Chapitre 2
Nous partons vers la grande roue, prenant place tandis que je bougonne dans mon coin, énervée.
_ Calme-toi. Il va être content de te voir dans cet état, me dit Caro.
_ Je m'en fous. Quel con !
_ Allez, profite de la vue, reprend-elle alors que la roue commence à tourner, nous menant à quelques mètres au-dessus du sol.
Je regarde tout autour de moi, appréciant le paysage que nous offre la Louisiane. Je montre le Lac Noir à Caro et remarque ma maison au loin.
Nous descendons après quelques minutes, le sourire aux lèvres, et rejoignons les autres au train fantôme.
_ Alors, vous avez fait le tour ? leur demande Caro.
_ Ouais, il est encore mieux que celui de l'an dernier, lui dit Chris, à côté de son frère qui le regarde.
_ Tu as crié comme une fille, lâche Matt. J'avais dit aux parents de te laisser regarder des films d'horreur, s'amuse-t-il. Tu n'aurais pas eu peur.
_ N'importe quoi, réplique-t-il avant de rire.
Romane s'approche de moi et regarde mon front.
_ Tu es énervée ?
_ Je l'étais il y a dix ou quinze minutes, j'acquiesce. Pourquoi ?
_ La veine sur ton front ressort à chaque fois que tu es en colère, me dit-elle en glissant son doigt dessus. Qu'est-ce qu'il y a ?
_ On a croisé Nate, lui apprend Caro.
_ Ce mec s'est mis à me parler comme si tout était normal, je m'exclame.
_ Et ses potes n'ont rien dit ? s'enquiert Sofia.
_ Riley s'est senti obligé de nous saluer, explique Caro.
_ Ce n'est pas lui le plus dérangeant. Son frère et Zach non plus d'ailleurs, je rétorque. C'est Nate Johnson le problème. Cet abruti avec son air hautain et son regard de fouine, je peste avant de soupirer. Il me sort par les yeux ce mec ! Il ne pouvait pas rester à Bâton-Rouge, sérieusement ?
Lukas, Chris et Matt pouffent discrètement et je les assassine du regard.
_ Quoi ? Ca vous fait rire en plus ?
_ Tu n'es plus la même, Emma. Tu peux l'envoyer sur les roses en moins de deux, me dit Lukas.
_ Tu parles ! J'avais la sensation d'être revenue au collège.
_ Tu l'as quand même envoyé chier, tu ne l'aurais jamais fait avant, intervient Caro.
Je hausse les épaules et fourre mes mains dans les poches de mon short. Je n'ai plus de rancœur envers les deux frères et Zach, ils se sont excusés il y a un moment déjà. De toute façon, ça n'a jamais été contre eux que j'ai eu le plus de rage. Ils suivaient Nate, mais ils ne s'acharnaient pas comme lui.
Mon téléphone se met à sonner et je le sors de mon sac.
_ C'est mon père, je dis avant de décrocher. Oui ?
_ Où tu es ?
_ A la fête du village.
_ Et tu comptes rentrer quand ?
_ Je ne sais pas trop. Pourquoi ?
_ Je veux que tu rentres, tout de suite.
Il raccroche, ne me laissant pas le temps de répondre, et je soupire discrètement, rangeant mon téléphone avant de regarder mes amis.
_ Je dois rentrer. Tant pis pour le train fantôme.
_ Un problème ? me demande Romane.
Je hausse les épaules et leur souhaite une bonne soirée avant de m'éloigner.
J'arrive rapidement vers ma voiture et la déverrouille en appuyant sur le bouton de ma clef.
_ Emma, attends.
Je tourne la tête et remarque Riley s'approcher rapidement de moi, buvant une gorgée dans sa bouteille de bière.
_ Qu'est-ce que tu veux ?
_ Ne m'agresse pas, je viens en paix, sourit-il.
_ On est en guerre toi et moi ?
_ Je sais que tu ne nous aimes pas trop.
_ Le pire, c'est ton pote, je réplique.
_ Il a changé.
_ Et donc ? je demande en montant dans mon véhicule, insérant ensuite ma clef dans le contact.
J'ouvre la vitre, refermant ensuite la portière et regarde le brun qui fourre une main dans ses poches.
_ Tu ne peux pas passer à autre chose ? Tu l'as fait avec nous.
_ Vous n'étiez pas aussi mauvais que lui, je lâche.
_ Il est définitivement de retour, ça serait sympa que ça se passe bien. Tu ne crois pas ? me demande-t-il. Il aimerait bien.
_ Qu'est-ce qu'il en a à foutre de ce que je pense de lui ? Et toi ? je m'enquiers aussitôt.
_ On a grandi, on n'est plus des gosses Emma. Ca serait cool que tout s'arrange. Ce n'est pas très grand ici, m'explique-t-il. Tu le croiseras forcément.
_ Ca n'empêche qu'il a pourri mon enfance et mon adolescence, je lâche. C'est quoi ce plan ?
_ Quel plan ?
_ Ce plan que tu me fais à me dire qu'il a changé et je ne sais quoi d'autre. Tout comme lui tout à l'heure quand il m'a dit que les années ont passé.
_ Ce n'est pas un plan.
_ Ca pue ! je crache. Retourne voir tes potes, Riley. Mon père m'attend.
Je tourne ma clef, mais rien ne se passe. Je tente une nouvelle fois et soupire, énervée.
_ Putain, ne me fais pas ça ce soir ! je râle en tapant mon volant des deux mains.
_ Ouvre ton capot, lance Nate en arrivant.
Je lève les sourcils, le regardant.
_ Pour quoi faire ?
_ Je suis mécanicien, tu te souviens ?
Ne répondant rien, je me résigne à déverrouiller le capot qu'il ouvre ensuite avant de regarder à l'intérieur.
Je tapote mes doigts sur le volant, agitée. Un autre soupir passe mes lèvres alors que je perds patience.
_ Je ne pourrais rien faire sur place, me dit Nate en se penchant pour me regarder.
Je descends du véhicule et m'approche lorsqu'il referme le capot.
_ Si tu veux, donne-moi tes clefs, je l'emmènerai au garage.
J'observe mon véhicule avant de croiser le regard de Riley puis de Nate.
_ Il faut que je reparte.
_ Je te ramène chez toi si tu veux, me propose-t-il.
Je le sonde quelques secondes et me résous à hocher la tête malgré ma forte envie de refuser. Je suis tellement fatiguée que je ne peux pas me permettre de rentrer à pied.
Nate regarde Riley qui tient toujours sa bouteille de bière à la main.
_ Je reviens après, lui dit-il tandis que le brun hoche la tête avant de nous laisser, me saluant de la main.
_ Pourquoi tu fais ça ? je demande en tournant la tête vers Nate.
_ Ca fait une trotte d'ici à chez toi.
_ Non, pourquoi tu es sympa ? Tu ne l'as jamais été avec moi, je réplique aussitôt.
_ Parce que j'ai été un abruti quand on était gosses.
_ Ce mot est un peu trop léger pour moi. Mais je vais tenter de rester polie, je réplique. Du coup, tu cherches à te rattraper ?
_ Il faut un début à tout, répond-il. On y va ?
Je récupère mon sac dans mon 4x4 puis le verrouille avant de suivre Nate jusqu'à sa voiture après lui avoir donné les clefs. Nous montons dans son véhicule et j'attache ma ceinture, les yeux rivés vers l'extérieur.
J'ai cette mauvaise impression qu'il me prépare un mauvais coup. Qu'il agit comme ça avec moi pour mieux frapper ensuite.
_ Tu n'as pas envie de me parler.
_ Tu voudrais que je te dise quoi ? je le questionne lorsque nous prenons la route.
_ Je ne sais pas. Si ça peut te faire plaisir, tu peux me pourrir le temps du trajet.
_ A quoi ça servirait ? Ca ne changerait rien, je réplique en tournant la tête vers lui.
Nate est brun, mesurant environ un mètre quatre-vingts. Il a longtemps eu les cheveux longs, les portant maintenant courts.
Ses yeux sont verts, assez petits. C'est un mec ayant un physique plutôt plaisant, c'est vrai. Mais tout ce que je retiens de lui, c'est ce qu'il m'a fait vivre pendant des années.
Nous arrivons chez moi après quelques minutes, le trajet s'étant fait dans le silence le plus total.
Je me rends compte que mon père m'attend sur le perron, debout, aidé par ses béquilles.
Une bière est posée sur la petite table à côté de lui et je me pince les lèvres.
_ Merci, je dis à Nate en ouvrant la portière.
_ Emma attends, lance-t-il en attrapant mon bras.
Je tourne la tête vers lui alors que mon père hurle mon prénom.
_ Est-ce que ça va avec ton père ? me demande-t-il en me lâchant tandis que je le cherche du regard.
_ Bonne soirée, je réponds seulement, commençant à descendre.
_ Attends !
Un autre soupir passe mes lèvres et je pose mes yeux sur lui.
_ Tu sais, quand on veut faire les choses bien, dans ton cas, on commence par s'excuser, je lâche. Mais même ça, tu n'en es pas capable. Tes amis l'ont fait.
Je descends de sa voiture et claque la portière avant de m'approcher de mon père qui regarde derrière moi.
_ C'est Johnson ? me demande-t-il mauvais, alors que je hoche la tête.
_ Il est de retour.
_ Ce petit con va encore faire des siennes. Il va encore te chercher des poux.
_ Les mots font mal, mais les coups aussi, je réplique avant d'ouvrir la moustiquaire puis d'entrer dans la maison.
_ Qu'est-ce que ça veut dire ?
_ Rien ! je rétorque aussitôt. Tu as besoin de quelque chose ?
_ Il y a une lessive à faire tourner et la vaisselle à ranger, me dit-il en entrant à son tour.
_ Ok. J'irai me coucher après, je suis crevée.
_ Pourquoi Johnson t'a déposé ?
_ Ma voiture ne veut plus démarrer, je réponds en posant mon sac sur la table de la cuisine. C'était ça où je rentrais à pied.
Mon père ne me répond rien, s'affalant sur son fauteuil, face à la télé. Il finit sa bière d'une traite avant de m'en demander une autre. De me l'ordonner plutôt.
J'ouvre le frigo, remarquant qu'il n'en reste qu'une et je soupire.
Je lui donne la dernière et range la vaisselle avant de me rendre à la buanderie pour faire tourner une lessive.
Je débarrasse ensuite son assiette et ses couverts posés sur la table de la cuisine puis attrape la bouteille de bière vide que je jette à la poubelle.
Je l'entends se lever de son fauteuil, tant bien que mal, et s'approcher de moi, sentant son haleine de bière.
_ Il faudra faire le ménage, c'est le bordel ici.
_ Si tu t'en donnais la peine, tu pourrais te débarrasser de tes béquilles et m'aider. Tu pourrais aussi reprendre le boulot.
_ Je suis fatigué ! s'exclame-t-il.
_ Moi aussi figure-toi, je lâche en tournant la tête vers lui, lavant son assiette. J'ai bossé toute la journée sans m'arrêter et...
_ Emma, ferme-là ! m' interrompt-il, en hurlant alors que je laisse tomber l'assiette dans l'évier après avoir légèrement sursauté. Tu es maladroite, ce n'est pas possible ! Quelle empotée !
Je ferme les yeux une seconde, me retenant de lui hurler dessus, puis ramasse les morceaux, me coupant le doigt tandis que mon père continue de râler.
Je préfère ignorer ses jérémiades et jette les débris à la poubelle, rinçant les couverts que je pose ensuite sur l'égouttoir.
Sans même répondre aux attaques de mon père, j'attrape un morceau d'essuie-tout que j'enroule autour de mon doigt.
_ Je vais me coucher, lance-t-il ensuite. Attends que la lessive soit terminée avant d'aller dormir, m'ordonne-t-il avant de disparaitre dans le couloir.
Je me frotte le visage puis m'approche de la table, fouillant dans mon sac à main pour en sortir mon paquet de tabac et mon briquet.
Je pousse la moustiquaire, la laissant se refermer derrière moi, et m'assois sur une marche du perron, roulant ma cigarette, un filtre coincé entre mes lèvres. Je termine rapidement et allume mon briquet, tirant longuement sur ma clope.
Je recrache la fumée et remarque des phares de voiture au loin sur ma gauche. Le véhicule passe devant chez moi et s'arrête à la maison voisine, à droite de la mienne, laissant descendre Bill et Riley, mes voisins depuis toujours. Eux aussi vivent encore chez leurs parents. Ils sont jumeaux, Bill est un peu plus fin et plus grand que son frère. Il est blond avec quelques piercings et des tatouages sur les bras. Riley a les cheveux bruns, mi-longs qu'il attache en chignon la plupart du temps. Il porte une barbe de quelques jours et a quelques tatouages également, mais moins que son frère. Ils ont tous les deux les yeux noisette et sont assez grands. Leur père est le Maire d'Arcadia quant à leur mère, elle est femme au foyer. Bill travaille à la mairie avec son père, dans l'administration, et Riley bosse à la voirie avec Zach.
Les phares de la voiture s'éteignent et la portière côté conducteur s'ouvre, laissant apparaitre Nate qui tourne la tête vers moi.
Je tire sur ma clope, ignorant le brun, lorsque mon chat revient d'une énième balade, une souris dans la gueule qu'il dépose à mes pieds.
_ Super Berlioz, je le félicite, mon regard posé sur la pauvre petite bête à l'agonie. Mais je n'ai pas faim, tu vois, je lâche, écœurée, tout en tapotant ma cigarette.
Il reprend l'animal à moitié mort dans sa gueule puis s'éloigne en trottinant, s'installant sur l'herbe un peu plus loin pour mâchouiller sa proie.
Un léger coup de vent fait virevolter mes cheveux que je replace d'une main quand mes yeux bleus se posent sur la boite aux lettres, dont quelque chose dépasse. Je me lève, m'y approchant et attrape l'enveloppe.
_ Emma ! Qu'est-ce que tu fous ?
Je fais volte-face, regardant mon père qui se tient contre le chambranle de la porte, ne tenant plus debout même avec ses béquilles.
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