Le trophée
Malgré la ruse de Mélisande, à peine les fugitifs eurent-ils fait quelques mètres hors du pavillon qu’ils furent arrêtés par une sentinelle que sa veille forcée mettait de mauvaise humeur et qui trouvait leur hâte suspecte.
– Là, jouvencelles, vous me semblez bien pressées. Qui êtes-vous ? Vos visages ne me disent rien.
– Oh, messire, s’exclama Mélisande, aidez-nous ! Nous avons trouvé le comte Conant baignant dans son sang !
Comme pour confirmer ses dires, des éclats de voix se firent entendre au niveau de la tente où Silence avait été retenu prisonnier. Le soldat poussa un juron et se précipita à la poursuite de ces voix sans plus se soucier de ses interlocutrices, qui ne demandèrent pas leur reste.
***
Au tout petit jour, un compagnon du roi Ebain rentra sans cérémonie dans la tente où son souverain s’était endormi tout habillé.
– Sire, clama-t-il, le chevalier Silence est de retour !
Ce bruit courut rapidement parmi l’entourage du roi : quand Mélisande et Silence firent leur apparition, un grand nombre de hauts seigneurs s’étaient réunis près de la tente royale, dont le comte de Cornouailles qui se retint à grand peine de se précipiter sur son fils pour l’embrasser. Il faut dire que l’apparence de Silence avait de quoi dérouter l’assemblée. Sans s’en soucier, celui-ci déposa son chargement aux pieds du roi : un morceau de toile qui révéla une épée de grande façon.
– Sire, déclara le chevalier, le comte de Chester est mort. Je l’ai vaincu en combat singulier, grâce à l’aide de Mélisande ; grâce à elle encore, j’ai pu m’échapper en me déguisant comme vous le voyez.
Un brouhaha s’éleva. On s’ébaudissait sur l’exploit et sur l’astuce ; la voix du roi retentit, éteignant aussitôt les conversations.
– C’est bien l’épée du comte. Vous nous avez rendu là un grand service, chevalier, mais je suis plus heureux encore de vous revoir sain et sauf. La ruse de votre amie est bien extraordinaire… mais je dois dire – ne le prenez pas mal – que vous portez plutôt bien cet habit : je comprends que nos ennemis, de nuit, s’y soient laissés prendre.
***
Silence et Mélisande se retrouvaient enfin seuls ; le chevalier laissa exploser sa joie et dans son transport, souleva son aimée du sol.
– Ma mie, ma mie ! Vous êtes la plus brave et la plus sagace des femmes de cette terre. Je vous dois la vie, la liberté, la victoire. Vous avez arrêté la guerre : celle-ci ne tenait plus que par la volonté du comte de Chester, vous verrez que ses partisans se rendront au roi. Oh ! Je n’ai plus de doute que Dieu nous approuve : il vous a guidée jusqu’à moi et il a guidé ma main.
Mélisande voulut répliquer, mais il enchaîna, les yeux brillants :
– Tu mérites tant mieux que d’être si bassement la maîtresse d’un chevalier ! Ton père est loin ; ici tu es libre, ici nous pouvons nous marier. Tu seras comtesse, tu seras parente du roi lui-même : tous reconnaîtront ton prestige et ton mérite. Veux-tu, dis ?
Mélisande se sentait si épuisée qu’elle n’était guère en état de partager une telle euphorie ; elle se doutait que Silence, maintenu à un haut degré d’excitation, n’était pas moins exténué.
– Silence, nous sommes à bout tous les deux. Je n’aspire à rien d’autre qu’à dormir ; demain il sera toujours temps de penser à l’avenir.
Silence fut visiblement marri de cette réponse. Mais Mélisande avait vu juste : son enthousiasme ainsi tempéré, la fatigue des combats et d’une nuit sans sommeil le rattrapa. Ils s’allongèrent l’un contre l’autre et ne bougèrent plus jusqu’au jour suivant.
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