3.9 Ian - Les Jumeaux
Nous avons marché un moment. Ou du moins ils ont marché, moi je courrais presque derrière ; je trébuchais, tombais à genoux, cognais mes doigts de pieds nus, m'écorchais sur des ronces. Chaque fois que ça arrivait, l'un de mes deux gardes du corps faisait un petit bruit de langue agacé avant de reprendre sa marche un peu plus lentement.
Nous avons fini par atteindre un chemin, où nous avons attendu. Je n'ai pas posé de question. Ni sur ce qui se passait, ni sur leur identité. Tout ce que j'avais besoin de savoir, c'est qu'Ezéar m'avait dit de rester avec eux.
Rapidement, une voiture est arrivée. Les phares nous éclairaient, et j'ai enfin vu le visage des deux hommes : des jumeaux. Ils avaient environ une trentaine d'années, peut-être un peu moins. Leurs traits semblaient parfaitement lisses et leurs yeux brillaient d'une lueur à la fois calme et indomptée. Ni sourire ni grimace ne déformaient leurs lèvres fines. Ils avaient un nez droit et fin, parsemé de tâches de rousseurs qui s'étendaient jusqu'à leurs joues. L'immense silhouette de mon père est sortie de la voiture.
- Chien.
Il y avait un ton assez méprisant dans l'accentuation de ce mot prononcé en guise de salutation par l'un des jumeaux. Je me suis demandé en quoi il était péjoratif.
- Voilà ta progéniture.
Il m'a saisi par la manche et m'a poussé vers Ierofeï. Celui-ci m'a accueilli d'un bras protecteur, mais je n'en ai pas senti la chaleur. La brutalité d'Ezéar m'avait semblé plus...
A son invitation, je me suis installé dans la voiture et j'ai observé la suite par la portière ouverte. Mais Feï, bien sûr, n'a pas prononcé un mot. Peut-être un vague signe de tête, mais pas grand chose de plus. Il s'est réinstallé à la place du conducteur, et a refermé la porte. Un peu choqué, je suis vivement ressorti de la voiture et suis allé remercier mon escorte. L'un d'eux a souri, l'autre haussé les épaules.
- C'était pas vraiment pour toi, ni pour Le Chien. C'est par principe. La Reine Svenhild va tomber.
Je ne comprenais pas bien ce qu'il voulait dire, mais cette dernière phrase m'a rempli d'un sentiment enivrant. Je me suis demandé combien il y en avait d'autres, qui pensaient comme eux. Si les autres détenus seraient sauvés, eux aussi.
- Maintenant filez avant qu'elle nous envoie Sasori au cul.
- Qui est Sasori ?
- Tu ne veux pas savoir. Allez, dégagez de là.
Il y avait de l'urgence dans sa voix.
- Mais Ezéar...
- Oublie-le, il est mort.
- Non !
Ils ont levé les yeux au ciel. L'un d'entre eux avait l'air distrait par l'angoisse, l'autre avait une nervosité plus agressive. Ce dernier m'a sèchement poussé vers la voiture.
- Laisse-le, Primaël. Ecarte-toi de lui où Sasori sera le dernier de tes soucis.
Mon cœur a fait un bond dans ma poitrine en reconnaissant la voix d'Ezéar. Il se tenait accroupi sur le toit de la voiture, l'air en colère et menaçant. Le dénommé Primaël ne s'est pas fait prier. Il m'a lâché et est retourné auprès de son frère, qui regardait l'Ours avec des yeux écarquillés.
- Mais ce... Où est Azul ?!
Un grognement vraiment inhumain est sorti des entrailles d'Ezéar. Je suis entré dans la voiture et ai fermé la porte, pénétré par une vive angoisse. Les jumeaux sont restés encore quelques secondes dans le faisceau lumineux des phares, avant de s'effacer dans les bois.
Ierofei a démarré la voiture, et m'a conduit en dehors de la forêt.
Il ne semblait plus y avoir trace d'Ezéar, mais je savais qu'il était en vie et cette certitude calmait mon coeur troublé par les mots des jumeaux.
Durant le trajet, j'ai beaucoup observé les traits de mon père qui se découpaient dans le jour naissant. De temps à autre, il tournait le regard vers moi et m'adressait un sourire à la fois triste et soulagé. Conscient que je n'obtiendrais aucune réponse, je me suis risqué, une fois, a briser le silence.
- Pourquoi est-ce qu'ils t'appellent Chien ?
Deux heures plus tard, j'étais de retour à Toulouse.
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