Chapitre 3

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Je me précipite vers lui, lâchant mon mégot et attrape le bras de mon père pour l'aider à entrer dans la maison alors que je me sens honteuse qu'il se montre comme ça.

_ Je vais t'aider à aller te coucher, je lui dis en refermant la porte derrière nous.
_ Qu'est-ce que tu faisais dehors ?
_ Je prenais l'air et je fumais une cigarette en attendant que la machine soit finie, je lui explique, posant l'enveloppe sur la table avant de nous diriger vers le couloir.
_ La machine ?
_ La lessiva papa, je précise alors que nous entrons dans sa chambre.
_ Tu as fait tourner une lessive à cette heure-ci ?
_ C'est toi qui me l'as demandé.

Ordonné serait plus juste.
Je ressors de sa chambre quelques instants après puis retourne sur le perron, me roulant une nouvelle cigarette après avoir récupéré mon téléphone.

_ Bonsoir Emma.
_ Bonsoir Madame Harper, je réponds alors qu'elle se trouve de l'autre côté de la barrière, chez elle.

Je m'approche, tirant sur ma clope et recrache ma fumée avant d'arriver à sa hauteur.

_ Est-ce que tout va bien ?
_ Bien sûr, j'acquiesce. Pourquoi ?
_ Emma, comment va ton père ? s'inquiète-t-elle.
_ Tout va bien. Il va de mieux en mieux.
_ Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas. Tu le sais ?

Je hoche la tête, la remerciant, et coupe court à la conversation en tournant les talons pour m'assoir sur une chaise sur le perron.
Je réponds au message que Romane m'a envoyé il y a plusieurs minutes, me demandant comment ça se passe à la maison. "Comme d'habitude... Il n'y a déjà plus de bières dans le frigo et Monsieur est sur les nerfs."
Elle m'envoie un nouveau message peu de temps après et je lui dis qu'elle peut venir dans une demi-heure, lorsque mon père sera dans un sommeil profond.
Je n'ai plus envie de dormir, mon coup de mou est passé et je suis trop préoccupée par l'état de papa pour dormir sur mes deux oreilles.
Romane arrive à l'heure dite et s'assoit à côté de moi, posant deux canettes de coca sur la table.

_ Il était ivre ? me demande-t-elle.
_ Comme tous les soirs, j'acquiesce, m'allumant une autre cigarette après l'avoir roulée. Et les voisins ont tout vu. Madame Harper est venue me parler. Nate est là aussi, j'ajoute au moment où ce dernier sort avec les jumeaux.
_ Au fait, pourquoi ta voiture est restée sur le parking de la place ?
_ Impossible qu'elle redémarre, je soupire. Encore une galère.
_ Comment tu es rentrée ?
_ Devine, je réponds en regardant Nate.
_ Sérieux ? s'étonne ma meilleure amie alors que je hoche la tête.

Je lui raconte notre petite conversation et elle lève un sourcil tandis que je hausse une épaule.

_ Il veut se racheter.
_ Il n'est pas chié quand même, réplique Romane.
_ Ca m'énerve qu'il soit de retour en ville. Il m'agace ce gars.

J'écrase ma cigarette dans le cendrier après avoir tiré une dernière fois dessus et avale ensuite quelques gorgées de soda.

_ Qu'est-ce qu'il a à me regarder comme ça ? je demande, irritée.
_ Je l'ai entendu parler avec ses potes tout à l'heure avant qu'ils partent. Il ne pensait pas que tu aurais autant changé. Il ne t'a presque pas reconnue.
_ Je comprends pourquoi il était étonné quand il m'a vu à la fête alors... je glisse, passant ma main dans mes cheveux. Qu'est-ce qu'il a dit encore ?
_ Figure-toi qu'il n'a rien dit de méchant. Il te trouve super jolie et il ne pensait pas que tu l'enverrais chier, sourit-elle. Ilcroyait que tu aurais fait comme avant, te taire, précise-t-elle. Il n'est pas au bout de ses surprises.
_ S'il pense que ça va changer quoi que ce soit, il peut toujours courir ! je rétorque en regardant sur ma droite. Berlioz, viens là ! je m'exclame en me levant. Berlioz !

Il saute par-dessus le grillage, se rendant chez les Harper et je peste contre cet abruti de chat.

_ S'il passe la nuit dehors, mon père va hurler, je lance en descendant les trois marches du perron. Berlioz, ramène ton derrière tout de suite !
_ Tu es autoritaire.
_ Tu ne me connais pas, je réponds à Nate qui est sur le pas de la porte des Harper, avec les jumeaux. Putain, Berlioz !

Je remarque le rouquin chasser une bête dans les herbes hautes près du grillage, au fond du jardin de mes voisins, tout en m'ignorant.

_ Ce chat va me rendre dingue, je siffle.
_ Il va bien revenir, intervient Bill.
_ Ouais, demain, et je vais me faire engueuler parce qu'il aura passé la nuit dehors, je rétorque sans le regarder.
_ Tu veux qu'on essaie de le choper ? me demande Romane.
_ Si tu veux courir toute la nuit, je t'en prie, je lui dis avant de soupirer.

Je fourre mes mains dans les poches de mon short en jean et tourne les talons.

_ Je vais essayer de l'appâter.

J'attrape un de ses jouets qui traine sur l'herbe et le remue après avoir attiré l'attention de Berlioz.
Il se met en position de chasse, me fixant de ses yeux, puis se met à courir comme un dingue vers moi, sautant sur son jouet. J'attrape mon chat dans mes bras et nous entrons chez moi avec Romane, ignorant mes voisins et Nate.
Ma meilleure amie pose mon paquet de tabac et mon téléphone sur la table de la cuisine alors que Berlioz saute de mes bras avant de courir vers le couloir.

_ "Tu es autoritaire", je lâche, imitant Nate. Il ne voudrait pas fermer sa gueule ?

Je me réveille, allongée sur le canapé, et bâille à m'en décrocher la mâchoire, regardant autour de moi.
Merde.
Je me lève, étant encore somnolente et mes pieds me guident vers la buanderie pour étendre le linge que j'ai fait tourner hier soir.
Romane est restée environ une heure avant de repartir. C'est elle qui ouvrait le salon de coiffure où elle bosse, ce matin. Je me suis allongée sur le canapé en attendant que la lessive se termine, mais les bras de Morphée m'ont emportés.
Je me dépêche d'étendre le linge et en profite pour faire tourner une autre machine avant de retourner à la cuisine, pour faire couler le café. Je sors ce qu'il me faut puis attrape un verre que je remplis de jus de fruits avant de le boire d'une traite.
J'ouvre ensuite la porte d'entrée, laissant la moustiquaire fermée et attrape mon tabac, pour me rouler quelques clopes, en coinçant une entre mes lèvres une fois faite.
Après être sortie, je l'allume, tirant dessus et recrache la fumée par les narines, regardant ensuite mon téléphone.
Je bosse dans deux heures, ce qui me laisse le temps de bien me réveiller et de me préparer. Il faut aussi que je fasse un brin de ménage si je ne veux pas me faire engueuler parce que rien n'a été fait.
Je fume rapidement ma cigarette puis retourne à la cuisine pour me servir un café que je laisse un peu refroidir, le temps de passer un coup de balai.
Une fois fini, j'entends la porte de la chambre de mon père s'ouvrir. Je lui sers alors une tasse que je pose sur la table, à sa place, et m'assois en face, sirotant mon café.

_ Bonjour ma chérie.
_ Salut papa.

Je détaille son visage qui a pris un sacré coup de vieux depuis que maman est partie, et je me rends compte qu'il a mauvaise mine.

_ Bien dormi ? je demande.
_ Hm. Pas vraiment.

Gueule de bois, assurément.
Il s'installe devant son café alors que je termine le mien.

_ Tu bosses à quelle heure ?
_ Dix heures, je lui réponds avant de regarder la grosse horloge accrochée sur le mur derrière lui. Je vais à la douche et j'étendrai la machine qui tourne. J'ai mis un cycle court. Tu as besoin de quelque chose ?
_ Qu'est-ce qu'il y a dans le frigo pour que je mange ce midi ?
_ Le reste du gratin d'hier midi.

Mon père agit souvent comme un gamin depuis son accident. C'est comme si j'étais son cerveau et ses jambes, c'est de plus en plus insupportable. Je sais bien que c'est compliqué pour lui, mais je ne peux pas être à ses petits soins 24h sur 24. J'ai, moi aussi, une vie et un travail.

La journée est passée vite, la nuit tombe déjà sur Arcadia et un léger vent me fait frissonner. Je suis fatiguée comme je ne l'ai jamais été et je dois rentrer à pied, ma voiture devant rester au garage jusqu'à demain.
Je fourre les mains dans les poches de mon short noir puis regarde à gauche et à droite avant de traverser la rue déserte.
J'entends des pas au loin et remarque une silhouette dans l'ombre d'un lampadaire.

_ Emma !

Je fronce les sourcils, reconnaissant la voix de Matt qui finit par s'approcher.

_ Tu n'as pas récupéré ta caisse ? m'interroge-t-il.
_ Non, j'ai un problème de bougie et je ne sais plus quoi, je réponds en secouant la tête. Je n'y comprends rien.
_ Tu rentres à pied ?
_ Tu veux que je fasse comment ?
_ Ton père aurait pu te prêter son pickup.
_ La batterie est à plat, je lui explique alors qu'il s'allume une clope. Ca fait longtemps qu'il n'a pas roulé.
_ Je viens de déposer Caro chez elle. Je te ramène si tu veux, me propose-t-il pendant que je me mets à bâiller.
_ C'est gentil. Je suis morte.

Je bâille une fois de plus et nous arrivons à sa voiture dans laquelle nous montons, prenant ensuite la route.

_ Ca a été au boulot ?
_ Comme toujours. Sauf que Nate s'est senti obligé de venir. J'ai bien cru qu'il voulait me taper la discut'. Mais puisque je courrai partout, il ne l'a pas fait.
_ Ca t'arrange bien, sourit Matt en me regardant tandis que je hoche vivement la tête.
_ Je ne comprends pas pourquoi il agit comme ça, je glisse. Je préfèrerai encore qu'il m'ignore. Parce que là, j'ai l'impression qu'il attend le bon moment pour me faire encore un sale coup, j'explique.
_ Tu crois vraiment ? demande Matt.
_ Je m'attends à tout avec lui. Après toutes les saloperies qu'il m'a faites. Ca ne serait pas étonnant qu'il reprenne les choses en mains.

Nous arrivons peu de temps après chez moi et je descends de voiture, remerciant Matt une fois de plus.
Je regarde la voiture s'éloigner après qu'il a fait demi-tour puis tourne les talons, croisant Berlioz qui saute après un papillon de nuit, essayant de l'attraper.
Je me frotte les yeux et m'assois sur le perron, m'allumant une cigarette, à moitié endormie. Heureusement que je suis en repos demain, je vais pouvoir souffler un peu.
Mon regard se pose droit devant moi et je me lève. Je passe le petit portail puis traverse le chemin de terre avant d'arriver dans le petit bois que je traverse, allant droit devant moi pour arriver au cimetière.
J'arrive dans la troisième allée et m'assois en tailleur au pied d'une tombe, celle de ma mère.
Quelques voix se font entendre au loin, les ados viennent souvent trainer ici, je n'ai jamais vraiment compris pourquoi. Cet endroit est triste et lugubre, particulièrement la nuit. Je ne vois pas ce qu'il y a de plaisant à passer la soirée dans un cimetière.
Je tire sur ma cigarette, mes yeux rivés sur la pierre tombale, quand quelqu'un s'assoit à côté de moi.

_ Qu'est-ce que tu fais là ? je m'enquiers en recrachant ma fumée.
_ Je t'ai vu arriver, me dit-il alors que je regarde toujours les écritures sur la pierre en face de moi.
_ Et qu'est-ce que tu fais dans le cimetière à cette heure-ci ?
_ Et toi ? demande-t-il à son tour.
_ Ca me parait évident, non ? je réponds en tournant la tête vers lui. Ma mère est juste là, je glisse avant de tirer une fois de plus sur ma clope et l'écrasant ensuite sur l'herbe.
_ Pourquoi tu ne dors pas ? Tu es crevée, Emma.

Je hausse les épaules puis m'allonge, les pieds à plat, les genoux repliés et mes mains posées sur mon ventre.
Je regarde les étoiles et le visage de Chris apparait devant le mien, proche.
Très proche. Trop proche.
Ses lèvres se posent sur les miennes alors que je ne réagis pas. Mes yeux se ferment, mais je ne participe pas au baiser. Pourtant, je devrais faire quelque chose. Le repousser.
Sauf que je suis tellement fatiguée que rien ne vient. Ses lèvres sont douces, vraiment douces.
Il s'écarte de moi, se remettant assis et je me redresse, m'installant en tailleur avant de le regarder.

_ Pourquoi tu m'as embrassé ? je lui demande.
_ Tu n'as jamais compris, hein ?
_ Comprendre quoi ?
_ Que tu me plais depuis toujours Emma, me dit-il simplement.

Il se lève alors que je le scrute, bouche bée, totalement ahurie.
Aucun son ne sort de ma bouche et je le regarde s'éloigner, ne réagissant toujours pas.

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