Chapitre 7 : Mectar

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L’homme d’épée

L’homme observait le jeune à terre en ricanant. Il était sale, sa chemise à moitié ouverte laissait entrevoir un torse poilu et un ventre bedonnant. Ses cheveux noirs de crasse collaient à son visage édenté. Des murmures s’élevèrent dans la salle. La silhouette sombre de Yulh apparut à l’étage. Il était d’une stature colossale, son corps rompu au combat dépassait de deux têtes l’inconnu qui le fixait, effaré. Sa physionomie marquait les esprits au premier regard. Un crâne rasé à la lame et des yeux pénétrants et froids. Silencieux et impassible, il avançait lentement vers l'homme débraillé.

Hagrid se redressa sur sa chaise. Il connaissait la brutalité de Yulh pour avoir assisté par deux fois à des combats réguliers dont il était sorti vainqueur. Sa force de frappe était impressionnante, à tel point, qu’il avait déjà réussi à défoncer la boite crânienne de ses adversaires. Lorsque Yulh se saisit du poignet de l’homme, celui-ci hurla. Hagrid se retourna vers Nessy Bel qui avait disparu. Au même moment, la cloche de la porte d’entrée teinta. Une voix à l’autre bout de la salle, annonça : « La maréchaussée ! ». Des jurons retentirent et un brouhaha accentué par le bruit des chaises et des tables déplacées, s’éleva rapidement. Au milieu de cette effervescence, une exclamation comme un coup de tonnerre résonna aux oreilles d’Hagrid : « C’est un gamin d’Everglay ! ».

À ces mots, le sang du garde chasse se figea dans ses veines. Il se releva d’un bond, manquant faire tomber Herni et fendit la foule jusqu’au jeune gisant à terre. Il était inconscient. Sa manche relevée, laissait apparaître le tatouage d’un « E » calligraphié suivi d’un numéro. Sans prendre le temps de la réflexion, il saisit le corps inerte. Un habitué des lieux s’approcha : « Par l’arrière, on va les retenir ! ».

Hagrid acquiesça d’un mouvement de tête. À l’étage, l’homme se débattait comme il pouvait, retenant toute l’attention de Yulh. Profitant de la situation, le garde chasse se faufila dans le couloir dérobé au fond de la pièce. Celui-ci étant faiblement éclairé, Hagrid avança prudemment, guidé par une lumière dans l’entrebâillement d’une porte. La voix cristalline de Nessy Bel se faisait plus audible à mesure qu’il progressait. Ce timbre, d’ordinaire si doux et sensuel, était rempli de colère. Ses lèvres, si réconfortantes, ne déversaient que réprimandes et menaces. Hagrid se figea et releva la tête.

 - Pauvre idiote ! Vociféra la tenancière.

La gifle cingla violemment le visage larmoyant de la jeune femme, la faisant basculer sur la table. Ses longs cheveux aux boucles blondes désordonnées, cachaient à peine un corsage blanc dégrafé et par endroit déchiré. Sous la jupe sale, Hagrid devinait une taille fine et des jambes menues. Secouée par des sanglots, la femme se laissa tomber à terre.

L’exclamation des hommes à l’arrivée de la maréchaussée, tira Hagrid de ses pensées. Sans bruit, il quitta l’établissement par la porte de derrière, laissant Nessy Bel gérer « ses affaires ». Il traversa la cour intérieure pour rejoindre un passage de communication qui menait jusqu’à la rivière. Celui-ci était plutôt bien entretenu et fréquenté surtout à la nuit tombée. Il accéléra l’allure, resserrant sa prise. Il longea les différents jardins des bâtiments du quartier des Halles, la laverie et ses hautes cheminées et bifurqua sur la droite avant d’emprunter un escalier de pierre particulièrement glissant à cette époque de l’année. Puis il pénétra dans le boyau de la rivière souterraine, taillée à même la roche, sous la ville. Il posa sa main sur le symbole de la flamme tracé à même la roche et prononça : « Lmueius ». À cet instant, le long couloir souterrain s’éclaira, illuminé de tout son long par des torches enflammées.

Un râle lui fit accélérer l’allure. La peau du jeune homme s’était refroidit. L’humidité ambiante faisait luire la roche et s’infiltrait dans les vêtements. Après plusieurs mètres, il aperçut le ponton des bateliers et les marches qui menaient aux caves des Halles. Après quelques enjambées, il gravit l’escalier de pierre et traversa la coursive jusqu’au monte-charge. Hagrid déposa le garçon sur le plancher en bois, referma la porte de sécurité et abaissa le levier d’appel. La plateforme s’ébranla et les cordes se tendirent sous l’impulsion des vérins. L’ascension fut courte, laissant à peine le temps au garde chasse de réfléchir au meilleur trajet pour rejoindre la voiture.

Sur le quai des Halles, le soleil avait entamé sa descente. L’air devenait plus piquant. Un hennissement attira son attention. De nouveau, il chargea le garçon sur ses épaules et couru en direction des écuries, se faufilant à travers les box, changeant d’itinéraire en fonction des voix qu’ils percevaient. Pour une fois, il loua la promptitude du Tenant-poste à faire respecter la moindre consigne de confidentialité.

Il traversa sans difficulté la rue. Haley attendait patiemment, imperturbable malgré la précipitation d’Hagrid à retirer les sangles des bâches. Il dégagea une couverture de son chargement et entreprit d’installer le jeune garçon au milieu des caisses. Coucher sur le dos, celui-ci émit un grognement et se tourna sur le flanc droit. Sa chemise déchirée laissa échapper un hématome à l’épaule. Hagrid s'immobilisa. Il inspira profondément et d’une main hésitante souleva le tissu déchiré. Son poing se serra quand ses yeux se voilèrent. Il se mordit la lèvre pour ne pas hurler. Ce dos si jeune, portait les stigmates de plusieurs années de brutalité. Il savait que les maltraitances d’Everglay n’étaient pas une légende. Dans son esprit, résonnaient encore les claquements du fouet, les cris, les supplications et cette peur qui tordait le ventre jusqu’au point de rupture.

Le rire de Rose le ramena à la réalité. Il s’empressa de cacher son nouveau protégé et monta dans la voiture, faignant l’attente. La haute porte en bois s’ouvrit sur le tandem joyeux, échangeant des banalités pompeuses.

 - Je ne manquerais pas de vous informer du retour d’Olliver, affirma le Tenant-poste. Vous connaissez l’originalité de cet homme ! Il apparaît et disparaît au gré de ses humeurs !

 - Je vous remercie pour votre aimable coopération, lui répondit l’infirmière en souriant.

 - Permettez-moi madame ?

Le Tenant poste lui tendit la main qu’elle accepta de manière courtoise et l’aida à prendre place à l’arrière de la voiture.

 - Hagrid, nous pouvons partir à présent ! commanda Rose.

 - Bien madame !

Sans un mot pour le Tenant poste, Hagrid s’empara des rennes. Haley fit le tour de la cour sous le regard concupiscent du maître des lieux. Rose réprima un frisson en passant sous la porte du relais. Emmitouflée dans sa couverture, elle essaya de chasser de son esprit cet homme arrogant. Manfred serait déçu, il n’aurait pas les livres qu’il attendait. Mais elle savait que sa déception n’égalerait pas la sienne. Son cœur se serra un peu plus à la pensée d’Olliver parti quelque part, précipitamment, sans qu’elle n’en sache rien. Ses yeux se posèrent sur le dos voûté d’Hagrid.

 - Votre après-midi au Marinkay a été agréable ? Lui demanda-t-elle moqueuse.

Hagrid ravala sa salive et resserra ses doigts sur les rennes. Il se contenta d’un bruit de gorge pour toute réponse. Rose fronça les sourcils. Que s’était-il passé au Marinkay ?

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