisée, surmontée d’une goélette carré à trois mats, sculptée à même la poutre de renfort. La clochette tinta mais personne n’y prêta attention. Il déambula au milieu des joueurs, distribuant au passage quelques poignés de mains et alla s’asseoir au comptoir.
- Salut Hagrid !
- Ça va Herni ? demanda le garde chasse en posant sa main sur l’épaule de son ami.
- Ben ma foi, aussi bien que mes vieux os le permettent. Puis se tournant vers la patronne : Nessy, la même chose et une bière pour Hagrid !
- Merci l’ami. Alors les affaires sont bonnes ?
Herni remonta sa casquette découvrant un peu plus ses yeux cernés. Ses joues parsemées d’une barbe blanche naissante ré-haussait ses yeux bleus.
- Bah ! C’est plutôt calme. La glace n’a pas encore fermée le canal mais sa devrait arriver bientôt. La plupart des gars préparent leur hivernage. On va se tenir bien au chaud.
Le vieux marin se caressa la hanche, un tic nerveux qu’Hagrid lui connaissait bien. A cet instant, Nessy Bel leur apporta leur verre, une bière pour le garde chasse et un rhum pour Herni.
- Bonjour Hagrid ! Comment va ? demanda la tenancière.
- Bien ma belle ! lui répondit-il avec un clin d’œil.
Personne ne connaissait exactement son âge, mais s’était une belle femme plantureuse. Ses cheveux blancs étaient réunis en un chignon sur sa tête, d’où s’échappaient quelques mèches, encadrant un visage lisse. Ses yeux couleur violines étaient doux et ses lèvres sensuelles, soulignées d’un rouge carmin. Elle répandait sur son passage une odeur de lys dont elle imprégnait ses vêtements noirs. Des améthystes cintrées d’or blanc composaient ses bijoux, des boucles d’oreilles pendantes, un collier qui reposait sur une poitrine généreuse et des bagues presque à chaque doigt.
Nessy Bel n’était pas seulement une femme d’affaire, c’était aussi une oreille attentive, un cœur généreux qui recueillait les confidences et savait garder les secrets. Elle voyait tout et entendait tout, aussi le tic nerveux d’Herni ne lui avait pas échappé. Elle planta ses yeux dans les siens et se tournant vers Hagrid lui dit : « On a eu des nouvelles d’Estem tantôt. Des guetteurs ont remarqué la présence des Elfes noirs au large des côtes. Habituellement, ils ne descendent pas si loin au sud. »
- L’hiver les freinera, coupa Herni, mais pour combien de temps ?
- Se n’est pas tout, continua Nessy Bel en se penchant vers le garde chasse, les Guetteurs ont relevé un regroupement de licornes au bois de Laye.
A ces mots Hagrid posa sa bière. De mémoire d’hommes, jamais les licornes n’avaient pénétré les terres sacrés de Laye. Ces mouvements présageaient un grand danger. Nessy Bel continua :
- Préviens Lord Northumberland. Le maire n’a pas jugé bon de levé un conseil mais mieux vaut être prudent.
Hagrid ouvrit la bouche pour répondre quand le fracas d’une porte volant en éclat à l’étage l’arrêta. Le silence se fit dans la salle lorsqu’ une femme se mit à hurler. Tous levèrent la tête pour voir deux hommes se battre. Le plus vieux saisit son adversaire par le col de sa chemise et le fit basculer par-dessus la balustrade. Hagrid vit le plus jeune chuté sur une table qu’il brisa, s’affalant dos au sol.
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