Chapitre 5

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Nous nous éloignons des autres, sous le regard de certains, et allons vers la fontaine. Je m'assois sur le bord tandis que Chris reste debout, les mains dans les poches, me fixant.

_ Je ne m'attendais pas à ça.
_ Ouais, j'ai bien vu. Et j'ai compris que mes sentiments ne sont pas partagés.
_ Pourquoi tu ne m'as jamais rien dit ?
_ Parce que je n'osais pas, répond-il. J'ai voulu le faire, il y a quelques années, et tu es sortie avec Aaron. Et là... Je me suis dit qu'il fallait que je tente quelque chose.
_ Chris, on est amis depuis toujours et tu es comme de ma famille. On a grandi ensemble.
_ Je comprends.
_ Je suis désolée.
_ Tu n'as pas à l'être, réplique le brun.
_ Je n'ai pas envie que ça change entre toi et moi, je glisse. Mais je comprendrai si tu veux prendre tes distances.
_ C'est plutôt toi qui aurais envie de prendre des distances.
_ Je n'en ai pas envie, je réponds en secouant la tête.
_ Tant mieux, sourit-il en me tendant la main.

Je l'attrape, me remettant debout puis prends mon paquet de tabac dans mon sac. Je me roule rapidement une cigarette et la porte à mes lèvres avant de l'allumer.
Nous rejoignons les autres sans rien dire et je suis soulagée que personne ne nous demande pourquoi nous sommes partis discuter. Je sens parfois le regard de Chris sur moi, mais je n'y prête pas attention, discutant avec Sofia et Romane.
Caro attire mon attention et jette un œil derrière moi. Je me tourne légèrement, mon regard se posant sur Nate qui rit avec Riley.
Je lève les yeux au ciel, regardant à nouveau les filles avant que Matt se mette à me regarder en souriant, un air amusé.
Je l'interroge du regard et il s'approche de moi.

_ Il a été sympa avec toi, me dit-il.
_ De quoi tu parles ?
_ Les frais pour ta voiture.
_ Je n'ai rien demandé, je rétorque d'emblée alors que tous nous regardent.
_ Em', sérieusement. Tu vois bien qu'il a changé.
_ J'y croirai quand je le verrai.
_ Il te l'a déjà prouvé.
_ En faisant quoi ? Me ramenant chez moi l'autre soir et en m'évitant de payer les frais de réparations sur ma voiture ? je demande en levant les sourcils, interrogatrice. Matt, les éboueurs font plus pour moi que Nate Johnson !
_ Tu as bien dit qu'il voulait te prouver qu'il a changé ?
_ Oui et donc ?
_ Il veut peut-être commencer maintenant.
_ Quoi ?
_ Il arrive, précise-t-il.

Je tourne la tête, croisant le regard de Nate qui a les mains au fond de ses poches, marchant vers nous.

_ Pourquoi tu es de son côté soudainement ? je demande à Matt en le regardant.
_ Je l'ai croisé hier soir, m'avoue-t-il alors que Nate arrive à notre hauteur.

Il ouvre la bouche, prêt à parler, mais je l'interromps en levant légèrement la main, fixant Matt.

_ Continue.
_ Em'...

Son regard passe de Nate à moi tandis que je fronce les sourcils.

_ Quoi, c'est lui qui te dérange ? je demande. Vous vous êtes vus hier, et quoi ?
_ Et je lui ai dit que je n'avais pas de mauvaises intentions, répond Nate à la place de Matt.
_ Je lui ai demandé ce qu'il te voulait, continue le copain de Caro.
_ J'aimerais bien le savoir aussi, je glisse en regardant Nate. Qu'est-ce que tu fais là d'ailleurs ?
_ Comme tout le monde, je viens à la fête.
_ Non, ici, devant moi ?
_ J'ai oublié de te rendre les papiers de ton 4x4, me répond-il en me les tendant. Je ne savais pas si tu serais là ce soir, mais je pensais bien voir l'un de tes amis et lui donner. Mais puisque tu es là...

Je prends l'enveloppe qu'il me tend et la glisse dans la poche arrière de mon pantacourt, me sentant gênée de m'être un peu importée.

_ Merci.

Il hoche la tête puis tourne les talons sans rien ajouter. Doucement, je me tourne vers Matt qui regarde le brun partir. Il pose ensuite ses yeux sur moi et fourre les mains dans ses poches.

_ C'est tout ce qu'il t'a dit ? je demande tandis qu'il hoche la tête. Et il t'a paru sincère ?
_ Il en avait l'air, acquiesce Matt. Je dois être le seul à penser ça, mais tu devrais laisser une chance à Nate.

Je fronce les sourcils, un peu étonnée qu'il me dise ça et je soupire.

_ Je reviens.
_ Où est-ce que tu vas ? me demande Lukas.
_ Mettre les choses à plat ! je lance en m'éloignant.

J'avance un peu plus vite et attrape le bras de Nate qui se tourne vers moi.
Nous sommes arrêtés en plein milieu de la fête et je fronce les sourcils, son regard posé sur moi.

_ Si tu as l'intention de faire quoi que ce soit, je...
_ Ne sois pas suspicieuse comme ça, Emma, s'il te plait, glisse-t-il en me coupant la parole.
_ Suspicieuse ? je m'écrie alors qu'un petit groupe d'ados passe à côté de nous en discutant joyeusement. Tu ne crois pas que j'ai des raisons de l'être justement ? je le questionne, tendue. Tu reviens à Arcadia après cinq ans et tu es totalement différent. Tu te montres différent, je rectifie. Tu discutes de moi avec Matt et je ne comprends pas pourquoi. Je sais bien que tu n'es pas revenu pour me faire chier ou te faire pardonner. Je sais que je ne suis pas la raison de ton retour et heureusement parce que ça serait flippant ! j'ajoute alors qu'il me regarde sans rien dire, m'écoutant attentivement. Mais je ne peux même pas être certaine de ce que tu me dis, Nate. Comment je peux te faire confiance ? Tu me donnes l'impression de vouloir... Je n'en sais rien. De vouloir être sympa, comme si tu avais envie qu'on soit de bons amis et je n'aime pas ça ! Vraiment pas, j'ajoute en croisant les bras sur ma poitrine.

J'inspire longuement, Nate gardant le silence, et je décide de reprendre ma tirade, ayant ce besoin de tout lui balancer.

_ Rien ne me prouve que c'est sincère. Que tu as réellement changé, je rajoute. Tu pourrais très bien jouer un rôle. À première vue, tu donnes l'impression d'être un mec adorable, mais toi et moi, on sait parfaitement de quoi tu es capable. Tu n'as besoin que de mots pour rabaisser quelqu'un, pour lui faire sentir que ce n'est qu'une pauvre merde, je lâche, me rappelant tout. Ne te comporte pas comme quelqu'un de sympa si c'est pour reprendre tes sales manies, Johnson. J'ai assez morflé comme ça par ta faute. Peu importe tes intentions, laisse tomber. Je préfère encore que tu fasses comme si je n'existais pas. Pour une fois, tu m'ignoreras, je lâche avant de regarder les gens s'amuser.
_ Laisse-moi te montrer qui je suis vraiment.
_ Qui tu es, je l'ai déjà vu ! je réplique d'emblée, mâchoire serrée.

Je souffle par les narines, me rendant compte que mon cœur tambourine dans ma poitrine. Mes nerfs sont tendus, j'arrive à m'énerver toute seule.
Rien que de penser à ce que ce mec m'a fait vivre pendant mon enfance et mon adolescence me fait grincer des dents. Il est hors de question qu'il reprenne ses activités.

_ Je n'ai aucune mauvaise intention.
_ Arrête ! je m'exclame toujours sans le regarder. N'agis pas comme si tu avais des remords, tu...
_ Et pourtant j'en ai ! lâche-t-il. Pendant ma deuxième année d'université, une nana s'est suicidée, soupire-t-il alors que je tourne la tête vers lui. Elle commençait sa première année et elle a eu la malchance de se retrouver avec celui qui l'a prise pour son souffre-douleur, au lycée. On a su que c'était trop dur pour elle et...

Je le cherche du regard et me rends compte qu'il est mal à l'aise, comme s'il se sentait coupable.

_ Avec ça, j'ai pensé à ce que je t'avais fait et j'ai réalisé que les mots peuvent faire plus de mal que les coups.
_ Beaucoup plus de mal, c'est une douleur qui reste, je laisse trainer. Surtout quand on ne sait pas répondre et qu'on est trop vulnérable. Comme moi avant, je rétorque.
_ Je me suis rendu compte que j'ai souvent été trop loin. Que j'ai été un véritable connard. Quand j'y pense aujourd'hui, j'arrive à me demander pourquoi ça me plaisait de faire ça.
_ Tu te sentais fort.
_ Et pourtant, je ne l'étais pas, reprend-il aussitôt. Emma, je suis vraiment désolé. Je t'assure que je n'ai aucune mauvaise intention.
_ D'accord, j'acquiesce doucement.
_ Tu te méfies quand même.
_ C'est normal, non ?
_ Ouais, murmure-t-il. Est-ce que... Qu'est-ce que je peux faire pour essayer de me faire pardonner de tout ce que j'ai fait ?
_ Tu as combien d'années devant toi pour y parvenir ? Ca risque d'être long. Mon calvaire a duré plus de dix ans.
_ Ton calvaire ? À ce point-là ?
_ Je croyais que tu te rendais compte de ce que j'ai subi ?
_ Approximativement.
_ Combien de fois, tu as raconté que je m'étais pissée dessus, que je regardais les filles se changer dans les vestiaires ? Tu te foutais sans arrêt de mon appareil dentaire et de mes lunettes, je lâche, me sentant de nouveau très tendue.

Son regard me fuit, fixant le sol alors que je ne cesse de le dévisager.

_ Peut-être que certains diraient que ce n'était pas grave. Mais quand tu as entre huit et quinze ans, c'est dur. C'est invivable, je lui explique en fronçant les sourcils, sentant mes larmes monter. Et quand on était au lycée, tu racontais que je ne me lavais jamais. Que je vivais dans un taudis, j'ajoute en secouant la tête. Et ça, c'est seulement quelques détails. Je n'oublie pas toutes les insultes, les regards moqueurs, les messes basses dans les couloirs ou en classe, je poursuis en remettant une mèche de cheveux derrière mon oreille. Je rentrais chez moi en pleurant tous les soirs. Je bataillais avec mes parents tous les matins pour ne pas aller à l'école à cause de toi ! je crache, énervée.

Ne réfléchissant pas, je retire mes bracelets avant de lui montrer l'intérieur de mon poignet.

_ Je comprends le geste de cette fille à ton université ! J'ai voulu me suicider, tellement j'étais à bout, je lâche, le regard brillant. Heureusement que j'ai loupé mon coup.

J'inspire longuement, regardant les quatre cicatrices de coupure alors que les doigts de Nate glissent dessus. Je retire mon bras rapidement, remettant ensuite mes bracelets et me risque à le regarder.
Ses sourcils sont tristement froncés tandis qu'il secoue lentement la tête.

_ Je...
_ Ouais. Ca va, je sais, je l'interromps. Si tu n'es pas trop con, tu garderas ça pour toi.

Je tourne les talons, le laissant là, puis passe entre quelque personnes avant de rejoindre les autres.

Je ne suis pas retournée à la fête depuis une semaine, je ne voulais pas croiser Nate. Et en plus, j'étais bien trop fatiguée et trop prise par mon travail et la maison.
Papa s'est enfin débarrassé de ses béquilles, ayant vu plusieurs fois son kinésithérapeute.
Il ne peut pas encore reprendre le travail, mais il arrive facilement à se déplacer maintenant. Je le soupçonne d'avoir joué la comédie avant ça. Je pense qu'il aurait pu marcher sans ses béquilles bien avant, mais je ne lui en parle pas. Il se fâche aisément.
La preuve en est, il me hurle dessus depuis bien cinq minutes parce que je ne lui ai pas racheté de bières alors qu'il vient de terminer la dernière.
J'ai tout fait pour ne pas lui en ramener, mais un de ses amis est passé le voir avec un pack et une bouteille de whisky hier soir. Ils ont bu quelques bières et mon père a tout terminé dans la journée, sans oublier le whisky.
Je range les dernières assiettes dans le placard, ignorant ses hurlements quand il balance son verre juste à côté de ma tête, contre le meuble. Je sursaute, le verre éclatant en mille morceaux et les débris atterrissent sur le sol.
Je me tourne, faisant face à mon père qui me tue du regard, levant la main, prêt à frapper. Je le pousse puis me précipite hors de la maison, poussant la moustiquaire alors que la porte d'entrée est déjà grande ouverte.
Je descends rapidement les marches du perron, traverse l'allée en courant et passe le portail, me retrouvant sur la route quand une voiture arrive sur ma droite, venant de chez les jumeaux. Je lui fais face, les phares droits sur moi tandis que ma bouche s'entrouvre.
Un crissement de pneus se fait entendre et je retrouve ma respiration une fois le véhicule arrêté, à quelques centimètres de moi.

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