3.8 Ian - Echappée
Quelques soirs après cette ignoble expérience, Ezéar s'est introduit dans ma chambre. J'étais aveugle : pas un seul rayon de lune ne filtrait par la minuscule meurtrière en haut du mur. Il faut croire aussi que j'étais sourd, car ses pas ne l'ont pas annoncé. Allongé dans mon lit, j'ai sans doute été éveillé par l'ouverture de la porte, mais je n'en avais pas conscience. La première chose que j'ai senti, c'est une main sur ma bouche et un souffle frais sur mon front qui sentait le lichen.
- Ne crie pas.
Son murmure était à la fois ferme et doux. J'ai deviné immédiatement que c'était lui. Déchiré entre la joie et l'agacement, j'ai repoussé sa main loin de ma bouche et lui ai demandé comment il m'avait trouvé. Il a répondu qu'il travaillait pour Svenhild, mais en disant ça, il a pressé mon pouce si fort que j'ai compris qu'il me sommait de ne pas réagir. Alors j'ai étouffé ma surprise. Etrangement, ma confiance en lui n'a pas flanché un instant. Mais je lui ai quand même arraché ma main.
- Elles m'ont testé. Tu le savais ? Qu'elles feraient ça ? Qu'elles me mettraient toutes sortes de gens torturés entre les pattes pour voir ce que j'en faisais ? Il y en a une qui m'a suppliée de la tuer !
J'étais en colère. S'il travaillait pour elles, et même s'il faisait semblant, il devait savoir. Et s'il savait, il était obligé de partager ma colère.
- Ian, tais-toi.
Je me suis tu. Il a fermement attrapé la peau de ma nuque et j'ai senti son souffle sur mon nez quand son visage s'est approché.
- Tu vas être fort. Tu vas leur prouver que tu n'as pas besoin d'être là.
Des larmes ont mouillé mes yeux, mais je ne sais si c'était de chagrin ou de rage. Quelque chose de rugueux a glissé le long de mon dos, sous mon t-shirt. Un bout de papier. Ezéar a lâché ma nuque et a disparu de ma perception. Une ou deux secondes plus tard, j'entendais la porte de la chambre se refermer.
J'ai passé le reste de la nuit à me tourner et retourner dans mon lit, le bout de papier serré dans ma main, à songer à Max qui devait se demander où j'étais. Aux jours qui allaient suivre. A ma vie, qui ne valait peut-être pas la peine d'être vécue, si elle créait autant de désordre autour de moi. Et en moi.
Aux premières lueurs du jour, j'ai dû trouver le moyen de lire le mot sur le papier sans qu'une eventuelle caméra ne puisse l'enregistrer. J'ai fait mine de me recroqueviller au sol pour mettre la tête dans mes mains, et par quelques mouvements presque religieux, je suis parvenu à lire, mot par mot, le message d'Ezéar.
Trust. Docile. Liberté. Ready.
J'ai obéi aveuglément.
Dès lors je me suis comporté comme le Ian qu'elles avaient créé : calme et neutre. Par soucis de crédibilité, j'ai tout de même laissé mon visage s'exprimer. Mais j'ai contenu tous mes élans d'émotion avec grand succès, et sans réelle peine à dire vrai. Lors des bilans quotidiens, Svenhild réagissait parfois avec une petite moue, comme si elle était déçue, avant d'acquiescer d'un paradoxal air d'approbation.
Chaque soir, je me tenais prêt. J'attendais Ezéar, aussi longtemps que possible. Mais les journées éprouvantes m'épuisaient et le sommeil finissait vite par me prendre au piège.
Bien sûr, c'est pile dans un de ces moments où j'étais aux prises avec un cauchemars qu'une main m'a attrapé l'épaule et arraché du lit. A demi dans la panique onirique et choqué par la brutalité du réveil, j'étais complètement aux abois. J'ai entendu Ezéar me parler, mais mon cerveau n'a pas pu mettre en ordre ses mots. Je me suis senti soulevé de terre et brutalement balancé contre un dos. Il m'a dit de m'accrocher, alors je me suis accroché. Et les mouvements imprévisibles se sont poursuivis. Quand nous avons plongé dans un couloir éclairé, j'ai compris qu'il courait en me portant sur son dos. Mais il allait si vite que ma vue ne pouvait distinguer clairement notre environnement, et j'ai fini par cacher mes yeux dans sa nuque. Nous avons gravit des escaliers, et l'air s'est fait plus pur. L'air du dehors ! Quelques foulées encore, jusqu'à l'orée des arbres, et il m'a déposé au sol. Secoué, j'ai un peu titubé avant de trouver mon équilibre. Il m'a saisi par le col et a approché assez brutalement son visage du mien. J'ai grimacé en cherchant à le repousser, sans succès.
- Ecoute, Naïl, écoute moi bien ! Tu reste avec ces deux gars là, tu reste avec eux. Ton père va arriver. Tu ne bouge pas.
- Où tu vas ?!
- Je vais chercher une amie.
Il m'a lâché et j'ai entendu une voix de jeune homme s'adresser à lui.
- Zéar, c'est de la folie furieuse, Sasori va te ruiner la gueule en une seconde et vous serez morts tous les deux !
Ezéar n'a pas pris la peine de répondre. Il y a eu un bruissement dans l'herbe humide, et puis plus rien. Alors seulement, dans cette minute de calme, j'ai pu reprendre mes esprits. J'ai regardé autour de moi et dinstingué les silhouettes qui devaient correspondre à "ces deux gars là" avec qui j'étais supposé rester. L'un d'eux a posé une main sur mon épaule et m'a fait signe de le suivre.
"Trust. Docile. Liberté. Ready."
Sans chercher à contester l'injonction d'Ezéar, j'ai suivi.
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