Chapitre 8 : Onwë Elerrina
L’enfant couronné
Quand Hagrid se décida enfin à soulever la bâche, Rose resta stupéfaite devant le corps inerte au milieu des caisses. Il lui avait fallu faire preuve d’une infinie patience et de persuasion pour arriver à convaincre ce grand nigaud de dévoiler son secret. À l’abri dans les écuries du château, ils devaient réfléchir à la manière la plus appropriée d’annoncer cette nouvelle aux propriétaires. En d’autres circonstances, l’infirmière n’aurait cessé de lui faire la leçon, lui rappelant au passage que l’établissement de Nessy Bel n’était pas non plus un lieu réputé pour sa morale. Mais devant les risques encourus par le jeune homme, elle s’était tue.
- Hagrid, ôtez ces caisses, je vous prie que je puisse examiner ce malheureux ! ordonna-t-elle.
Il s’exécuta sans un mot et aida Rose à monter à l’arrière de la voiture. Le souffle de l’homme était régulier. Des hématomes couvraient ses bras et son visage. L’arcade sourcilière était ouverte. Du sang à la commissure des lèvres témoignait d’un coup-de-poing particulièrement violent. Par chance, aucune côte n’était touchée malgré la chute spectaculaire dont il avait été la victime. Cependant, il fallait le garderen observation et réussir à convaincre Lord Northumberland qu’il devait rester parmi eux. Rose lui donnait une vingtaine d’années, guère plus. Il avait dû quitter les murs d’Everglay récemment. Il n’était pas dénutri, mais les marques de coups laissaient deviner les châtiments pour insolence et désobéissance.
Les enfants d’Everglay étaient toujours livrés à eux-mêmes une fois la majorité atteint. Quelques uns quittaient la ville, ne faisant plus parler d’eux, leurs noms tombaient dans l’oublie. D’autres se réfugiaient aux Quartiers des Mines, subsistant de petits larcins ou d’emplois précaires. Les filles pouvaient avoir une chance de sortir de la misère en frappant à la porte de Nessy Bel. Si elles étaient courageuses et malines, elles pouvaient récolter suffisamment d’argent dans l’espoir de quitter Greystone pour rejoindre la capitale. Là-bas, personne ne prêtait attention à leur statut d’orphelin. A Blelmouth Lake, tous pouvaient espérer un avenir meilleur.
Ces gamins étaient connus pour leur ruse et leur audace. Il ne faisait aucun doute à Rose et Hagrid, que celui-ci n’en manquait pas. Mais son avenir était incertain. Pour subsister, il n’avait que peu d’option. De plus, il s’était fait beaucoup trop remarquer au Marinkay. cette heure, l’homme ivre devait cuver dans les geôles de la maréchaussée et celle-ci devait rechercher un jeune garçon aux cheveux blonds portant un tatouage au poignet, signe distinctif des enfants d’Everglay. Son seul salut résidait dans la protection que voudrait bien lui accorder un sang noble.
Alors qu’ils étaient perdus dans leur réflexion, la porte de l’écurie s’ouvrit sur un Rodney particulièrement joyeux, sifflotant son air préféré.
- Et bien vous voilà enfin ! Notre Lady commençait à s’inquiéter !
Il s’approcha de la voiture et s’arrêta au vu du corps allongé.
- Morbleu ! Mais qu’est ce que vous nous rapportez là, s'exclama- t-il.
- C’est un gamin d’Everglay, lâcha Hagrid. Je l’ai ramassé au Marinkay. Yulh n’a pas eu le temps de s’occuper de lui.
- Rodney, il faut le cacher, continua Rose. Si on le laisse partir, je crains pour sa vie.
Le jardinier du château se gratta la tête et poussa un soupir.
- Pauv’ gosse ! On peut le garder un moment, mais faudra bien que quelqu’un parle au Lord.
- Je le ferais ! Répliqua Hagrid.
Ses amis le regardèrent interloqués.
- C’est à moi de le faire ! J’ai trouvé ce môme et il partira d’ici sur ses jambes ! Conclua-t-il.
Devant le ton déterminé du garde-chasse, ils n’avaient rien objecté. Hagrid avait soulevé le jeune homme endormi aussi facilement que la première fois, pour le conduire aux appartements de fonction d’Amina et Rodney. Celle-ci était restée sans voix devant les explications de l’infirmière et écouta attentivement ses conseils pour les soins à prodiguer. Rodney se chargea de la toilette tandis que son épouse préparait une chambre. Rose prit Hagrid à l’écart :
- Il faut vous occuper du chargement et bien réfléchir à ce que vous allez dire. Vous connaissez l’humeur de notre Lord. La situation est assez complexe. Pendant de nombreuses années il n’a accordé d’hospitalité à quiconque excepté Manfred et ce, par amitié pour son père. En peu de temps, nous lui demandons d’accorder refuge à deux personnes dont nous ignorons tout et dont l’apparition est peu commune.
Hagrid hocha la tête et répondit simplement : « Je sais ! » Puis sans ajouter un mot, il sorti.
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Le soleil couchant dardait ses derniers rayons sur les baies géminées. Le froid serait mordant cette nuit comme en témoignait déjà le givre sur les vitres. Depuis des jours, Manfred n’avait pas goûté à cet air frais et vivifiant allant à l’encontre de tous ses commandements. Il n’arrivait pas à se résoudre à quitter cette pièce. S’absenter, s’était prendre le risque de manquer l’instant ou enfin, elle ouvrirait les yeux. Promener son regard sur des gens qui lui étaient inconnus dans un monde dont elle ignorait tout, peut-être jusqu’à l’existence. Se rappellerait-elle de son prénom ? Des circonstances qui l’avaient conduite ici ?
Bien des questions défilaient dans son esprit. Quand Mercy lui avait tendu le livre, il s’était retiré au calme dans sa chambre. A la lumière de sa lampe, il avait dévoré les lignes manuscrites jusqu’aux heures du petit matin. Tremblant et captivé par la multitude d’informations que contenait l’ouvrage mais surtout par cette révélation, LA révélation qui faisait vaciller toutes ces certitudes.
« Le Feu des Dragons » n’était pas une légende ! Archibald avait consigné sa quête pour retrouver se sang sacré, lien indéfectible de deux univers diamétralement opposé. Une lignée construite et perpétuée dans le plus grand secret dont la représentante reposait ici, devant lui.
Campé dans son fauteuil, Manfred revoyait le quadrilatère dessiné au fusain quand ses yeux se portèrent sur le visage encore endormi. Le bruissement des draps le délivra de ses pensées. Il se redressa, le cœur battant. La poitrine de la jeune femme se souleva un peu plus, l’air expulsé des poumons produisit un murmure qui remplit son regard d’un voile humide. Sans plus réfléchir, il se précipita à son chevet. Hésitant, il posa délicatement sa main sur la sienne. Il sentit sa chaleur, la vie circulerde nouveau dans ce corps qu’il avait tant veillé. Les traits fins de son visage s’animèrent, ses lèvres s’entrouvrirent et des pupilles noisette se posèrent sur lui.
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