Chapitre 1
Arcadia, Louisiane
Début juillet
Je referme la portière de mon 4x4 noir puis m'avance vers l'entrée de la fête foraine, organisée tous les ans pour l'été, depuis une trentaine d'années.
Elle se situe en plein centre du village, près de la mairie. L'estrade a toujours été au même endroit ainsi que la buvette, les tables et bien entendu la piste de danse.
De jolies guirlandes électriques sont enroulées autour des poteaux, ainsi qu'à l'estrade et à la buvette alors que la musique bat son plein.
Je remarque Lukas et Romane qui m'attendent, assis sur le bord de la fontaine, érigeant en son centre une statue d'ange aux ailes déployées. Mon regard se porte au loin, apercevant les lumières de la fête, qui grouille de monde. La musique se fait entendre ainsi qu'un brouhaha tandis que je traine des pieds jusqu'à mes amis qui me sourient.
_ Tu as l'air vachement enthousiaste ! lance Romane, ma meilleure amie, en se levant.
_ Vous m'avez un peu forcé la main, je réponds en me grattant l'arrière de la tête. Je suis sur les rotules. La seule chose que j'ai envie de faire, c'est dormir.
_ Il est seulement vingt-deux heures, me fait remarquer Lukas. C'est tôt pour dormir.
_ Pas quand il fait nuit et que tu as bossé huit heures d'affilés en piétinant, je rétorque aussitôt en le bousculant doucement, un sourire aux lèvres.
Nous nous approchons de la fête, les voix et la musique se faisant plus fortes et nous remarquons un petit groupe sur la gauche.
Je les salue d'un signe de main, tout de même contente de les voir et m'y approche, suivie de Romane et Lukas.
_ Quand est-ce que tu vas te décider pour tes cheveux ? demande Matt à ma meilleure amie.
Elle glisse ses doigts dans sa chevelure rose coupée au carré, un sourire aux lèvres alors que je l'observe. Ca lui va très bien, cette couleur lui donne un petit côté doux, ce qui se marie très bien avec sa personnalité.
_ J'en avais assez du blond platine. J'aime le changement, lui dit-elle.
_ Et dans un mois, tu passes au bleu ?
_ Hm, peut-être. Ca pourrait être chouette, s'amuse-t-elle.
Matt lâche un léger rire et porte son attention sur moi.
_ Tu as l'air crevé, remarque-t-il alors que je fais la moue.
_ Je le suis, je réponds en opinant. Je n'en peux plus.
_ Tu devrais ralentir un peu. Tu bosses trop, intervient Sofia, une petite blonde à lunettes.
_ Il faut bien que je travaille, sinon ça va être catastrophique.
_ Ton père ne va pas mieux ?
_ Si, mais il n'est pas prêt à reprendre le travail, je réponds à Matt.
Mon père est charpentier. Il y a quelques semaines, il refaisait le toit de l'église et il est tombé de l'échafaudage. Cet accident aurait pu être bien plus grave, mais ses jambes ont méchamment étaient touchées.
Ma mère nous a quittés, il y a quelques années. Son cœur s'est simplement arrêté de battre sans signe avant-coureur. J'ai très mal vécu son décès, tout comme mon père. Elle me manque chaque jour qui passe et je suis obligée de vivre avec son absence.
Depuis, nous avons commencé à avoir des problèmes d'argent avec mon père. Il a alors commencé à travailler plus. Et quand j'ai eu l'âge de travailler, j'ai réussi à trouver une place dans l'unique bar/restaurant d'Arcadia. Mes horaires étaient arrangés suivant mes heures de cours et lorsque je suis allée à l'université, je bossais le week-end, puisque je rentrais chez moi tous les vendredis. Je n'ai malheureusement pas pu finir mes études, fautes de moyens financiers. Je suis donc revenue à Arcadia et je travaille maintenant à temps plein.
Je fais quelques heures supplémentaires depuis que papa a eu son accident, afin de payer les factures qui s'accumulent. Ce qu'il touche n'est pas suffisant depuis qu'il est en arrêt. L'assurance considère que c'est sa faute s'il est tombé. Il n'avait pas pris un seul jour de congés depuis presque deux semaines. Et il bossait dix heures par jour minimum. Trop fatigué, il ne pouvait pas être en pleine capacité de travailler correctement sans danger.
Il est à son propre compte, ce qui fait qu'il a toujours géré son emploi du temps comme il le voulait.
_ Vous savez qui est de retour au village ? lance Chris en arrivant vers nous, me sortant de mes pensées.
_ Qui ça ? s'enquiert Lukas.
_ Nate Johnson ! annonce Caro, la copine de Matt alors que je fronce les sourcils.
_ C'est à Emma que ça doit faire plaisir, glisse Romane en tournant la tête vers moi.
Elle se mord la lèvre et je sens le regard de tous sur moi. Je hausse les sourcils tout en soufflant.
_ J'en suis ravie, j'acquiesce. Ce mec a fait de moi sa cible de la primaire jusqu'à ce que je parte pour la fac ! Et ses potes trouvaient drôle de faire pareil.
_ D'ailleurs, ils doivent être contents qu'il soit revenu, nous dit Romane en regardant autour d'elle. Je suis sûre qu'ils sont tous là.
_ Ouais. Sûrement au stand de tir à la carabine ou au punchingball pour voir lequel a le plus de force, je réponds, mauvaise.
_ Ce n'est pas Bill qui gagnerait.
_ Ce mec, c'est une brindille, je lâche en regardant Chris qui hoche la tête, amusé.
Mon regard se pose un peu partout et j'espère secrètement ne pas tomber sur Nate. Je ne sais pas quelle serait ma réaction, si je devais le croiser. Et lui, est-ce qu'il m'attaquerait dès le départ ? Reprenant ce qu'il a laissé lorsqu'il est parti à l'université ? Je ne dirais pas que j'ai peur, plus maintenant. Mais ce qui est certain, c'est que je n'ai pas envie de me retrouver face à lui. Ne pas le voir pendant cinq ans était une bénédiction.
_ On fait un tour ? demande Romane.
_ Toi, tu veux voir à quoi Nate ressemble aujourd'hui, sourit Lukas.
_ Même si c'est un abruti, il est canon, s'exclame Caro alors que Matt la regarde, sourcils relevés. Eh, je ne touche pas, sourit-elle avant de l'embrasser tendrement.
Gardant le silence, je pars avec Romane, Sofia et Caro, qui attache ses longs cheveux roux en un rapide chignon.
Savoir que Nate Johnson est revenu à Arcadia me met mal à l'aise. Je ne m'attendais pas à entendre cette nouvelle et j'espère sincèrement ne pas le croiser ce soir.
Ni jamais.
Malheureusement, Arcadia n'est pas grande et je doute de pouvoir l'éviter éternellement.
Nous passons devant la buvette et je salue Madame Atwood qui me sourit.
_ Je suis allée voir ton père tout à l'heure, me dit-elle en posant sa main sur mon bras. Il a l'air d'aller mieux.
_ Oui, j'acquiesce. Il ronchonne moins, je lance, collant un faux sourire sur mes lèvres.
Elle lâche un petit rire sonore et me souhaite une bonne soirée.
Les habitants d'Arcadia sont chaleureux, amicaux et bienveillants. J'aime ce village malgré tout ce que j'y ai vécu. Les gens sont serviables et on se sent bien ici.
Je salue d'autres personnes, tout comme les filles, et nous arrivons au centre de la fête où se trouve une estrade avec un petit orchestre et des gens qui dansent.
Je souris à voir les parents de Romane se déhancher sur la piste ainsi que les grands-parents de Sofia.
Du monde regarde l'estrade, tous en cercle autour et je scrute chacun des visages, tombant ensuite sur une tête que je reconnais aussitôt, face à moi de l'autre côté.
Son regard croise le mien et il traverse la piste, passant entre les danseurs. Je soupire, prête à tourner les talons alors qu'il crie mon prénom.
_ Qu'est-ce qu'il veut, putain ? je râle en me tournant pour le regarder. Quoi ?
_ Ca fait longtemps qu'on ne s'est pas vus.
_ Ouais et ça m'allait bien, j'acquiesce, mauvaise.
_ Emma...
_ Dégage Aaron, sérieusement, intervient Romane.
_ Mêle-toi de ce qui te regarde, lui dit-il en la regardant.
_ C'est justement ce que je fais, rétorque-t-elle en fronçant les sourcils.
Le cousin d'Aaron s'approche, le prenant par le bras puis l'éloigne de nous sans piper mot. Ils se mêlent à la foule et je soupire une fois de plus, regardant autour de moi.
_ J'aime être au cœur de l'attention, je lâche, des regards posés sur moi. Je savais que c'était une mauvaise idée de venir ici ce soir.
Tout le monde se connait ici, Arcadia compte environ deux-mille habitants et tout se sait rapidement. Aaron et moi avons été ensemble pendant près de trois ans.
Plus rien n'allait entre nous, c'était disputes sur disputes. Le coup de grâce est arrivé au moment où je pensais qu'on passerait ce cap. L'infidélité.
J'ai appris qu'il avait couché avec d'autres filles, me faisant croire qu'il voyait ses amis.
J'ai alors préféré en rester là. Et il n'a jamais été d'accord. Il me disait sans cesse qu'il s'en voulait et il continue toujours de me le dire.
Nous nous sommes séparés il y a deux mois et il tente encore de me récupérer. Sauf que, ce qu'il a fait, n'est pas quelque chose que je peux pardonner. J'en ai beaucoup souffert et je commence depuis peu à m'en remettre.
Je passe une main dans mes longs cheveux châtains pour les replacer et tourne la tête vers Sofia qui s'allume une cigarette.
_ J'ai envie de faire un tour de grande roue, nous dit Caro en regardant plus loin, face à nous.
_ Bonne idée, j'acquiesce. Vous venez ? je demande à Romane et Sofia.
_ Ca ne me tente pas, c'est trop haut pour moi, me répond la petite blonde.
_ Je reste avec elle. On vous attend ici.
Je souris à Romane et m'éloigne avec Caro qui passe son bras sous le mien.
_ Alors avec Matt, ça va ?
_ Super, sourit-elle. Ce mec est génial ! Je sais que ça fait seulement trois semaines qu'on est ensemble, mais je vois la vie en rose, dit-elle en riant.
_ Matt est quelqu'un de bien. Il tient beaucoup à toi et je suis certaine que ça marchera vous deux, je lui assure.
_ J'espère, acquiesce-t-elle, ravie, avant de froncer légèrement les sourcils. Regarde qui est là, ajoute-t-elle, hésitante.
Je tourne la tête et repère Bill, Zach et Riley. Autrement dit, les inséparables. Il n'en manque qu'un.
_ Nate ne doit pas être très loin, reprend mon amie.
Nous passons à côté d'eux, les ignorant, et attendons au guichet de la grande roue pour prendre deux tickets.
_ Ils viennent par là, murmure Caro tandis que je soupire. Nate est avec eux.
_ Formidable, je souffle alors qu'elle sort son téléphone de sa poche.
J'ai une boule au ventre, mais je n'arrive pas à définir si c'est du stress à l'idée de faire face au brun ou de la colère qui remonte, toutes ces années me revenant de plein fouet.
_ J'ai reçu un message de Matt, glisse mon amie. Ils vont faire un tour au train fantôme.
_ Oh, je voulais y aller, je réplique en la regardant, tentant de faire abstraction de cette boule qui prend ses aises.
_ On ira après. Si on y va en même temps qu'eux, Chris ne va pas arrêter de nous faire chier pour nous faire peur.
_ C'est certain, j'acquiesce.
_ Salut les filles.
Je lève les yeux au ciel puis fais face à Riley qui tire sur sa cigarette, ses amis et son frère derrière lui. Mon regard n'ose pas lâcher celui du brun qui me fait face, son sourire collé aux lèvres. Je ne veux pas croiser les iris de Nate.
_ Salut Riley.
_ Cooper ?
Rassemblant mon courage, je finis par tourner la tête vers Nate qui me regarde, un peu surpris.
_ Elle-même, je lâche, comprenant que je suis en colère et non stressée. Mais j'ai un prénom, tu sais, je réponds. Tu es définitivement de retour ici ? Ou juste pour les vacances ? je l'interroge, tentant de ne pas éclater.
_ Je vais bosser avec mon père au garage. Donc, je suis de retour.
_ Super... je laisse trainer en soupirant, tendue.
Je remarque que c'est à nous et demande deux tickets à la guichetière, espérant que cet échange est terminé.
_ Tu n'es pas ravie de me voir, je me trompe ? s'enquiert Nate alors que je me mets sur le côté, les tickets en mains.
Je serre les dents et inspire discrètement.
_ C'est une question ou une affirmation ? je demande en tournant la tête vers lui tandis que Bill et Zach achètent leurs places.
Caro, me regardant du coin de l'œil, reste un peu en retrait, Riley n'étant pas loin non plus.
Je lève les sourcils, mon regard sur Nate.
_ Un peu des deux... me dit-il en fronçant légèrement les sourcils, l'air égaré.
_ Tu as tout à fait raison, je ne suis absolument pas ravie de te voir, je rétorque.
_ Au moins ça a le mérite d'être clair, lâche-t-il en fourrant les mains dans les poches de son pantalon. J'ai appris pour ton père.
_ Qu'est-ce que tu veux Nate ? je demande ensuite, fronçant les sourcils. Pourquoi tu me parles comme si on s'était toujours bien entendus ?
_ Les années ont passé.
_ Ouais, sauf que ça ne change rien pour moi, je largue réellement agacée. Tu as été un sale con pendant des années et je ne suis pas certaine que tu sois différent maintenant.
_ Ca fait cinq ans que je suis parti. Tu ne me connais pas, se défend-il d'emblée.
_ Mais, putain, tu me connaissais, toi ? je réplique aussitôt, mécontente. Non ! Alors, fais comme si je n'existais pas, ça m'arrangerait !
_ Cooper, tu...
_ Ferme-là ! je m'écrie en le tuant du regard. J'ai un prénom et tu n'as jamais su t'en servir donc si tu as un minimum de neurones, sers-t'en, je crache avant de regarder sur ma droite. Viens Caro.
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