3.2 Ian - Été
Été 2013
Max me change.
Ou bien, au contraire, il me révèle.
Je découvre la peur. J'ai peur, sans aucun doute, de ce que je ressens.
Ma statue se craquèle pour découvrir la chair enfermée dessous.
J'ai revu la femme aux yeux chocolat. J'ai pensé au mot "bleu". J'ai vu un homme, aussi, plusieurs fois. Et j'ai rêvé d'un ours chaque soir après l'avoir vu.
Mes rêves sont devenus sauvages.
Max me pose des questions, il me parle de lui, de la vie, me présente à ses amis, m'emmène le voir danser au conservatoire. J'y ai vu un garçon, aveugle et sourd. Un prodige, a-t-il dit. Un danseur d'une technique parfaite, d'une émotion sublime, et qui ne répond pourtant qu'aux vibrations des basses sur le parquet. Je me suis arrêté un long moment pour l'observer. Je me suis dit qu'incapable de ressentir les vibrations du monde, j'étais sans doute bien plus aveugle et sourd que lui. Il m'a inspiré, je dois dire, à creuser encore davantage...
Mais plus j'avance, et plus j'ai peur.
La petite amie de Max, par exemple, m'inspire un sentiment de répulsion intense. La sensation est si violente qu'elle ne semble pas m'appartenir. Chaque fois que je la vois, je ne pense qu'à fuir le plus loin possible. J'en viens presque à désirer retourner six mois en arrière, quand tout était éteint, machinal et facile.
Max voit facilement quand je suis troublé. Il me demande toujours si je vais bien. Cette simple question dans sa voix à lui m'apaise aussitôt. Alors je lui souris. Il aime quand je souris. Je le vois, parce que son regard pétille et ses pommettes remontent d'un centimètre pour exprimer sa joie.
Je l'aime bien. Oui, il me semble que c'est ça, bien aimer quelqu'un. Apprécier sa compagnie, l'attendre même. Oser s'exprimer, de plus en plus aisément, de plus en plus volontiers. Et puis prendre goût à le regarder. J'aime son visage commun et sa coupe de cheveux toute simple. J'aime l'aspect gris sombre de ses yeux, et la légère corolle autour de sa pupille.
Oui, c'est certain, sa présence me secoue. J'ai du mal à rester Ian.
Quelque chose me pousse à poursuivre mes pas réguliers : Etudier, manger, marcher, dormir. Quelque chose de puissant qui compresse mon esprit. Mais Max ne cesse de me pousser de côté. Il déclenche chez moi des gestes que je ne comprends pas. Je frissonne quand il me touche, la plénitude me gagne lorsqu'il pose sa tête sur mon épaule. Je ris quand il ris. Savais-je même rire, avant ? C'est étrange, vraiment étrange.
Et nous parlons, des livres que nous lisons, de nos rêves. Je répond à toutes ses questions. Je lui parle de l'ours, des yeux vairons, des cris, du sang. Il me dit que ce ne sont pas des rêves, mais des cauchemars. Et je réponds que c'est la première fois que je rêve tout court.
Quelques nuits, il a dormi avec moi. Il a dit que j'étais agité. Il a dit que je lui avais même fait peur, une fois.
Des cauchemars, en réalité, je ne sais pas. L'image de l'ours m'apaise énormément. A tel point que je la recherche, lorsque mon coeur bat trop fort. Lorsque la petite amie de Max me regarde de son air méfiant. Lorsque mon corps tremble sans raison, le soir au coucher.
L'ours, les yeux vairons, les boucles rouges, les chaînes, les cris, le sang, le goût métallique, les odeurs de peur et d'urine... Sont-ce vraiment des cauchemars ? Suis-je vraiment endormi lorsque ces images me viennent ?
Il y a quelque chose... Quelque chose qui m'empêche de croire que c'est aussi simple. Qu'il ne s'agit pas du simple fruit de mon imagination.
Je me surprend à chercher du regard la femme aux yeux chocolat, et l'homme trapu aux cheveux en broussaille. D'eux, je ne parle jamais à Max. J'ignore pourquoi. Je pense que ça l'effraierait. Dans les livres, être suivi par des étrangers est toujours effrayant.
Mais, moi, ils me rassurent. Ils me font l'effet d'une ancre mystérieuse. Même si mes souvenirs me noient... Même si Ian est perdu, qu'il ne sait plus étudier, manger, marcher et dormir...
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