La damoiselle et la miresse
Pour comprendre comment un tel miracle est-il possible, il me faut remonter un peu en arrière.
Mélisande et Florie cherchaient en vain Silence depuis des jours lorsque la fortune enfin leur sourit : la réputation du chevalier-ménestrel s’était propagée et les voyageuses en l’entendant devinèrent bien qui il était. Elles purent suivre ainsi la trace de son errance en interrogeant ceux qui l’avaient vu passer en leur village, jusqu’à ce que la piste ainsi suivie les mènent jusqu’à la famille de Maude.
Lorsque la jeune paysanne les vit et connut l’objet de leur quête, elle sut tout de suite qui était Mélisande.
– Vous êtes la fiancée ! Le chevalier m’a tant parlé de vous qu’il me semble vous connaître comme une sœur.
Elle leur montra l’anneau dont Silence lui avait fait don ; les jeunes femmes se réjouirent à le reconnaître. Maude néanmoins fut très contrite en leur avouant qu’elle avait envoyé son hôte jusqu’au comté voisin.
– Je ne l’ai point revu et doute qu’il reparaisse jamais ; j’ai bien mal gagné cet anneau et vous avez le droit de m’en vouloir.
– Je ne crois pas, dit Florie d’un ton apaisant, que rien aurait pu détourner mon frère de sa quête ; je gage que l’ennui lui était plus pénible qu’un combat ; ne vous en voulez pas.
Toutefois, la crainte avait gagné son cœur, comme celui de Mélisande, à savoir que l’affrontement peut-être avait déjà eu lieu et qu’elles arrivaient trop tard. Sans plus tarder, elles reprirent la route.
A peine eurent-elles abordé le comté voisin qu’elles virent un homme assis sur le bord du chemin ; elles se seraient contentées de le saluer sans plus se soucier de lui si l’objet qu’il tenait entre les mains et qui semblait absorber toute son attention n’eût pas fait brusquement tirer sur les rênes à Florie. C’était une couronne de fleurs complètement fanée mais qu’elle reconnaissait fort bien ; à regarder l’homme de plus près, sa vêture aussi l’interpella.
Quoiqu’elle n’eût pas reçu une éducation militaire aussi poussée que son frère, Florie n’était pas sans talent au tir à l’arc et eut tôt fait d’armer celui qu’elle avait apporté pour les défendre en cas de besoin.
– Etranger ! cria-t-elle. Qui êtes-vous ? D’où tenez-vous cette couronne et ces vêtements ?
L’homme plongé dans ses pensées releva la tête et fut tout étonné de voir la flèche dirigée vers lui ; mais le visage de celle qui le menaçait ainsi le saisit plus encore.
– On m’appelle Bisclavret, damoiselle. Ces vêtements me furent donnés par un chevalier qui m’a ainsi délivré d’un sort qui m’emprisonnait ; cette couronne se trouvait dans leurs plis. Ce ne sont pas des fleurs de ce pays, et j’espérais grâce à elles deviner l’origine de mon mystérieux sauveur, car il n’a pas daigné me donner son nom.
– Elles viennent de Cornouailles et ces vêtements sont à mon frère ; comment puis-je être sûre que vous ne les lui avez pas volés après lui avoir fait quelque mal ?
– Vous êtes sa sœur ! Je me disais que vos visages étaient semblables ; j’en suis heureux, car je souhaitais me mettre au service de sa famille.
– Vous ne me rendrez pas mieux service qu’en répondant à ma question et en me menant à mon frère, si vous le pouvez.
– Las ! Je n’ai aucun moyen de vous prouver ma bonne foi et quant à votre frère, je ne puis que vous mener à la forêt où nous nous sommes rencontrés. Je ne veux pas flatter vos espoirs ; il a dû s’y perdre et n’en reparaîtra pas. Cependant je ne peux me décider à m’éloigner beaucoup de ce lieu ; quelque chose retient mes pas.
– Sire Bisclavret, intervint Mélisande, je suis prête à croire votre histoire, car vous n’eussiez pas facilement vaincu le chevalier que vous dites ; s’il en est un capable de l’emporter sur Merlin, c’est lui, je ne vous permets pas d’en douter. Menez-nous seulement à la forêt dont vous parlez.
Ainsi l’équipage parvint-il en vue de la demeure sylvestre qui fut celle de Merlin ; en amont d’elle, un cheval monté par un homme entravé, mené par une silhouette boitillante.
– Par ma foi, damoiselle, fit Bisclavret à Mélisande, j’ai été piqué par vos paroles, mais je veux bien m’incliner devant la force de votre chevalier ; il est vrai qu’en voilà un qui n’est pas ordinaire.
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